Jef Aérosol cartonne à Saint-Cloud…

Jef Aérosol, Samuel Beckett à Dublin

Ou  le Street Art s’expose au Musée des Avelines.

Le musée des Avelines accueille jusqu’au 30 avril, dans le cadre de l’édition 2011 de « Un artiste, un univers », une exposition inédite du pochoiriste Jef Aérosol. Ce représentant singulier du Street Art se distingue par la qualité plastique et poétique de ses pochoirs, leur visée humaniste et la pertinence de leur inscription dans des lieux. Cette exposition est aussi l’occasion de découvrir ce très joli musée dédié au patrimoine et à l’histoire de Saint-Cloud.

Un musée qui doit beaucoup au nouvel élan donné par sa directrice, Emmanuelle Le Bail, nommée à l’été 2007. D’abord avec la mise en valeur des collections dans un cadre à la fois moderne et respectueux de l’architecture originale et du style néo-antique d’une villa construite au milieu des années 1930. Ensuite avec l’organisation d’expositions temporaires qui sont autant d’occasions d’attirer un public plus large.

Des expositions patrimoniales, une par an, en lien avec l’histoire de la ville de Saint-Cloud. « Ce sont à chaque fois des expositions inédites, ce qui fait notre force, mais demande beaucoup de travail, explique Emmanuelle Le Bail. La dernière exposition, à l’automne 2010,  était consacrée à Marie Bonaparte. Celle de l’automne 2011 évoquera Saint-Cloud et le cinéma – à la fois Saint-Cloud lieu de tournage et patrimoine industriel, puisque les laboratoires de montage LTC  y sont installés depuis longtemps ».

Jef aérosol au pochoir/ photo Laurence Pierrain.

Et, puis, chaque année, également, avec Un artiste, un univers, le musée donne carte blanche à un artiste contemporain qui « trouve ici un espace, une médiation importante, un catalogue, en échange d’une installation inédite ». Nécessairement « un artiste fort qui puisse s’emparer du volume du Musée. Après la sculpture, successivement avec Marcoville et Pascale Fournier, on a souhaité accueillir le Street Art, avec l’artiste pochoiriste Jef Aérosol. Lequel a tout de suite été séduit par la convivialité du lieu et a souhaité investir également la rotonde ».

C’est donc par cette rotonde baignée de lumière, qui a retrouvé en 2009 sa couleur terre de Sienne d’origine, lieu convivial par excellence où s’est installé un salon de thé, que commence l’exposition. Au centre de ce bel espace, l’artiste a érigé une Tour de Babel faite d’empilement de cartons où sur cinq mètres de hauteur voisinent des portraits de personnalités connues et moins connues de tous horizons (Sartre, Coluche, Marilyn Monroe, Lech Walesa, etc, libre à chacun de reconnaître les siens…). Tout en haut, la flèche rouge signature de Jef Aérosol.

La petite fille chinoise / Photo DB

La tour de Babel / Photo DB

Si pour l’artiste urbain, le musée est, comme la rue, « un espace public où on ne vend pas les œuvres », exception sera faite pour les pochoirs sur carton de cette œuvre inédite qui feront l’objet d’une vente aux enchères au profit des Restaurants du cœur le dernier jour de l’exposition, samedi 30 avril à 16h.(1)

Face à cette tour, en haut des premières marches de l’escalier, un grand portrait d’une petite fille chinoise accueille le visiteur : « Il s’est rendu plusieurs fois en Chine où, avec d’autres artistes il avait réalisé une performance à des fins humanitaires, après un séisme, explique Emmanuelle Le Bail. Une petite fille le regardait faire, avec dans ses mains une noix de coco percée d’une paille. Il l’a photographiée et réalisé un pochoir à partir de la photo. Pour l’exposition au musée, il a remplacé la noix de coco par le globe terrestre, peint directement au pinceau, sans pochoir, et où cohabitent le rouge du sang et le bleu du ciel ».

Ce portrait est flanqué de deux silhouettes, celles d’une Geisha et de Samuel Becket,  le monde oriental et le monde anglo-saxon, les deux sources d’inspiration de Jef Aérosol, alias Jean-François Perroy, né à Nantes en 1957.

Ce monde anglo-saxon, c’est aussi celui de la musique, à commencer par  Bruce Springsteen, « une sorte de double de l’artiste, lui-même musicien », rappelle Emmanuelle le Bail. Il y a aussi bien sûr les Rolling Stones et Mike Jagger, Bob Dylan, mais aussi Gainsbourg, « avec un pochoir réalisé spécialement pour l’exposition, une oeuvre plus colorée, avec un travail de recherche sur la matière ».

Des photos, réalisées par Jef aérosol lui-même, mettent en évidence son souci de contextualité des œuvres et son respect des lieux où il intervient : « Si la surface peut être repeinte il fait ses pochoirs directement, mais dans un lieu patrimonial, comme la muraille de Chine ou Venise, l’œuvre doit pouvoir être enlevée facilement, et dans ce cas il fait des pochoirs sur papier qu’il colle ensuite. C’est un élément important de sa démarche », précise la directrice du musée.

Jef Aérosol « cartonne » à Saint-Cloud, l’expression est à prendre au sens propre. Il y a la Tour de Babel, mais aussi une salle dans laquelle on pénètre comme à l’intérieur d’une boite en carton : « L’idée était de recouvrir la pièce entière de cartons, agrafés et recouverts d’un fond de papiers journaux et de peinture sur lequel il a ensuite posé ses pochoirs, qu’il a choisis au fur et à mesure de l’installation et où il a confronté des personnages grandeur nature, connus et inconnus : une vieille femme afghane côtoie Woody Allen, Greta Garbo, ou encore Twiggy, la célèbre mannequin des années soixante ». Une installation totalement inédite, dont on peut voir la réalisation dans un film de 8 minutes tourné pendant son montage et diffusé en vidéo dans la dernière salle d’exposition.

Laquelle est réservée à une sorte de « galerie des Grands Hommes » personnelle avec les portraits sur toiles et panneaux des « modèles » qui ont inspiré l’artiste, de Andy Warhol à  Francis Bacon, en passant par Arthur Rimbaud et Boris Vian, entre autres, et, bien sûr, Ernest Pignon-Ernest, à qui un espace est dédié, le  » maître » lui-même admiratif d’un « disciple » à l’ « écriture singulière », pour reprendre le titre de l’article qu’il lui consacre dans le catalogue de l’exposition. Ernest Pignon-Ernest y salue « la finesse et la richesse graphique » d’une œuvre, « sa vive et délicate maîtrise » d’une technique au point de faire « douter qu’il puisse s’agir d’un pochoir ». Comme on peut en douter, effectivement, devant le portrait d’Ernest-Pignon-Ernest par Jef Aérosol.

hommage à Ernest Pignon-Ernest / Photo DB

La géographie du Musée des Avelines fait qu’après avoir quitté l’exposition et après une dernière vue plongeante sur la Tour de Babel, du premier étage de la rotonde, on peut prolonger la visite dans les salles des collections permanentes dédiées à l’histoire et au patrimoine artistique de Saint-Cloud. On admirera de belles pièces assez rares de porcelaines tendres de Saint-Cloud, qui eut sa manufacture le temps d’un siècle avant la Révolution française. Tandis qu’une  imposante maquette permet de se représenter les jardins, conçus par Lenôtre, et le  château détruit pendant la guerre de 1870 – pour l’anecdote, par un boulet français tiré du Mont Valérien sur les batteries prussiennes…

Le buste de Charles Gounod par Carpeaux / Photo DB

Un espace autour de Charles Gounod rappelle que le compositeur a habité Saint-Cloud et y est mort. Une « gloire clodoaldienne », à laquelle une rue, celle du musée, rend hommage. Emmanuelle Le Bail attire notre attention sur un imposant « Livre-objet », fabriqué par Guillaume Dubufe, peintre et aquarelliste neveu de Charles Gounod, et offert au compositeur à l’occasion de la 500ème de Faust : « Une pièce qui montre aussi l’importance du musée auprès des collectionneurs : j’ai très souvent des dons d’œuvres ». (2)

Deux salles sont également consacrées aux artistes clodoaldiens, avec notamment des toiles de Gaston Latouche (mort en 1913), un néo impressionniste peu connu en France, mais apprécié et coté en Angleterre et aux Etats-Unis. Le musée lui consacrera une exposition en 2013 pour le centenaire de sa mort. En 2012, c’est à un autre artiste, Edouard Dantan, que le musée  – où l’on peut voir un tableau représentant la gare de Saint-Cloud – rendra hommage. Une importante donation permet d’admirer également le travail du graveur sur bois Jean Chièze qui a eu son atelier à Saint-Cloud des années 1940 aux années 1970.

Enfin, avant de reprendre le chemin vers la gare (5’ à pied), on pourra profiter d’une pause gourmande dans la rotonde, devant un thé et une pâtisserie, ou autre plaisir de son choix. A moins qu’on ait préféré commencer par là…

le Musée des avelines et la médiathèque / Photo DB

(1) entrée libre, comme toutes les activités du musée.

(2) On doit notamment à Guillaume Dubufe, la décoration du plafond du foyer de la Comédie-Française, celles de la Galerie Lobau de l’Hôtel de Ville de Paris et de la grande salle du restaurant Le Train bleu à la gare de Lyon


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Un commentaire pour Jef Aérosol cartonne à Saint-Cloud…

  1. lapetite dit :

    Merci pour cet article car j’aime énormément le travail de Jef Aérosol; croiser au détour d’une rue les portraits d’ artistes qui me touchent particulièrement comme Nick Drake, Beckett ou Brando, demeure un plaisir inégalé à ce jour..

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