Le Château Royal de Blois accueille jusqu’au 18 septembre 2011 une exposition consacrée à l’architecte Jacques Androuet du Cerceau (1511-1586). S’il n’a rien construit, ce théoricien de l’architecture « à la française » a laissé une œuvre dessinée et gravée, véritable mémoire des châteaux de la Renaissance, dont celui de Blois.
A quelques pas de là, changement de décor avec la Maison de La Magie, ses dragons animés pur kitsch et une exposition, Divines cartes à jouer, avec Lewis Carroll pour fil conducteur… A voir jusqu’au 25 septembre.
C’est toujours un plaisir de revoir le château de Blois, découvrir la vaste cour pavée après avoir franchi le porche surmonté de la statue équestre de Louis XII et de son emblème, le porc-épic. (1)
Le château royal de Blois est surtout connu pour son escalier à vis, « premier escalier d’apparat dans un château Renaissance en Val de Loire », précise Jean-Michel Gazeau. Mais si cette aile François 1er est la partie la plus célèbre du château, l’ensemble de l’édifice offre autour de la cour « un véritable panorama de l’architecture française, du XIIIe au XVIIe siècle, avec notamment la grande salle seigneuriale, la plus grande salle civile gothique du début du XIIIe visible en France ». Quant à l’aile Louis XII – qui abrite le musée des Beaux-arts de la ville – elle a été partiellement détruite lorsque Gaston d’Orléans a fait construire la sienne, par Mansart au XVIIe siècle. « On peut dire que Blois, porte d’entrée des châteaux de la Loire, est une véritable synthèse de ceux-ci, par son architecture et son histoire. Inscrit dans la liste des monuments historiques de Prosper Mérimée en 1840, il sera le premier à être restauré au XIXe siècle, à partir de 1845, et a servi de modèle à la restauration d’autres châteaux», souligne notre guide.

De gauche à droite et de haut en bas : L'aile XIIIe siècle, l'aile François 1er, la Salle seigneuriale, l'aile XVIIe/ intérieur.
Et la restauration de Blois s’est appuyée sur les travaux d’Androuet du Cerceau. Il était donc pertinent qu’après l’exposition que lui a consacrée en 2010 la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris (2), le château des Valois rende à son tour hommage à L’Architecte qui dessina Blois et les châteaux de la Loire.
Ce titre renvoie à l’ouvrage majeur de Jacques Androuet du Cerceau, son anthologie Les plus excellents bâtiments de France, où figurent notamment trente châteaux, dont les plus grands du Val de Loire, d’Île-de-France, de Picardie et de Bourgogne. Lesquels sont illustrés de dessins à la plume et d’eaux-fortes, avec une grande variété de représentations – géométrales, vues en perspective ou à vol d’oiseau – incluant jardins et paysages. C’est le premier ouvrage en Europe consacré à l’architecture contemporaine de l’époque et, surtout, quasiment l’unique témoignage graphique de cette ampleur sur l’état des châteaux français au XVIe siècle et souvent le seul moyen de connaître ceux qui ont disparu. D’où la redécouverte de son œuvre au XIXe siècle, sur laquelle s’appuieront Félix Duban et Eugène Viollet-le-Duc pour restaurer les grands châteaux de la Renaissance.
« Sans Androuet du Cerceau, son anthologie avec ses plans toujours doublés d’une vue cavalière pour être plus lisibles, on ne saurait pas à quoi ressemblait le château de Blois à l’époque de la Renaissance et ses jardins en terrasses réalisés sous Louis XII par un jardinier italien, et qu’on traverse « en théorie » en venant de la gare jusqu’où ils s’étendaient », résume Elisabeth Latrémolière, conservateur-directrice du Château royal et des musées et co-commissaire de l’exposition….
La figure d’Androuet du Cerceau est doublement paradoxale : architecte, il n’a rien construit; auteur d’une œuvre incontournable pour la connaissance de l’architecture et de l’art décoratif de la Renaissance, qu’il a contribué à conceptualiser et diffuser, il reste méconnu. L’exposition de Blois s’est donc donné pour fil conducteur de « réunir l’œuvre du théoricien et du témoin ». Elle propose aussi un regard sur « l’art de la Renaissance jusqu’au passage à l’art classique », illustré également par les moulages des décors et des fragments d’architecture, une rareté du château de Blois.
Une première salle introduit à « l’extraordinaire richesse de pensée de Jacques Androuet du Cerceau et l’extraordinaire invention et variété du décor à la Renaissance », avec des vues d’optique extrêmement créatives, « des architectures inventées qui font penser à Escher et font de leur auteur bien plus qu’un dessinateur de château ou auteur de relevés », souligne Elisabeth Latrémolière. « L’idée étant aussi de contrer l’influence des architectes italiens, ce qui correspondait à l’ambition des souverains qui l’ont soutenu – à commencer par François 1er –, de créer une architecture nationale ».
Les salles suivantes réservent quelques surprises. Comme cet « inédit » : un entourage de fenêtre, mis au jour il y a quatre ans lors de la restauration des décors peints du château, en excellent état. « Resté enchâssé depuis le bâti de François 1er, ce ‘Toutankhamon du décor Renaissance’ n’a pas subi de dégradations au contact de l’air », explique Elisabeth Latrémolière.
Autre pièce précieuse, la maquette en plâtre de l’escalier d’apparat, réalisée pour l’exposition universelle de 1900 par Anatole de Baudot, un des restaurateurs du château, pour ses cours d’architecture. « Présentée sur le plateau de la table du modeleur, elle a été prêtée exceptionnellement et sans doute pour la dernière fois par le musée des monuments français »…
On découvre aussi les châteaux d’Ile de France, objets de constructions importantes, surtout dans la seconde moitié du XVIe siècle : le Louvre, Ecouen, les Tuileries. « Ce dernier, un projet de Catherine de Médicis, était destiné à l’organisation de fêtes, dans un souci également de plus grande théâtralisation de la Cour » (3). Le projet ne sera jamais achevé mais une maquette permet de le visualiser, tel qu’il était vers 1600 sous Henri IV. Un film retrace par ailleurs la longue histoire architecturale du palais des Tuileries jusqu’à sa destruction pendant la Commune de Paris.
On a du mal à imaginer qu’au XVIe siècle, au Bois de Boulogne, un château « Entièrement recouvert de faïences à l’extérieur, brillait, disait-on, de mille feux au soleil »… Là encore Androuet du Cerceau et ses gravures permettent de se faire une idée, dans son intégrité, de ce fameux château dit « de Madrid », projet initié en 1528 par François 1er à son retour de captivité de Madrid, suite à la défaite de Pavie. « Un projet original, avec une succession de 32 appartements au plan identique, une sorte de « pavillon de chasse /Hlm de luxe ». Original également par sa décoration, œuvre de Della Robbia, un faïencier venu d’Italie et qui sera à l’origine de l’installation de faïenceries en France, à Nevers et Lyon… Il n’en subsiste plus aujourd’hui qu’un chapiteau de pierre et des fragments de faïence conservés aux musées de Sèvres et d’Écouen.
De Blois à Boulogne, de château en château, on aura bien voyagé avec Androuet du Cerceau. Un regret, toutefois : l’exiguïté de l’espace dévolu à l’exposition…
On se dépêche de sortir du château, de traverser l’esplanade pour être devant la Maison de la Magie à l’heure pile, histoire de voir les dragons faire leur show aux fenêtres….
On l’avait dit : très kitsch ! … Mais dans la ville qui a vu naître Robert Houdin, pourquoi pas ? D’autant que l’art du maître des magiciens a commencé par la mécanique, et pas n’importe laquelle, celle, particulièrement minutieuse et inventive, de l’horlogerie. Car Jean-Eugène Robert, né le 7 décembre 1805 à Blois, est issu d’une famille comptant de nombreux et très habiles horlogers.(4) Le futur Robert Houdin ne résistera pas à l’appel de la vocation, en la bousculant un peu par des inventions (un « radio-réveil » à la bougie, une première lampe à incandescence à filament végétal, compteur kilométrique, périscope, etc…).
Quant à la magie, elle sera le fruit du hasard, de la rencontre imprévue avec un ouvrage, le Dictionnaire encyclopédique des amusements des Sciences Mathématiques et Physiques, dans lequel il puisera les bases de la prestidigitation…La création à Blois de La Maison de la Magie Robert-Houdin – labellisée « Musée de France » – est directement liée à la figure du célèbre magicien, dont la statue trône devant la grande maison bourgeoise du milieu du XIXe siècle où le musée s’est installé sur quelque 2000 mètres carrés. Toute une salle y est consacrée à l’univers familier et scientifique de Robert Houdin, avec notamment des livres anciens traitant des cartes à jouer, thème de l’exposition actuellement présentée.
La collection est essentiellement celle de Christian Rouleau, Blésois et petit-fils d’un Blésois auteur d’un ouvrage de référence sur Houdin (5), prestidigitateur devenu collectionneur. Cartes, objets et iconographie introduisent au monde de la carte à jouer – origine (Orient ?), fabrication, jeux, prestidigitation, etc. – au fil d’une scénographie inspirée par Alice au pays des merveilles. L’exposition est jalonnée de silhouettes grandeur nature de personnages tirés de l’œuvre de Lewis Carroll, une manière de brouiller les pistes – au propre comme au figuré – pour le visiteur, entre le rêve, la fiction et la réalité historique et culturelle de la carte à jouer.
On ressort de là un peu groggy… un coup de magie ? On dirait presque, comme Alice : « Après tout vous n’êtes qu’un jeu de cartes ! »… Et on relirait bien Lewis Carroll…
(1) Avec la devise Cominus et eminus, « de près et de loin ». Allusion aux épines du porc-épic, susceptibles de transpercer de près comme de loin, car on croyait-on alors – et jusqu’au XIXe siècle – l’animal capable de lancer ses épines….
(2) Jacques Androuet du Cerceau, L’inventeur de l’architecture – À la française?
(3) Ce thème était au centre de l’exposition Fêtes et crimes à la cour d’Henri III, présentée au château de Blois en 2010.
(4) Il faut dire que Blois était au XVIe siècle l’un des premiers centres européens de l’horlogerie.
(5) Jean Chavigny, Le roman d’un artiste – Robert Houdin, rénovateur de la magie blanche (1970)
NB : On a longtemps cru que Jacques Androuet du Cerceau était né en 1520 L’exposition de Blois coïncide avec la découverte de la véritable date de sa naissance : 1511. Explication de Morgane Bouron, doctorante au Centre d’études supérieures de la Renaissance à Tours : « On a découvert un acte daté dans lequel Androuet du Cerceau donne son âge, donc une simple opération a permis d’établir sa date de naissance à 1511 ».