« Un livre à la mer » à Collioure

Pour la 7ème édition de son festival Un Livre à la Mer, du 22 au 28 août 2011, le petit port catalan de Collioure, immortalisé par Matisse et Derain, rend hommage aux poètes Aimé Césaire et Saint John Perse. 

Placée sous le signe de la diversité culturelle et du métissage, la manifestation s’inscrit dans « 2011, année des Outre Mer ». Elle est également dédiée à Jorge Semprun, décédé en juin dernier. 

Jorge Semprun avait été présent à Collioure en 2009, pour l’édition du  festival consacré à André Malraux. Car on peut dire que Collioure a « l’Espagne au cœur » : c’est là qu’Antonio Machado, le poète espagnol, s’est éteint le 22 février 1939, au terme de son périple pour fuir le franquisme. Il est enterré dans le cimetière de Collioure. (1)

Cette année, après Henri de Monfreid, Saint-Exupéry ou Homère, en 2010,  Un Livre à la mer nous entraîne à nouveau bien loin au-delà du détroit de Gibraltar, avec ces deux grandes figures que sont Saint John Perse né en Guadeloupe (1887-1975) et  Prix Nobel de littérature en 1960 et Aimé Césaire né en Martinique (1913-2008).

Aimé Césaire

Si les trajectoires personnelle et politique des deux hommes n’ont rien en commun, ils partagent un immense génie poétique et leur naissance dans des lieux géographiques dont l’histoire a fait aussi des lieux d’intenses mélanges culturels. « Quatre continents pour fonder la Guadeloupe de Saint John Perse ou la Martinique d’Aimé Césaire : leur identité, leur histoire, leurs aspirations sont le fruit d’un ‘cousinage’ avec le monde entier, souligne Daniel Maximin, commissaire général de « 2011 année des Outre mer ». L’identité d’un Guadeloupéen ou d’un Martiniquais est dans la manière spécifique d’accommoder des plats, des poèmes, des textes, des tableaux, venus d’ailleurs dans l’histoire, appartenant à un patrimoine européen, africain, asiatique, amérindien, et qui impliquent l’exigence, pour exister, de faire du neuf avec tous ces débris de synthèse ».

Saint John Perse

C’est ce que souhaite mettre en évidence le Festival de Collioure. « Collioure qui n’est ni Nantes, ni Bordeaux, ni l’esclavage : montrer qu’au-delà de lieux précis auxquels est liée l’Histoire, il y a bien plus, il y a le partage, la connivence des cultures. Césaire et Saint John Perse sont bien sûr les héritiers d’une tradition littéraire française – Loti, Rimbaud… – et en même temps d’une ouverture au monde, à l’Afrique, à l’Asie sans laquelle l’originalité de leur poésie ne pourrait pas s’expliquer », conclut Daniel Maximin. (2)

Depuis sa création en 2005, le Festival Un Livre à la mer se veut, rappelle son président fondateur Jean-Pierre Gayraud, « un espace de liberté d’esprit, de partage,  qui s’est construit à travers des rencontres de personnes qui ont accepté d’entrer dans cette idée curieuse ». A commencer par Michel Moly, maire de Collioure depuis 1989. Ce « village »  de 3000 habitants « qui tient à son identité » et qui « après avoir été pendant des siècles une terre de pêcheurs et vignerons, vit maintenant du tourisme et de la vigne », indique Michel Mouly. Côté tourisme, a d’abord été mis en place, avec l’accord de la famille de Matisse, le « Chemin du fauvisme », qui permet de circuler dans les lieux peints et habités ou fréquentés par Matisse et Derain. (3) Puis il y eut « La Fête du piano » et son concours international, et « Le Livre à la mer », dont la proposition « coïncidait avec notre souci de partager la culture, avec notre population et aussi avec ceux qui viennent chez nous », souligne le maire de Collioure.

Parmi les multiples rencontres qui ont tissé le festival, citons celle avec  Marie Christine Barrault qui,  venue en 2008 à Collioure présenter un spectacle dans le cadre de l’hommage à Saint-Exupéry, a poursuivi sa collaboration avec le festival, accompagnée de la flûtiste Claire Sala et la harpiste Martine Flaissier. C’est avec elles que, cette année encore, elle refermera le festival le 28 août.

Théâtre, conférences, concerts, expositions sont au programme de cette 7ème édition de Un Livre à la mer. La musique caribéenne sera à l’honneur, mais aussi l’œuvre du Chevalier de Saint-George (1745-1799), virtuose du fleuret comme de l’archet. Ce métis, né en Guadeloupe d’une esclave d’origine sénégalaise et d’un planteur, était aussi un compositeur.

Citons aussi la participation de la Maison de la Négritude et des Droits de l’homme de Champagney – le seul village à avoir inscrit l’abolition de l’esclavage à la veille de la Révolution dans ses cahiers de doléances. Le document fait l’objet d’un prêt pour une exposition thématique au centre culturel.

Un festival qui se termine effectivement sinon par un livre à la mer, du moins par des textes à la mer. Les enfants des écoles de Collioure vont partir à bord d’un sardinal pour jeter à la mer une bouteille contenant un texte d’Aimé Césaire et de Saint John Perse…

On conclura avec Daniel Maximin et Césaire : « Cette idée d’un livre à la mer, de lancer une parole, c’est exactement ce que fait chaque poète, et qui va bouleverser, une deux, dix personnes ou devenir universelle. C’est ce que dit Césaire dans un poème écrit pour sa petite fille à l’école, répondant à une demande de l’institutrice : « N’y eût-il dans le désert qu’une seule goutte d’eau qui rêve tout bas, dans le désert n’y eût-il  qu’un graine volante qui rêve tout haut, c’est assez … ».

De gauche à droite : Jean-Pierre Gayraud, Michel Moly et Daniel Maximin lors de la conférence de presse de présentation du festival au CAPE à Paris.

(1) L’Espagne au cœur est le titre du recueil de poèmes écrit par Pablo Neruda après l’assassinat de Federico Garcia Lorca et publié en 1937, en pleine guerre civile espagnole.
(2) L’exposition Césaire, Lam, Picasso, Nous nous sommes trouvés, au Grand Palais (mai/juillet 2011) était exemplaire à cet égard. 
(3) En 1905, Matisse vient passer l’été dans le petit port catalan, bientôt rejoint par Derain. Il s’ensuit des semaines d’une féconde collaboration picturale et d’une intense activité d’où naissent des chefs-d’œuvre dont la violence et l’aspect parfois inachevé marquent le début du fauvisme.

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Un commentaire pour « Un livre à la mer » à Collioure

  1. Bonjour Danielle un très bel article edifiant, parsemé de références, j’aime beaucoup !
    A bientôt
    Marie-Ange

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