
« Bérénice » Isabelle Huppert, 2025 © Courtesy Alex Majoli
Présenté en 2024, le spectacle de Romeo Castellucci est à nouveau à l’affiche du Théâtre Sarah Bernhardt à Paris, pour une quinzaine de réprésentations du 20 juin au 6 juillet 2025. Isabelle Huppert est Bérénice, dans la version très personnelle de la pièce de Racine que propose le metteur en scène italien en ne retenant du texte que les monologues de l’héroïne. Seule l’actrice a la parole sur le plateau où les rôles masculins – Titus, Antiochus et les sénateurs romains – relèvent de la performance corporelle muette, avec quelques surtitres déformés par les plis des rideaux. En plasticien, Romeo Castellucci crée un espace scénique entre ténèbres et éclats de lumière, tandis que la musique électro-acoustique de Scott Gibbons impose sa pulsation sonore au spectacle, souvent au détriment de la perception du texte racinien. Mais qu’est-on venu voir exactement ?….

« Bérénice », Isabelle Huppert, Théâtre de la Ville, 2025 ©Tim Tronckoe
Il faut le reconnaître, on est allé au théâtre“ pour voir Isabelle Huppert jouer Bérénice – sans adhérer forcément à la totalité de l’énoncé de Romeo Castellucci pour qui « Isabelle Huppert est une représentation en tant que telle (…) Elle est Théâtre » –, et aussi par curiosité pour cette mise en scène, dite « radicale », où la tragédie classique se voit déstructurée. Car « On ne va pas au théâtre pour se voir confirmer ce qu’on connait déjà », dit aussi Castellucci.
Les nuées des fumigènes estompées, la liste des composants chimiques du corps humain défile sur un rideau léger, du plus important au plus infime, qui se trouve être l’or. C’est alors qu’apparait Bérénice, dans un costume somptueux (signé Iris Van Herpen), à la fois majestueuse et gracieuse dans ses mouvements où les bijoux attrapent la lumière. C’est la reine de Judée. Elle attribue au long deuil imposé à la cour pour la mort de Vespasien, la diminution à son égard de l’ardeur de Titus, au moment même où après cinq ans ans d’un amour partagé, elle ose espérer les noces promises. Mais le doute, la crainte sont là… Derrière le voile léger du fond de scène, on distingue les sénateurs en train de parlementer. Bien sûr, il faut connaître la pièce – un résumé sur le programme s’y emploie : la mort de son père a fait Titus empereur. Et « Une reine est suspecte à l’empire romain. / Il faut vous séparer, et vous partez demain. » Ce dernier vers s’inscrira bientôt sur le rideau du fond de scène.
Entretemps des objets insolites seront apparus sur la scène : un radiateur, sur lequel s’épanche l’actrice, un lave-linge où viendra se tordre un morceau de rideau de scène. À chacun d’interpréter leur présence.

« Bérénice », Isabelle Huppert /Photo Jean-Michel Blasco
Les apparitions de Bérénice se succèdent sur le plateau, chacune marquant un moment des états d’âme de celle qui se voit trahie : déconcertée, souffrante, doutant et espérant encore, en colère : « Ignoriez-vous vos lois ? », voulant mourir… Isabelle Huppert – dont la robe se fera de feu et de sang – donne corps intensément aux émotions de Bérénice, mais la voix, les mots se perdent parfois dans des effets techniques ou sont masqués par la musique bruitiste de Scott Gibbons. Romeo Castellucci s’en explique sans convaincre : « il y a de l’obscurité dans cette clarté de Racine… Je doute de la merveilleuse lumière de sa langue, il y existe aussi beaucoup d’ombre. Et c’est à cette ombre que je donnerai toute sa place. »
Alors, reprenons : On est venu voir Isabelle Huppert jouant Bérénice dans la mise en scène de Romeo Castellucci. Mais on est aussi venu voir Bérénice, le personnage racinien, qui, souffrant, malmené, trahi, n’en est pas moins celui qui fait preuve d’un courage qui en remontre à Titus et Antiochus. Et clôt superbement leurs atermoiements, « Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas ». Cette Bérénice est absente dans les longs hoquètements grimaçants – et assez insoutenables – accompagnant chaque mot de l’actrice à la fin de son dernier monologue. Dans un effort de compréhension de la mise en scène on se dit que c’est peut-être la Bérénice d’après : celle qui s’effondre hors champs après avoir lancé un dernier adieu digne à Titus ? La part obscure, l’ombre ?
Mais quand celle qu’on n’ose plus appeler Bérénice, seule sur la scène et sans le filtre du voile de tulle qui l’a séparée des spectateurs pendant toute la représentation, lance à plusieurs reprises un violent « Ne me regardez pas! », le sens nous échappe, on perd pied. Ou serait-ce l’accablement infligé à l’autre par le narcissisme du metteur en scène ?
Mais on est allé au théâtre….

« Bérénice au Théâtre de la Ville, Isabelle Huppert salue le public entourée de Titus (Cheikh Kébé) et Antiochus (Giovanni Manzo)/ Photo db
Théâtre de la Ville – Sarah-Bernhardt
2 Place du Chatelet
75004 Paris
01 42 74 22 77
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