« La Ferme Metzger », de Françoise Bossoutrot, ou quand le désir d’écrire trouve son sujet

Emile en uniforme de cuirassier (1877 ou 1878)

Ce sujet, c’est Émile, un ancêtre dont Françoise Bossoutrot a retrouvé la trace grâce à des photos et des papiers découverts dans le grenier de la maison maternelle à la faveur d’un déménagement. Et celle qui avait toujours eu envie d’écrire mais n’avait pu jusque là se consacrer à l’écriture, a décidé de travailler sur la vie de ce personnage, né en 1855 et mort en 1927, afin d’en restituer le parcours au plus près de la vérité. S’en est suivi un long processus de recherches pour combler au mieux les lacunes dans la vie d’Émile, se documenter sur l’époque et trouver la forme à donner au récit. Quelque quatre ans plus tard, en février 2025, les 250 pages de La Ferme Metzger, la vie d’un exilé, était imprimées. (1)

« On était le 18 juillet 1871. Émile courait. Il se pressait pour passer de l’autre côté du Brézouard, tournant le dos au soleil levant. Il allait quitter l’Alsace occupée par les Allemands depuis que la guerre avait été perdue ». Ainsi débute le récit de la vie d’Émile Metzger, grand père de la grand-mère paternelle de Françoise Bossoutrot. « J’ai commencé par vouloir raconter sa vie par le début, sa naissance, et finalement, j’ai préféré commencer par la fuite, un acte fondateur, une seconde naissance », explique l’autrice. À seize ans, exilé à Paris, Émile va donc devoir construire seul sa vie.

Une vie sur laquelle Françoise Bossoutrot ne dispose au départ que de quelques éléments, issus des papiers et photos trouvés dans ce grenier. Lesquels lui apprennent qu’Émile était exilé d’Alsace, qu’il avait eu une ferme à Santeuil, qu’il menait une double vie entre Paris et Santeuil, qu’il avait eu sept enfants dont seuls deux lui avaient survécu, qu’il se servait d’une machine à écrire.

vue extérieure de la ferme de l’ancien presbytère/ferme d’Émile à Santeuil (vers 1900)

Si Françoise Bossoutrot est née à Paris, une partie de sa famille est originaire du Vexin, cette région d’Île-de-France où se trouve Santeuil, le village où Émile aura une maison de campagne puis une ferme et où elle-même habite. Elle aime la campagne et le XIXe siècle, en particulier dans sa seconde moitié, sans doute parce que « c’est une époque charnière, comme la nôtre, et quand on lit des textes d’intellectuels, de journalistes de l’époque, ils ont les mêmes interrogations, préoccupations… c’est très intéressant », nous avait-elle confié en 2009, lors de notre première rencontre, à Auvers-sur-Oise où elle tenait alors un restaurant, une nouvelle étape dans sa vie professionnelle après plusieurs années dans le domaine de la communication d’entreprise (2).

Ajoutons le désir d’écrire, depuis toujours – s’il n’y avait eu le veto paternel, elle aurait fait des études de journalisme – et la disponibilité offerte par la retraite et les quatre enfants devenus adultes, et voilà réunies toutes les conditions pour se consacrer à Émile et à l’écriture.

L’écriture d’Émile : ajout manuscrit au bas d’un projet de lettre dactylographiée adressée au sous-préfet de Pontoise (25/06/1917)

Animée par le souci d’ « écrire quelque chose qui soit de l’ordre du vrai », Françoise Bossoutrot entame alors un patient et minutieux travail de recherches en consultant les états civils à Freland, le village où Émile est né et où il a été élevé jusqu’à l’âge de sept ans par sa nourrice, à Mulhouse, où son père avait sa fabrique de tissus, Colmar, Paris et Orsay, d’où était originaire son épouse Renée; les contrats de mariage; les inventaires après décès, « une mine de renseignements, tout y est écrit », souligne-t-elle; les archives du Val d’Oise; Gallica, le site de la Bnf pour les journaux locaux; les Archives nationales.

La période qui a été la plus difficile pour ces recherches va de 1885 à 1914. « Là il a fallu inventer beaucoup de choses et utiliser les ‘légendes familiales’ », comme par exemple un Émile polyglotte parlant sept langues dont le chinois, ou traduisant en allemand Edmond Rostand. Sans que ce soit avéré, il en est question dans le livre. Mais les personnages, à de très rares exceptions près, ont vraiment existé  et pour tisser son récit l’autrice a « utilisé des coïncidences de leurs parcours ». Des personnages souvent « passionnants » qu’elle a découverts au cours de ses recherches historiques, notamment des peintres, des artistes dont les noms sont aujourd’hui quasiment oubliés mais qui ont joui en leur temps d’une certaine notoriété. (3)

Un des trois cafés de Santeuil (vers 1900)

Et ce n’est pas le moindre intérêt et attrait de La Ferme Metzger que de faire revivre une époque sous tous ses aspects, historiques, socio-culturels, artistiques : « En fait on soulève une époque. Par exemple, j’ai lu plein de bouquins sur l’occupation allemande en Alsace  », explique Françoise Bossoutrot. Et, bien sûr, il y a l’affaire Dreyfus qui va diviser la société française de 1894 à 1906. « Oui, Émile était plutôt Dreyfusard. et au journal où il travaillait alors l’affaire a tout fait exploser ». À propos de l’affaire Dreyfus, pour bien comprendre le cheminement de Clémenceau qui, « doutant au départ de l’innocence de Dreyfus, en sera trois mois plus tard absolument convaincu et s’en fera l’ardent défenseur« , l’autrice a lu tous les numéros du journal l’Aurore de cette période. Au final, « ça fait dix lignes dans le livre… ».

Au fil des pages on suit le parcours d’Émile, l’exilé animé d’une farouche volonté  de ne plus l’être et de « réussir ». On accompagne ses rencontres et découvertes, son travail dans l’édition, ses succès et déboires, ses joies et malheurs, ses engagements, ses aspirations littéraires, sa vie amoureuse et familiale, puis sa transformation en « gentleman-farmer » et éleveur de chevaux. Une vie qu’on pourrait qualifier de romanesque : « Émile, c’est à la fois un homme ordinaire mais à qui il est arrivé beaucoup de choses, quelqu’un de touchant , qui voulait réussir, qui à la fois y est parvenu et à la fois a raté. La guerre de 14-18 a tout fait voler en éclats. »   

Mais La ferme Metzger lui aura donné une seconde vie…

(1) Éditions Librinova (le livre peut être commandé chez l’éditeur, chez un libraire ou sur Place des Libraires)
(2) Pour en savoir plus sur cet aspect de la vie de l’autrice, cliquer ici
(3) Bienvenu, un glossaire en fin d’ouvrage recense tous les personnages


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1 Response to « La Ferme Metzger », de Françoise Bossoutrot, ou quand le désir d’écrire trouve son sujet

  1. Avatar de Monique Mas Monique Mas dit :

    Un récit très documenté qui pourrait alimenter un film d’époque ou une série télévisée. Toutes ces petites histoires de la Grande méritent d’être racontées.

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