En 1980, La belle lisse poire du prince de Motordu faisait son entrée au catalogue des éditions Gallimard Jeunesse, dans la toute nouvelle collection Folio Benjamin. Le personnage créé par Pef allait connaître un succès jamais démenti auprès de deux générations d’enfants (et de parents). Ce « classique de la littérature de jeunesse » est même devenu un « outil pédagogique » dans l’enseignement primaire. Un phénomène d’édition sur lequel s’est penché un colloque organisé le 15 novembre 2010 à la bibliothèque nationale de France, en présence de Pef, bien sûr…
… Lequel a tenu d’emblée à préciser : « ce n’est pas Motordu que vous honorez, mais l’esprit d’enfance« , qui fait se demander par exemple « pourquoi les fenêtres ont des maisons« … Un « esprit d’enfance » qui va flotter dans le petit auditorium de la BNF François Mitterrand, pendant les trois heures de cette manifestation organisée par le Centre national de la littérature pour la jeunesse, La joie par les livres de la Bibliothèque nationale de France et les éditions Gallimard Jeunesse.
Ici, sur les gradins, tout le monde est censé connaître Pef, alias Pierre Elie Ferrier, né en 1939 à Saint-Jean-des-Vignes dans le Rhône, d’une mère institutrice et d’un père qui a très vite dérivé vers le théâtre. Le petit futur Pef a donc été nourri aux mamelles de l’école publique, gratuite et obligatoire, et de l’alexandrin – « Que le jour recommence et que le jour finisse sans que jamais Titus puisse voir Bérénice » – au point d’ailleurs, de réécrire la fin d’Andromaque! Un happy end qui a valu à son auteur une très mauvaise note à l’école … L’école, justement, où tout a commencé, raconte-t-il, dans la cour de l’école que, contrairement à ses petits camarades, il ne quittait pas pour rentrer chez lui, puisqu’il habitait dans le logement de fonction de ses parents – « une double peine« , souligne-t-il.
Ne voila-t-il pas qu’un jour, aux enfants qui le matin devant les grilles de l’école demandaient : « Alors, c’est ouvert? », il répondit : « Non, c’est tout bleu »! Le sort en était jeté. « Il y a eu un grand éclat de rire derrière la grille et je suis devenu le maître du monde! Arriver à décrocher ces sourires sur les visages des enfants comme on décroche au dessus du manège le pompon qui vous donne un tour gratuit ! Du haut de mes six/sept ans, je me suis aperçu que les mots pouvaient servir à autre chose qu’à leur usage normal et que l’on pouvait faire de la pâte à mots de lait – parce que c’est la langue maternelle… Cela s’est sédimenté dans ma mémoire, et plus tard, vers les années 1980, ma fille qui avait l’âge que j’avais en 1947/48 m’a dit : Papa, est ce que je peux sortir? Je lui ai dit : Oui, mais ferme la porte, c’est l’hiver, il fait froid. Elle m’a dit : Oui, papa, je vais fermer la morte. » Le jour même Pef se mettait à écrite l’histoire du prince de Motordu…. »d’un seul jet« ! (1)
Ayant vu le jour dans ces circonstances, le prince, on le comprendra aisément, ne peut qu’habiter un « chapeau » surmonté de « crapauds » bleu blanc rouge, mener paître ses « boutons »… quant à se marier, il n’y songe guère… Jusqu’à ce que les puissants arguments maternels l’emportent : « Si tu venais à tomber salade, qui donc te repasserait ton singe?… sans compter qu’une épouse pourrait te raconter de belles lisses poires avant de t’endormir« .
Que le lecteur se rassure : ces stéréotypes de la condition féminine, la princesse Dézécolle va les faire voler en éclats, et c’est une relation égalitaire et complice qui va s’instaurer entre l’institutrice « dans une école publique, gratuite et obligatoire » et le prince. Une fois mariés – on passe sur les péripéties préalables – on verra celui-ci passer l’aspirateur tandis que sa femme lit le journal, en attendant d’avoir beaucoup d’enfants, pardon « plein de petits glaçons et de petites billes« … Ces mots sortis de la bouche de la princesse – qui avait vainement tenté de redresser le langage de son époux tout au long d’une année scolaire – comblent le prince : « Décidément, vous êtes vraiment la femme qu’il me fallait, madame de Motordu« … Tout est bien qui finit bien.
Pour le Prince, mais aussi pour son éditeur, qui à ce jour a vendu plus d’un million d’exemplaires de cette Belle lisse poire… Laquelle sera suivie de beaucoup d’autres aventures de Motordu, des livres, bien sûr, mais aussi des CD, des DVD, au total quelque 3,4 millions d’albums vendus. Bref, un prince très multimédiatique et vendeur.
Mais qu’est-ce qui fait le succès de Pef et de son personnage ? Comme l’ont souligné dans leurs interventions Max Butlen et Françoise Ballanger (2), il y d’abord l’union de la langue et du dessin, les mots et les images, « la réinterprétation des mots par l’image« . Car si c’est amusant de lire « salle à danger » en lieu et place de salle à manger, une double page dessinée faisant surgir tous les dangers de la dite salle, fait accéder à une véritable foire aux fantasmes, à la fois désopilante et effrayante… Il est important de préciser que les dessins de Pef sont mis en couleurs par son épouse, Geneviève Ferrier, artiste peintre.
Et puis, côté langage, il y a le fait « qu’on est autorisé à faire sans risque ce que le monde des adultes interdit« , comme le souligne Max Bulten, On peut « tordre la langue« , pour peu qu’on le fasse « consciemment« … L’interdit devient licite au point qu’on l’utilise dans les écoles comme outil pédagogique et même comme aide dans les cas de dyslexie… Le texte de Pef susciterait même une « conscience phonologique accrue », comme il ressort d’une enquête menée en mai et juin 2010 auprès de classes primaires et que résume Sylvie Ferrando, docteur en sciences du langage et enseignante.
Mais, attention! contrairement à ce que laisse supposer le nom de son personnage, Pef « ne tord pas les mots »! C’est au linguiste « de service », Jean-François Jeandillou, professeur à l’université Paris Ouest-Nanterre, qu’il appartiendra de mettre les choses au point, en un mélange savoureux de rigueur sémantique et d’humour, dans une analyse intitulée « Le langage de Motordu : mots de tête et gangue maternelle »! Car Pef conserve aux mots leur intégrité, mais les utilise de manière décalée, disons, pour faire simple, en prenant un mot pour un autre…
De son côté, Alban Cerisier, directeur des fonds patrimoniaux aux éditions Gallimard, , insistera sur le fait que Pef sera le premier auteur français (mais intraduisible!) à être publié dans la collection Folio Benjamin, et que La Belle lisse poire du prince de Motordu peut être considérée comme un « long-seller », au même titre que Le Petit Prince de saint-Exupéry…
Après cela, il ne restera plus qu’à écouter le comédien Bruno Denecker nous lire La belle lisse poire… Avant de sacrifier à la traditionnelle séance de dédicaces de l’édition spéciale du trentenaire, »avec un DVD », publiée par Gallimard. J’étais venue avec ma vieille édition « collector » des années 1980, dans l’idée d’y faire apposer le paraphe de Pef, mais mon petit bouquin défraichi n’a pu se frayer un chemin jusqu’au stylo de l’auteur et j’ai bien vite fui la bousculade… Le feu n’en valait pas la dentelle !
(1) Propos recueillis en 2005 à l’occasion des 25 ans du Prince de Motordu (déjà!) pour l’antenne de RFI.
Pour en savoir plus sur Pef et l’entendre sur le site des éditions Gallimard Jeunesse, cliquer ici
(2) Françoise Ballanger est agrégée de lettres classiques et Max Butlen maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, spécialiste des politiques de lecture et de la formation des jeunes lecteurs.
Ah! la! la! que de bons souvenirs de lectures à mes filles! Génial PEF!
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