Le Musée d’Art et d’Histoire de l’hopital Sainte-Anne, après avoir exploré sous l’angle historique et archéologique le Plancher de Jeannot lors d’une précédente exposition (1), en propose une nouvelle lecture, cette fois comme une œuvre à part entière. Laquelle, dans l’exposition L’invention d’une écriture, Le Plancher de Jeannot et les œuvres de ( ..), est amenée à dialoguer avec une quarantaine d’écrivains et artistes des années 1950 à 2000 au fil d’un parcours thématique où l’on retrouve, entre autres, les noms de Roland Barthes, Pablo Picasso, Henri Michaux, Niki de Saint-Phalle …
À voir jusqu’au 18 janvier 2026
Étrange destin que celui de ce plancher en chêne de la chambre de Jean Crampilh-Broucaret, dit Jeannot, qui y a gravé, au ciseau à bois et à la perceuse, un texte de 68 lignes en lettres capitales, sans doute au cours de l’année qui a précédé sa mort en 1972, à l’âge de 33 ans. Ce n’est qu’en 1994, lors de la vente de la maison, que le plancher sera mis au jour, dans sa singularité d’objet archéologique. Ce qualificatif, qui renvoie aux circonstances de sa découverte ainsi qu’à ses caractéristiques de support d’écrit à déchiffrer, évoque irrésistiblement une pierre de Rosette du XXe siècle. À ceci près que l’écriture nous est connue et que, davantage que la signification de ce qui est écrit, ce sont le graphisme, le support, les outils utilisés, le lieu et le contexte de sa réalisation qui vont orienter la réflexion sur cet objet et déterminer le choix des œuvres susceptibles de lui être associées. D’où les différents thèmes qui vont être déclinés, comme autant d’étapes, de « chapitres », du parcours de l’exposition.

Antoni Tàpies, »l’écriture », 1969 / Photo db
« Glyphes*, trames, lettres, mots et écritures », sous cet intitulé, le premier chapitre rassemble des œuvres qui ont pour critère commun d’exclure l’image, à l’instar du Plancher de Jeannot exposé dans cette première salle. Référence est faite à Roland Barthes, lequel caractérisait ses propres dessins comme « de la graphie pour rien, ou le signifiant sans signifié », tout en affirmant simultanément qu’ « une écriture n’a pas besoin d’être ‘lisible’ pour être pleinement une écriture ». Des œuvres de Picasso, Jean Dubuffet, Henri Michaux, Antoni Tapies sont associées à cette première étape du parcours.

François DUFRÊNE, Colonne Morris, 1974 / Photo db
L’étape suivante « La lettre volée », renvoie à la nouvelle éponyme d’E.A. Poe. Cette lettre « présente sans être vue » fait écho au texte du Plancher resté ignoré dans la ferme familiale pendant plus de vingt ans ; « de texte destiné à demeurer privé, il est devenu objet de monstration ». les œuvres de Jean-Luc Parant (boule bibliophile) et François Dufrêne (Colonne Morris) viennent, parmi d’autres, illustrer ce propos.
Il n’y a pas d’écrit sans support. À ce dernier terme, les commissaires de l’exposition (2) ont préféré celui de « subjectile » dans le titre – « la mise en oeuvre du subjectile » – donné au troisième thème de l’exposition. Ils s’en expliquent, se référant à Jacques Derrida qui, dans un texte consacré aux dessins d’Artaud, rappelle le sens courant du mot : « La notion appartient au code de la peinture et désigne en quelque sorte ce qui est couché dessous (sub-jectum) … Entre le dessous et le dessus, c’est à la fois un support et une surface... ».

Ghada Amer, « Définition de l’amour d’après le Petit Robert », 1993 (détail) /phto db
Une ambiguité support/signe, qui vaut pour le Plancher de Jeannot, entre le matériau du sol de la chambre – bois de chêne — et les caractéristiques artisanales de l’écriture et des outils pour la tracer. Un procédé « radicalement matériel » qui renvoie à une « généalogie d’œuvres », des papiers brûlés d’Artaud, au délicat fil brodé sur toile de Ghada Amer (Définition de l’amour d’après le Petit Robert), en passant par les Tirs de Niki de Saint-Phalle ou les clous sur toile fixée sur bois de Günther Uecker (Groupe ZERO), ou encore le Tissage gris vert et bleu de François Rouan.

Uecker, Sans titre, 1067-1968 / Photo db
Après le support de l’écrit, son environnement, c’est-à-dire « La Maison », thème du dernier chapitre de l’exposition. Cette maison où Jean Crampilh-Broucaret a habité jusqu’à sa mort en 1972, celle aussi où reposait la dépouille de la mère décédée l’année précédente. Jeannot et sa sœur cadette Paule avaient en effet obtenu du préfet l’autorisation d’inhumer leur mère dans la demeure familiale, dans une tombe creusée sous l’escalier (sous la chambre du fils ?) Ce qui fait de l’habitat un lieu singulier, à la fois lieu de gésine et cimetière et lui confère une nouvelle identité. Il s’ensuit que « la particularité du Plancher de Jeannot ce n’est pas sa réduction à une écriture. Ce qui fait œuvre c’est son inscription dans un processus immatériel qu’il révèle… ».

Kurt Schwitters, le « Merzbau » à Hanovre, 1933 / Photo db
En écho à ce processus, figure à cette étape de l’exposition une photographie du Merzbau de Hanovre (dans sa version de 1933) de Kurt Schwitters. Sorte de maison dans la maison, qu’il reconstituera dans chacun de ses domiciles, « le Merzbau est conçu comme un lieu mental et esthétique privé » qui « fonde sa réalité sur la maison avec laquelle il fusionne , un ancrage qui le voue à la destruction, une fois celle-ci abandonnée ».
L’analogie est évidente avec le Plancher de Jeannot, œuvre secrète intrinsèquement liée à la maison et qui n’aura échappé à la disparition que par le regard averti jeté sur lui par Guy Roux, neuropsychiatre à Pau… Avant d’être élevé au statut d’œuvre à part entière au sein de la collection du Musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA). (3)

Le Plancher de Jeannot, détail/ photo db
* Représentation graphique d’un signe typographique (caractère, accent…)
(1) Voir l’article publié lors de cette premère exposition : https://debelleschoses.com/2024/11/28/le-plancher-de-jeannot-une-oeuvre-singuliere-exposee-a-lhopital-sainte-anne/
(2) Le commissarit général est assuré par Anne-Marie Dubois, responsable scientifique du Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne, en collaboration avec Dominique Vieville, conservateur général du patrimoine, et Margaux Pisteur, responsable des collections du Musée.
(3) Une collection rassemblant près de 2000 œuvres réalisées en contexte hospitalier, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Depuis maintenant une trentaine d’années, elle fait régulièrement l’objet d’expositions thématiques et, depuis 2021, d’une diffusion en ligne de son intégralité.
Le MAHHSA est le premier musée hospitalier consacré à l’art à avoir obtenu l’appellation « Musée de France », en 2016.

L’e,trée principale de l’hôpital Sainte-Anne, rue Cabanis / db
MAHHSA
Centre hospitalier Sainte-Anne
1 rue Cabanis
75014 Paris
Courriel : musee@mahhsa.fr
Tél : 01.45.65.86.96
Pendant les expositions temporaires,
le musée est ouvert du mercredi au dimanche de 13h à 18h.
Fermé les lundis et mardis.
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