Aimé Césaire, Lam, Picasso : « Nous nous sommes trouvés ».

Sous ce titre, une exposition au Grand Palais à Paris célèbre la rencontre entre le poète antillais et les deux peintres, le Cubain et l’Espagnol. Une rencontre placée sous le signe de l’art et du génie que les trois artistes ont en partage, de l’Histoire dont ils portent les blessures, et de leur engagement contre ceux que Césaire appelle les « assassins d’aube ». Organisée dans le cadre de « 2011 Année des Outre-mer », cette exposition, de dimension modeste mais d’une intensité rare, réjouit l’âme. Ce serait dommage de s’en priver.
A voir jusqu’au 6 juin 2011.  

Saluons tout de suite la scénographie d’Hubert Le Gall qui a su faire de cette unique salle où est présentée l’exposition un lieu habité par l’univers de Wifredo Lam. A commencer par cette tonalité ocre brun qui renvoie à celle de la série Annonciation, une dizaine d’eaux-fortes de grand format réalisées à la fin des années 1960 et pour chacune desquelles Césaire a composé un poème. Il y a aussi, habitant l’espace central, les trois arbres recréés à partir de dessins de l’artiste pour évoquer « cette idée de la forêt régénératrice et créatrice » à l’œuvre dans la série des Jungles, et dont les feuilles sont des gravures de l’artiste, tout comme le « papier peint »  qui tapisse une partie des murs et où la signature de Lam se lit à l’envers…

Poèmes de Césaire composés pour Lam, dessins de Picasso pour illustrer le recueil Corps perdu, mais aussi les illustrations de Jean Pons pour Batouque et Moi, laminaire, ou Daniel Buren inspiré par Cahier d’un retour au pays natal : la poésie d’Aimé Césaire est le fil conducteur, le courant qui irrigue l’exposition et les rencontres évoquées.

Pablo Picasso et Wifredo Lam © SDO Wifredo Lam / © DR 1954, Vallauris

C’est en 1938 à Paris, que Wifredo Lam rencontre Picasso. Il vient d’Espagne où, après avoir achevé ses études d’arts plastiques, il a commencé sa carrière de peintre avant de s’engager aux côtés des Républicains espagnols sur le front de Madrid et a été blessé. La sympathie est immédiate entre le peintre cubain et l’auteur de Guernica qui reconnaît en Lam « un vrai peintre » auquel il apportera son aide.

Trois ans plus tard, en mars 1941, Lam réfugié depuis fin 1940 à Marseille où l’a accueilli Breton, réussit à quitter la France pour l’Amérique en compagnie de nombreux intellectuels et artistes fuyant le nazisme, parmi lesquels André Breton, Claude Levi-Strauss, Anna Seghers et Victor Serge. L’escale forcée d’un mois en Martinique sera l’occasion de rencontrer Césaire. La lecture du Cahier d’un retour au pays natal, publié à Paris en 1939 est pour Breton une révélation, le « plus grand monument lyrique de ce temps », tandis qu’entre Lam et Césaire, l’admiration réciproque engendre une amitié créatrice et indéfectible. « Oui, il se trouve que des hommes qui roulaient bord sur bord leur destin de jungle et de misère, assaillis de doutes, de sollicitations contradictoires, se sont à force de tâtonnements nerveux, d’incohérence, de fulgurance, trouvés. » (1)

Wifredo Lam et Aimé Césaire Congrès culturel, La Havane © DR 1968

Césaire et Lam, à partir de  ces « trouvailles » de 1941,  ce seront « quarante ans de cheminement », comme le dit Daniel Maximin, commissaire de l’exposition. Avec cet aboutissement, cette apothéose que sont les poèmes composés par Aimé Césaire à la demande de Wifredo Lam à la fin de sa vie, pour la série Annonciation. Les gravures grand format et poèmes ont été réunis pour la première fois à l’occasion de cette exposition et en constituent le temps fort.

On peut y lire notamment le poème Rabordaille (du nom d’un petit tambour) dont Césaire fera une nouvelle version, In memoriam,  peu après le décès de Wifredo Lam le 11 septembre 1982,  « Un poème inédit qui apparaît là pour la première fois, souligne Daniel Maximin, puisque au grand dam des conservateurs Césaire jetait tout, et heureusement la personne qui a tapé le poème en l’absence de la secrétaire à l’Assemblée nationale, a précieusement gardé le texte et l’a offert il y a un mois à la bibliothèque Jacques Doucet qui a accepté de nous le prêter » .

Un autre inédit de Césaire figure dans l’exposition, ce « petit miracle, le chaînon manquant dans son oeuvre », ce fameux « Cahier d’après le retour au pays natal » dont on avait des indices mais pas de traces. « Et puis, raconte Daniel Maximin,  dans la vente Breton en 2006, l’avocat martiniquais Dominique Annicchiarico qui s’est fait connaître depuis, a acheté une enveloppe adressée en 1945 à André Breton à New York, avec au dos l’envoi d’Aimé Césaire, Fort de France… On a donc ici ce texte, Le tombeau du soleil », lequel sera édité à l’automne. (2)

Quant à Césaire et Picasso, leur rencontre est plus tardive, puisque c’est très certainement en 1948, au congrès des intellectuels pour la paix à Wroclaw, en Pologne, qu’elle a lieu. Césaire est alors maire de Fort-de-France et député de la Martinique élu sur la liste du parti Communiste dont Picasso est également membre. Là aussi admiration mutuelle et amitié vont se matérialiser de manière créative avec notamment les gravures exécutées en 1949 par Picasso pour illustrer le recueil Corps perdu, qu’on peut voir dans l’exposition et qui fait l’objet d’une nouvelle édition. (3)

nouvelle bonté Wifredo Lam collection privée © ADAGP, Paris 2011 / © collection privée

La colonisation, les guerres, les massacres, les dictatures : Aimé Césaire, Wifredo Lam et Pablo Picasso ont tous les trois été confrontés à ces terribles blessures de l’Histoire. Tous trois en ont fait la matière de leur art tout en faisant passer des messages de vie. Car s’ « il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube (…) les souffleteurs de crépuscule », on peut aussi voir « des seins qui allaitent des rivières / et les calebasses douces au creux des mains d’offrande / une nouvelle bonté ne cesse de croître à l’horizon ». (4)

On l’avait dit : cela fait du bien à l’âme….

(1) Aimé Césaire, Moi, laminaire, Le Seuil,  1982
(2) Mais la primeur en a été réservée aux 577 députés auxquels il a été remis, le mercredi 6 avril 2011, à l’occasion de l’hommage solennel de la Nation rendu à Aimé Césaire au Panthéon.
(3) Césaire et Picasso, Corps perdu, histoire d’une rencontre, nouvelle publication, co-édité par la RMN et HC éditions.
(4) Poème nouvelle bonté, le dernier du recueil Moi, laminaire.

Daniel Maximin, également le commissaire de 2011 Année des Outre-mer, est aussi l’auteur du livre-catalogue CESAIRE & LAM, Insolites bâtisseurs, co-édition RMN et HC éditions.


Cet article, publié dans Culture, Patrimoine, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour Aimé Césaire, Lam, Picasso : « Nous nous sommes trouvés ».

  1. Loy Rolim dit :

    J’ai eu le privilège de voir. Il s’agit d’une petite exposition exceptionnnelle sur trois
    artistes exceptionnels – Césaire, LAM et Picasso.
    Une fois de plus le regard fin De Belles Choses.

    J’aime

  2. Ping : « Un livre à la mer » à Collioure | De Belles choses

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s