Blois c’est bien sûr son château royal, célèbre pour son splendide escalier à vis. On peut y voir jusqu’au 18 septembre 2011 une exposition consacrée à l’architecte du XVIe siècle Jacques Androuet du Cerceau. C’est aussi le Musée de la magie, ses dragons animés et, jusqu’au 25 septembre, l’exposition Divines cartes à jouer, avec Lewis Carroll pour fil conducteur… C’est, enfin, le chocolat avec l’aventure industrielle de la marque Poulain, fondée en 1848 au cœur de Blois par un certain Auguste… Poulain.
Et si on commençait par le chocolat ?
« Enfant j’aimais me rendre à la Chocolaterie Poulain pour compléter mon album d’images que je collectais au dos des tablettes de chocolat; elles étaient légèrement collées au papier aluminium sur lequel étaient gravés plein de petits poulains. Ces images, souvent des photos d’animaux en couleurs, je venais les échanger (quand je les avais en double) à l’entrée de cette belle usine, véritable institution qui surplombait la ville de Blois. Je me souviens que la chocolaterie était aussi un baromètre olfactif qui nous indiquait le temps qu’il allait faire sur la ville, suivant les odeurs de chocolat noir ou d’anis qui se dégageaient des cheminées. Quand la ville était plongée dans une odeur de cacao ou de bonbon acidulé, on prédisait de la pluie pour la journée. J’ai un souvenir très vif de ces effluves exquis qui ravissaient mon odorat, moi qui étais particulièrement gourmande de confiseries de toutes sortes… ». (Témoignage de Véronique Massé)
Disons-le tout de suite : il n’y a plus d’effluves cacaotés à Blois pour la bonne raison que le chocolat Poulain n’y est plus fabriqué. La marque, après des rachats successifs, est désormais propriété de l’Américain Kraft Foods (1) et l’usine a quitté la ville pour s’installer en 1991 au nord de Blois, à Villebarou, en bordure de l’autoroute, dans des locaux conçus par Jean Nouvel. Tandis qu’à Blois, autour des vestiges de la chocolaterie, dont deux bâtiments – le « château » et l’atelier nord – sont classés monuments historiques, s’est édifié un nouvel ensemble mêlant habitations et écoles d’enseignement supérieur avec le souci de conserver une certaine cohérence architecturale, notamment dans l’utilisation des matériaux : briques, tuffeau (pierre calcaire qui signe l’identité du Val de Loire), béton et ardoise.
La saga Poulain, c’est d’abord une première chocolaterie dans une boutique du vieux Blois, ouverte en 1847 par un jeune blésois de 22 ans, qui a appris les secrets de la fabrication artisanale du chocolat dans une épicerie parisienne réputée. (2)
Il lance sa marque l’année suivante et en 1862, fait construire sa première usine, sur un terrain stratégiquement situé entre la Loire et la gare (inaugurée en 1847), et va progressivement , avec un sens aigu des opportunités, regrouper les différentes étapes de la fabrication du chocolat, jusque là dispersées.

En haut, de gauche à droite : l'entrée du site, ancien bâtiment réhabilité en logements, le "château" / en bas de gauche à droite : l'Ecole nationale supérieure de la Nature et du Paysage, vues extérieur et intérieur - ecole d'ingénieurs du Val de Loire / Photos DB
Des constructions initiales du XIXe siècle subsistent la demeure patronale – le château de la Villette – construite en 1872, flanquée d’un bâtiment dont il ne reste qu’une partie, en cours de réhabilitation – à vocation culturelle et, on l’espère, muséale – et d’un autre bâtiment, construit en 1867 à double usage de lieu de fabrication et d’habitation de la famille Poulain jusqu’à la construction du « château », qui a été réhabilité en logements.
Le chocolat Poulain, ça marche, ça explose même à partir de la fin du XIXe siècle : 5 tonnes de chocolat sortent chaque jour des ateliers. Un mouvement que la Première guerre mondiale amplifie : en 1917, pour satisfaire les commandes de l’armée, ce sont 60 tonnes de chocolat qui sont emballées quotidiennement… Entre temps Albert, le fils Poulain, a succédé à Auguste, en 1880, avant de se retirer lui-même en 1893. Poulain devient une société anonyme….
Albert Poulain, -fondateur de la chambre de commerce de Blois – est un as de la publicité, ou plutôt de la « réclame » comme on dit alors. C’est lui qui a lancé les chromo-lithographies, ces petites cartes glissées dans tous les chocolats avec lesquelles on pouvait suivre une histoire en reconstituant une série… Une manière de conquérir un public enfantin. Pour répondre à tous ces besoins de « réclame » il installe même une imprimerie intégrée à l’usine…. Quant au petit cheval orange, qui va devenir le symbole de la marque, c’est le célèbre affichiste Capiello qui le créé en 1911.
En 1918, année de la mort du fondateur, l’usine compte 800 ouvriers (elle en comptera 1200, cinquante ans plus tard). En cette même année 1918, l’usine, s’est agrandie d’un atelier sud, le plus vaste de tout l’ensemble industriel, qui sera détruit en 1995. A son emplacement s’élève aujourd’hui l’Ecole d’ingénieur du Val de Loire.
1920 marque l’achèvement du site, avec l’inauguration de l’atelier nord, dédié au conditionnement des produits. Un édifice remarquable sur le plan architectural. D’apparence classique à l’extérieur, avec toujours la brique, la pierre de tuffeau et des aplats de ciment, à l’intérieur l’utilisation de colonnes à évasement en béton armé, qui permet d’éviter la multiplication des supports, constitue une véritable innovation en France. Classé, le bâtiment a été réhabilité par l’atelier d’architecture Canal à Paris et abrite désormais l’Ecole nationale supérieure de la Nature et du Paysage, la deuxième en France après celle de Versailles..
Reste maintenant à collecter et organiser la mémoire du site industriel, auprès des anciens employés de la chocolaterie, dans la perspective d’un musée. Celui-ci est actuellement à l’étude, dans le cadre d’un projet d’espace culturel et artistique, en lien avec l’Ecole d’art de Blois. Il serait implanté dans l’un des anciens bâtiments en cours de réhabilitation, sur le flanc droit du « château ». Il est vrai qu’un tel lieu muséal, qui fait cruellement défaut au visiteur (3), permettrait de développer un nouveau pôle touristique dans la ville… Laquelle, reconnaissons-le, a déjà fait beaucoup en vingt ans pour donner vie et cohérence à l’ancien site de la chocolaterie Poulain.
Il ne nous reste plus qu’à redescendre vers le château… pour une autre « leçon » d’architecture…
(A suivre…)
(1) Rachetée par le groupe Midial au début des années 1980, l’usine Poulain l’est ensuite par l’Anglais Cadbury, en 1988. Cadbury étant à son tour racheté en 2010 par l’américain Kraft Foods. Lequel possède également les marques LU, Prince, Belin, Heudebert, Carte Noire, Jacques Vabre, Côte d’Or, Milka…. (toujours intéressant de savoir à qui appartient ce qu’on mange ou boit….)
(2) Au Mortier d’argent, rue Monsieur le Prince, où, dit-on, Balzac en personne s’approvisionnait…
(3) A moins qu’il ne bénéficie, comme nous, d’un guide… Merci à Séverine Desgeorges, responsable du service pédagogique du château et de la Ville de Blois.