La nature vue par le biais de l’industrie textile à travers la Toile de Jouy, c’est ce que propose l’exposition Parties de Campagne, jardins et champs dans la toile imprimée, XVIIIe-XIXe siècles, présentée jusqu’au 3 janvier 2012 au Musée de la Toile de Jouy, au Château de l’Eglantine, à Jouy-en-Josas. Les jardins avec leur flore et leurs divertissements ou la campagne au fil des saisons sont autant de thèmes qui ont inspiré les motifs des tissus de la célèbre manufacture fondée par Oberkampf dans ce village d’Île-de-France, entre Versailles et Paris. Des motifs qu’on retrouve sur la ligne de faïences de Gien spécialement créée à cette occasion en collaboration avec la Réunion des musées nationaux.
La nature est à la mode en cette seconde moitié du XVIIIe siècle. Une nature revisitée, idéalisée, de Marie-Antoinette à Jean-Jacques Rousseau, nourrie d’exotisme grâce aux échanges avec l’Orient et l’Asie, mais aussi de l’exigence scientifique des planches de botanique. Tout cela trouve un écho sur les Toiles de Jouy fabriquées à partir de 1760.
Une date qui ne doit rien au hasard. C’est au lendemain de la levée de la prohibition des « toiles peintes aux Indes ou contrefaites dans le Royaume« , en 1759 par Louis XV, que Christophe-Philippe Oberkampf s’installe à Jouy-en-Josas. « Car il faut savoir que l‘importation et la production de cotonnades imprimées a été interdite en France par le roi pendant près de 80 ans, parce que faisant concurrence aux soyeux de Lyon et aux drapiers de Normandie. Quand les bateaux de la Compagnie des Indes arrivaient à Rouen avec des cotonnades, les populations locales étaient au chômage pendant plusieurs mois », explique Anne de Thoisy-Dallem, conservatrice du musée de la Toile de Jouy et commissaire de l’exposition.
Le choix de Jouy-en-Josas par le jeune teinturier et imprimeur d’origine allemande s’explique à la fois par la proximité avec Paris et Versailles, et la pureté de l’eau de la Bièvre, qu’il avait déjà pu apprécier dans la capitale. Savoir-faire et esprit d’entreprise vont faire de la manufacture de la Toile de Jouy la plus célèbre en Europe, en raison de la qualité des textiles produits, tandis que « en 30 ans Oberkampf multiplie par 30 000 sa mise initiale de capital, indique la commissaire. Au tournant du siècle, la manufacture, à la fois lieu de fabrication et de vente et dont les bâtiments couvraient toute la ville actuelle, comptait 1300 ouvriers, un chiffre énorme pour l’époque ».
Mais un enchaînement malencontreux de circonstances fera que la manufacture ne trouvera pas repreneur après sa fermeture en 1843 et il ne restera plus rien de cet immense ensemble. Un tableau, à l’entrée du musée, représentation minutieuse du site manufacturier au moment de son apogée, en 1807, permet de s’en faire une idée. Ainsi que quelques témoignages d’époque : « Il parait que quand on arrivait à Jouy, de sa calèche on voyait flotter les toiles multicolores qui séchaient au vent ». On peut en voir un écho dans les parterres de fleurs devant le musée… Voilà pour l’histoire.
Heureusement, restent les toiles, sous forme de panneaux d’ameublement, de fragments, d’habits ou pièces d’habits, ou encore d’albums. « On a eu la chance d’avoir un legs très important de costumes de la famille qu’on peut voir dans la collection permanente du musée », indique sa conservatrice. Comme la robe de chambre d’Oberkampf présentée dans l’exposition : « on a été heureux d’acquérir cette pièce religieusement conservée par la famille et dans un état de conservation très étonnant, avec encore ce côté brillant qui était obtenu en passant de manière appuyée une bille d’agate sur le coton, le lustrant en quelque sorte. C’est ce qu’on appelle l’effet chintzé ».
Des descendants d’Oberkampf « toujours très actifs » (1), tient à souligner Anne de Thoisy-Dallem, en attirant notre attention sur un autre legs, « une robe à l’anglaise sublime, un peu la Joconde du musée, une perse imitée des fleurs des Indes ».
Cette robe est présentée dans la première séquence de l’exposition consacrée au thème des fleurs. Car le propos de Parties de Campagne, jardins et champs dans la toile imprimée, XVIIIe-XIXe siècles, n’est pas tant d’aligner des pièces – aussi belles soient-elles – que d’illustrer les thèmes récurrents dans les Toiles de Jouy consacrées au domaine champêtre. En premier, les fleurs, avec une énorme influence de la flore importée des Indes, « les emprunts à ces cotonnades arrivées des Indes sont réels, en témoignent les albums de copies conservés au Musée des Arts décoratifs », souligne la commissaire. Ces fleurs orientales n’excluent pas la présence de motifs floraux européens : roses, lilas, iris, ou encore « bonnes herbes »… Des ouvrages illustrés de planches botaniques, notamment du grand dessinateur Pierre-Joseph Redouté (2) prêtés par la bibliothèque municipale de Versailles, montrent l’étroite imbrication entre histoire naturelle et art décoratif, « le dessin scientifique comme source délibérée du dessin décoratif ».
La représentation des fleurs s’accompagne de celle des oiseaux, avec des espèces exotiques (oiseau de paradis) ou inventées.
A l’heure du retour à la nature prôné par Jean-Jacques Rousseau, les jardins sont à la mode avec divertissements et attractions variés : danseurs de corde, musiciens, « escamoteurs » (magiciens), dresseuse de chiens… on y joue au tric-trac, à la bascule, au volant, au jeu de bagues (l’ancêtre du manège, un jeu hérité des chevaliers qui devaient faire entrer leurs lances dans un anneau)…
Il y a aussi l’aspect un peu coquin : une « séquence » de l’exposition reconstitue les balançoires, l’escarpolette, et son côté érotique avec le tableau de Fragonard…
La scénographie, signée Philippe Model, nous a ainsi ménagé « la transition avec le chapitre suivant : Conter fleurette », dans un décor de treille de jardin pour évoquer « le rapport très étroit au XVIIIe siècle entre la représentation des jardins et celle des scènes de galanterie, dans l’esprit du libertinage de cette époque qui correspond à une conscience de plus en plus éprise de liberté », souligne la commissaire. Ces toiles aux motifs de scènes galantes sont parmi les plus célèbres des Toiles de Jouy.
Célèbres également sont les toiles représentant les saisons et les travaux des champs à la fin du XVIIIe siècle. Les mêmes motifs se répètent pour symboliser chaque saison : « avec la danse autour de l’arbre de Mai, pour représenter le printemps; les moissons pour l’été; les vendanges – ou la chasse – pour l’automne, puis des scènes de patinage ou de personnages se réchauffant au feu pour l’hiver ». Des motifs de Les délices des quatre saisons ont été repris pour la collection des faïences de Gien co-éditée avec la Réunion des musées nationaux à l’occasion de l’exposition. (3)
Au total, ce sont quelque 35000 motifs qui, en à peine un siècle, ont été dessinés et imprimés sur la toile de Jouy. « Il faut comprendre, souligne Philippe Model, que c’est une époque où l’on est tout le temps en représentation, et les tissus – ameublement ou habit – sont un reflet de la vie de tous les jours ».
Les toiles anciennes présentées dans l’exposition ne sont pas toutes issues de la manufacture de Jouy, mais aussi d’autres sites de production, à Nantes, en Alsace ou en Normandie. « Ce qui nous aide à les identifier, ce sont les albums de la manufacture, ou aussi les ‘chefs de pièce’, l’étiquetage imprimé sur le tissu indiquant le lieu de fabrication ». Quant à la mention « Bon teint » elle indique que « grâce aux nouveaux procédés d’impression à base de racine de garance les couleurs sont indissolublement liées à la toile ».
On laissera la conclusion au scénographe, Philippe Model, pour qui, quelle que soit la provenance de ces toiles anciennes, « les exposer est un privilège et une responsabilité».
(1) Parmi eux, Etienne Mallet, président fondateur de l’Association des amis du musée de la Toile de Jouy, créée en mars 2010 et qui compte actuellement quelque 200 membres.
(2) Une conférence, Redouté (1759-1840), le Raphaël des fleurs , sera consacrée à l’artiste, le mardi 4 octobre 2011 à 18h au Musée de la toile de Jouy
(3) La Réunion des musées nationaux (Rmn) est née à la fin du XVIIIe siècle. Destinée au départ à enrichir les collections nationales, aujourd’hui elle expose, édite, accueille les visiteurs et surtout diffuse les produits dans une quarantaine de comptoirs et boutiques de France, une dizaine à l’étranger. En s’efforçant toujours de faire revivre les traditions et savoir-faire français.
Parties de Campagne, c’est aussi un très beau livre.