Si son titre est connu, le contenu de ce long poème écrit au XIIIe siècle l’est beaucoup moins. On sait peu aussi que Le Roman de la rose fut en quelque sorte un best-seller et que cet « Art d’aimer » courtois et érudit a séduit des générations de lecteurs jusqu’au début du XVIe siècle. L’exposition que lui consacre la BnF en s’appuyant sur ses collections de manuscrits enluminés est une invitation à découvrir ce monument de la littérature médiévale, les moments-clés du récit ainsi que le contexte culturel de sa création et de sa diffusion. L’art d’aimer au Moyen Âge, le Roman de la rose est à voir à la Bibliothèque de l’Arsenal jusqu’au 17 février 2013.
Le cadre plus intime de ce lieu ancien, avec ses salles au volume harmonieux et aux plafonds de boiseries sculptées, se prête tout particulièrement à cette exposition. Une soixantaine de manuscrits du Roman de la Rose sont ouverts sous des vitrines horizontales, mettant à portée du regard leurs enluminures, pour accompagner le fil du récit. Car « il fallait d’abord entrer dans le récit pour voir effectivement ce qu’il pouvait avoir de séduisant, de drôle ou de subversif« , explique Nathalie Coilly, conservateur à la Bibliothèque de l’Arsenal (BnF), chargée des manuscrits médiévaux et co-commissaire de l’exposition.(1) Les manuscrits présentés dans l’exposition datent de la fin du XIIIe à la fin du XVe siècle, la période de plus grand succès du Roman de la Rose, » un best-seller au Moyen-Âge, admiré, critiqué, copié, et diffusé jusque dans des cercles bourgeois, ce qui était exceptionnel. Le texte est conservé à quelque 300 exemplaires, ce qui est énorme pour un ouvrage manuscrit de langue française « .

Rare représentation de Guillaume de Lorris et Jean de Meun, 1er quart du XIVe siècle / BnF
Si « l’art d’aimer » est un genre en soi au Moyen Âge, ce qui fait l’originalité du Roman de la rose, c’est d’abord qu’il est le fait de deux auteurs, le poète Guillaume de Lorris et le clerc parisien Jean de Meun. Le premier n’existant que sous la plume du second, en effet, « on n’a pas de trace du poète Guillaume de Lorris, mais les philologues s’accordent sur le fait qu’il y a bien deux mains« . Ce qui est original, également, « c’est la conclusion du Roman de la Rose, avec la cueillette de la rose qui est explicitement une scène de défloration où se mêlent de manière très adroite l’obscène et le sacré. Car le but de cette scène est la procréation, un but tout à fait orthodoxe« …
Ce qui n’a pas empêché que dès les années 1290, soit une vingtaine d’années après l’achèvement de l’oeuvre, le texte en soit remanié avec des coupes sombres pour les vers « les plus scabreux« . À partir du XVe siècle, le texte suscite même une vraie querelle littéraire où s’illustre la première auteure « féministe », Christine de Pisan, qui « fustige l’immoralité, l’indécence, le mauvais langage, l’extraordinaire misogynie » de l’oeuvre. Avec elle le philosophe et théologien Jean de Gerson, chancelier de l’Universitéde Paris, « qui va clore la querelle par une série de sermons à l’université mettant en garde contre la luxure. Et cela quelque 130 ans après la rédaction du Roman de la rose »… A l’opposé, les humanistes Pierre et Gontier Col, « défendent le roman comme un monument de la littérature de langue française, et comme un livre savant et subtil. Il y a en effet plusieurs niveaux de lecture« , indique Nathalie Coilly.

Le roman de la rose, carole avec au centre Amour, manuscrit du XVe siècle / BnF
Alors, de quoi s’agit-il ? Le « prétexte » de l’ouvrage est un songe que de Lorris raconte avoir fait lorsqu’il avait quinze ans et dont il n’avait pas alors saisi toute la portée. Dans ce songe, un oiseau le guide au « verger de l’amour’, un carré parfait, que restitue la disposition de la salle d’exposition consacrée au récit et qu’illustre une enluminure où la représentation de l’amour est « tout à fait canonique dans la littérature courtoise, avec couronne, ailes et flèches, précise la commissaire. « Les premiers vers du Roman de la rose sous la plume de Guillaume de Loris sont tout à fait conventionnels, c’est à dire conformes à l’éthique courtoise. Tout est radieux, la nature est enchanteresse, c’est très agréable à lire, encore aujourd’hui« , souligne Nathalie Coilly.
Dans ce jardin d’Eden où il est entré en rêve, le narrateur tombe amoureux d’un bouton de rose… Le récit narre la conquête d’une jeune fille – la Rose – par un jeune homme – l’Amant. Une quête « ponctuée par les interventions de diverses personnifications de sentiments : Raison, Ami, Richesse, Faux-Semblant, La Nature… chacune livrant sa propre vision de l’amour« . Les péripéties ne manquent pas, car, on s’en doute, la quête est loin d’être un long fleuve tranquille et l’Amant va se heurter aux défenseurs de l’honneur de la belle qui ont noms Jalousie, Honte, Peur et Danger… Une forteresse est même érigée pour protéger Bel-Accueil qui personnifie le naturel confiant de la demoiselle (n’a-t-elle pas accepté un baiser?). Désormais tous les moyens sont bons pour la conquête de la Rose.

Le roman de la rose, Attaque du château de Jalousie, manuscrit 3ème quart du XVe / Bnf
C’est alors que le clerc prend le relais du poète. Sous la plume de Jean de Meun Le Roman de la Rose devient « à la fois texte sur l’art d’aimer et somme de savoirs « . Effectivement, « parfois Jean de Meun suspend la progression narrative pour livrer des connaissances, on sent alors la richesse de sa culture « , comme en témoignent les quelque 18000 vers qu’il aura ajoutés aux 4000 de Jean de Lorris. L’érudition de celui qui fut un clerc lettré et un savant reconnu, fait du Roman de la rose une véritable « encyclopédie profane« .
Ce qui explique en partie son succès « bourgeois », auquel ses emprunts au registre de la comédie ne sont sans doute pas étrangers non plus. Et « quelques saynètes ont encore aujourd’hui une force comique remarquable« , note Nathalie Coilly. À cet égard, « un des passages les plus connus est le discours d’un mari jaloux, misogyne. Si de sa bouche sortent les vers les plus injurieux envers les femmes, c’est en même temps un personnage de comédie, ce qui fait que sans doute, même au Moyen Âge, le lecteur prenait parti pour l’épouse. Mais la traduction iconographique est quand même toujours celle du mari jaloux battant sa femme« …
On notera que si le texte s’achève par la « cueillette de la rose », il n’est pas question de mariage, « dont l’institution a été à plusieurs reprises raillée par Jean de Meun au cours de son récit par le biais d’allégories, et avec un contre exemple, celui d’Abélard et Héloïse. » L’exposition présente une des rares enluminures médiévales figurant sans détour la scène d’amour finale…
Copié, recopié, lu, admiré, décrié dans une sorte « d’effervescence » jusqu’à la fin du XVe siècle, Le Roman de la rose, avec la Renaissance, après le premier tiers du XVIe siècle, « n’est plus lu, n’est plus compris, à la fois pour des raisons de fond et de forme. La langue est devenue trop lointaine et ce n’est plus dans l’air du temps« .
Sans en faire à nouveau un ouvrage « dans l’air du temps », cette exposition a le mérite de faire découvrir l’originalité et la richesse du Roman de la rose et d’enrichir notre vision du Moyen Âge sur les thèmes de l’amour, du corps, du savoir, sans oublier le plaisir des enluminures médiévales.(2) Un plaisir qu’on peut prolonger (ou découvrir) sur le site de la BnF avec l‘exposition virtuelle réalisée autour du fac-similé numérique d’un exemplaire de l’ouvrage.
Par ailleurs, outre l’accès aux 80 manuscrits numérisés dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, Le Roman de la Rose possède aujourd’hui en propre sa bibliothèque numérique (romandelarose.org). Laquelle a vu le jour grâce à un partenariat entre la Johns Hopkins University (JHU) et la BnF et au soutien de la fondation Andrew W. Mellon. Sur un site bilingue anglais/français, elle rassemble actuellement un peu plus de 130 manuscrits numérisés.
(1) Avec Marie-Hélène Tesnière, conservateur général au département des manuscrits à la BnF.
Pour faciliter la visite, des cartels guident le visiteur dans sa découverte progressive de l’oeuvre, avec des pictogrammes qui permettent de distinguer le récit (une rose rouge) des commentaires (un livre ouvert bleu)
(2) A ce propos, saluons, une fois de plus, le travail accompli par La Tour Jean sans Peur à Paris avec ses expositions bien documentées – textes et iconographie – sur la vie quotidienne au Moyen Âge. Parmi les dernières, citons Le lit au Moyen Âge et Le vin au Moyen Âge.
Bibliothèque de l’Arsenal
1, rue Sully 75004 Paris
Téléphone : 33(0)1 53 79 39 39.
Courriel : arsenal@bnf.fr.
Merci beaucoup pour ce blog très intéressant et riche en informations.
Je voue une grande admiration pour ces femmes artistes du moyen-âge. Les enluminures sont superbes.
Je suis passionnée par Christine de Pisan depuis quelques années.
« Si de sa bouche sortent les vers les plus injurieux envers les femmes, c’est en même temps un personnage de comédie, ce qui fait que sans doute, même au Moyen Âge, le lecteur prenait parti pour l’épouse. »
Christine de Pisan qui ne manquait pas d’humour n’a pas sous-entendu que le lecteur de l’époque prenait parti pour l’épouse. Au contraire, la philosophe, moraliste, poétesse et écrivaine pointait du doigt des situations qu’elle rencontrait dans son quotidien : veuves et femmes seules calomniées, jeunes filles cherchant un mari pour ne pas sombrer dans la prostitution. Les situations aussi diverses soient-elles illustraient des drames souvent sous-estimés.
Dans « Le livre de la Cité des Dames », elle évoque Anastaise, la plus douée des enlumineresses de Paris.
Je vous recommande la lecture d’un ebook sur le sujet: « Anastaise, une plume médiévale » de Alice Warwick.
On y découvre les idées de la féministe Christine de Pisan et son rôle à la cour de Charles VI.
http://www.amazon.fr/Anastaise-une-plume-m%C3%A9di%C3%A9vale-ebook/dp/B0088UXEHU/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1339107808&sr=1-2
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Christine de Pisan a d’ailleurs répondu à Jean de Meung dans la célèbre querelle du roman de la rose. Encore merci pour cet enrichissement culturel !
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Si la seule chose retenue parmi tant de merveilles, de délicatesses et d’intelligents raisonnements n’est que la défense du féminisme. Poésie enchanteresse !!! . QUelle époque matérialiste ! C’est affligeant….Il y en a qui sont passés à coté. C’est dommage. Ce qui s’adressait directement à l’ame est misérablement échoué dans le mental récupérateur d’une cause idéologique tendance. Tous ces siècles ont fait perdre la substantifique moelle de l’oeuvre. .
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