« Rituel pour une métamorphose » : La Comédie-Française s’ouvre à la littérature arabe

RITUEL WANNOUSEn présentant sur la scène de la Salle Richelieu « Rituel pour une métamorphose« , une pièce de l’auteur syrien Saadallah Wannous (1941-1997), la Comédie-Française ouvre pour la première fois son répertoire à la littérature dramaturgique arabe. C’est l’occasion de découvrir un écrivain engagé qui dans cette dernière oeuvre forte et insolente dénonce la perversion du pouvoir, la domination masculine et le joug de la religion. Une oeuvre que servent avec talent les comédiens du Français dans une mise en scène signée du koweitien Sulayman Al-Bassam.
À voir jusqu’au 11 juillet 2013

Belle découverte, effectivement que cette oeuvre et cet auteur, né en Syrie, qui après des études en Egypte a étudié le théâtre en France où il a connu Genet et s’est nourri de Brecht et de Beckett. C’est fort de ces influences mêlées que, de retour dans son pays où il va créer le Festival de théâtre de Damas, Saadallah Wannous s’attachera en tant qu’auteur dramatique à élaborer un théâtre arabe contemporain.

Si l’action de Rituel pour une métamorphose, sa dernière pièce, publiée en 1994 (1), est censée se dérouler dans le Damas des années 1860 le propos en est à la fois contemporain et universel : « un texte engagé, à la fois classique dans sa construction, mais également subversif comme savait l’être Molière en son temps« , écrit Muriel Mayette.

Un résumé de l’histoire s’impose (il est vrai qu’au début de la pièce, on avoue avoir mis un certain temps à en saisir les personnages et la trame)…  Pour rétablir son autorité et celle de la religion, le mufti de Damas (Thierry Hancisse enturbanné à souhait) tend un piège au prévôt Abdallah (Denis Podalydès, qui deviendra Cheikh Muhammad après sa « conversion ») qu’il fait surprendre en flagrant délit de débauche avec une courtisane, Warda (excellente Sylvia Bergé, y compris lorsqu’elle se risque à la danse du ventre!). Puis, pour confondre le chef de la police qui a procédé à l’arrestation, il demande à la femme du prévôt, Mou’Mina, de se substituer en cachette à la courtisane emprisonnée.

Sylvia Bergé, Denis Podalydès © Cosimo Mirco Magliocca

Sylvia Bergé, Denis Podalydès © Cosimo Mirco Magliocca

Le prix demandé par Mou’Mina en contrepartie de cette mascarade humiliante va mettre à mal l’équilibre social de la cité : elle demande à être répudiée par son mari. Devenue courtisane, sous le nom d’Almâssa (le diamant), par choix délibéré,  elle va défier et déjouer l’hypocrisie des mécanismes  de domination entretenus par les hommes qu’elle met face à leur contradictions les plus intimes. Le Mufti ira jusqu’à lui demander de l’épouser… Elle paiera le pris fort du désordre qu’elle a engendré,  tuée de la main de son frère…

Ce personnage clé de la pièce, la frêle Julie Sicard l’interprète avec une intensité remarquable, portant quasiment le spectacle sur ses épaules, incarnant toutes les nuances de  l’évolution, de la « métamorphose » du personnage, d’épouse de notable en courtisane, avec la montée des périls suscités par sa  revendication radicale d’émancipation de liberté. « La première étape de mon trajet sera rejeter vos critères, me libérer de vos jugements, vos catégories et vos conseils » dit Almâssa au Mufti. Celui-ci, conscient du danger qu’une telle détermination représente – « Vous renversez nos habitudes, notre ordre et notre avenir » – voudra s’y opposer, avant de subir lui aussi une « métamorphose » : celle de l’irrationalité du désir. De même que le prévôt s’engage sur la voie de la mystique soufie, se dévoile l’homosexualité d’ Afsah et Abbas …

Commencée dans un décor de conte des Mille et une nuits – saluons au passage la très belle scénographie de Sam Collins – la pièce s’achève de manière épurée, sur une scène dépouillée. Les personnages évoluent à la lueur des bougies posées au sol, tandis que seule Mou’mina/Almâssa est éclairée, debout au centre de la scène, comme figure symbolique et future victime que le bras du frère viendra abattre.

La loi des hommes aura triomphé… Pour combien de temps encore ?

"Rituel pour une métamorphose" ©Cosimo Mirco Magliocca

« Rituel pour une métamorphose » ©Cosimo Mirco Magliocca

(1) Assez symboliquement, la pièce a été créée à Marseille, Capitale européenne de la culture 2013, en avril dernier, avant d’être présentée à Paris.

Comédie-Française, salle Richelieu, téléphone : 08 25 10 16 80.
Le texte est publié aux éditions Actes Sud Papiers.

L’Institut du Monde arabe propose le jeudi 13 juin 2013 à 18h30 des lectures à partir de l’oeuvre de Saadallah Wannous par les comédiens du Français.

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