Photographie : Robert Capa s’affiche en couleurs à Tours

Un ancien magasin près de la Porte de Jaffa, Jérusalem, Israël 1949 - Un mannequin habillé en Dior sur les quais de la Seine, Paris 1948 © Robert Capa/International Center of Photography /Magnum Photos

Un ancien magasin près de la Porte de Jaffa, Jérusalem, Israël1949 – Un mannequin habillé en Dior sur les quais de la Seine, Paris1948 © Robert Capa/International Center of Photography /Magnum Photos

 

C’est à la découverte d’une part méconnue de l’oeuvre du célèbre photojournaliste qu’invite l’exposition « Robert Capa et la couleur » présentée au château de Tours jusqu’au 29 mai 2016. Considéré comme l’un des maîtres de la photographie de guerre en noir et blanc, Robert Capa (1913-1954) a travaillé très régulièrement en couleur après 1941. Les quelque 150 tirages réunis à Tours montrent comment la photographie couleur a renouvelé sa vision, sa sensibilité,  ses sujets en même temps que se développait sa collaboration à une nouvelle presse magazine davantage tournée vers les loisirs et le divertissement. Mais la guerre aussi se décline en couleurs, de la seconde guerre mondiale à celle menée par la France en Indochine où Capa a trouvé la mort en 1954. 

Avion accidenté arrosé de produits chimiques après son atterrissage sur le ventre au retour d’un raid au-dessus de la France occupée, Angleterre Juillet 1941 © Robert Capa/ International Center of Photography/Magnum Photos

Avion accidenté arrosé de produits chimiques après son atterrissage sur le ventre au retour d’un raid au-dessus de la France occupée, Angleterre Juillet 1941© Robert Capa/ International Center of Photography/Magnum Photos

C’est d’ailleurs par des clichés de ces deux guerres que s’ouvre et se referme l’exposition.

Quand il embarque à New-York en 1941 à bord d’un convoi maritime à  destination de l’Europe, Capa prépare son premier reportage photographique couleur  commandé par le Saturday Evening Post et consacré à la traversé de l’Atlantique. Il s’est essayé pour la première fois à la couleur en 1938, deux ans après la mise au point par Kodak de la première pellicule couleur conditionnée en bobine, le Kodachrome, et à partir du début des années 1940, il prend l’habitude, qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie, d’emporter avec lui  au moins deux appareils photos : l’un pour le noir et blanc, l’autre pour la couleur. Mais en raison du délai de plusieurs semaines exigé par le traitement des pellicules kodachromes dont Kodak se réservait l’exclusive, gardant jalousement le secret de sa formule, la presse magazine ne publie alors qu’un petit nombre de ses images couleur.

Robert Capa, Ernest Hemingway, Sun Valley Idaho, Etats-Unis, 1941

Robert Capa, Ernest Hemingway, Sun Valley Idaho, Etats-Unis, 1941

Tout au long des années 1940, Capa persévère dans l’utilisation de la couleur. Aux Etats-unis, à Sun Valley dans l’Idaho, il réalise pour Life à l’automne 1941 un reportage consacré à Ernest Hemingway et Marta Geilhorn, ses amis écrivains et journalistes dont il a fait la connaissance au cours de la guerre d’Espagne. Le rythme des reportages s’accélère à partir de 1947, avec la création de Magnum, l’agence coopérative de photos dont il rêvait depuis 1938.  Il se rend successivement en URSS (en compagnie du romancier John Steinbeck), en Hongrie, au Maroc et en Israël. Dans ce pays où il est allé pour la première fois en 1948 pour couvrir la guerre Israélo-arabe, il y retourne en 1949 et 1950 avec l’écrivain Irwin Shaw, pour le compte des magazines Illustrated (Royaume-Uni) et Holiday (États-Unis). Cette dernière revue sera l’un de ses plus importants soutiens au sein de la presse magazine. Lancée en 1946 à Philadelphie, elle se veut le miroir d’un idéal américain de prospérité, et outre des reportages sur des villes – comme celui  à Indianapolis commandé à Capa en 1950 – la revue publie des articles sur les « hauts lieux du chic international, destinations de rêve désormais accessibles au lecteur depuis l’ouverture en 1947 des lignes aériennes transatlantiques directes« , explique Cynthia Young, commissaire de l’exposition.

Holiday, janvier 1951/Photo db

Holiday, janvier 1951/Photo db

Et c’est sans doute dans ce domaine, celui des loisirs d’une classe aisée de la société, que les photos en couleurs de Capa surprennent le plus. Le photo reporter engagé se fait le spectateur des loisirs huppés : dans les stations de ski réputées d’Autriche, de France et de Suisse où il croise stars du cinéma,  champions internationaux ou représentants de l’aristocratie européenne. À Deauville et Biarritz, s’il fréquente hippodromes et casinos, l’humour et l’autodérision affleurent dans le texte qui accompagne les photos en noir et blanc et en couleur…

Une fête, Rome, Italie août 1951 © Robert Capa/International Center of Photography /Magnum Photos

Une fête, Rome, Italie
août 1951 © Robert Capa/International Center of Photography /Magnum Photos

C’est encore une « élite élégante et riche » qui peuple les photos de Rome prises en 1951, toujours pour Holiday. Des clichés qui anticipent La dolce vita de Fellini. Il y a aussi les très belles images de Capucine. C’est d’ailleurs une des photos de l’actrice et mannequin français, prise sur un balcon à Rome, qui a été choisie pour l’affiche de l’exposition.

Il y a bien sûr Paris. La capitale, qui fut de fait la résidence de Capa de 1933 à 1939, puis, après la guerre, ce qu’on peut appeler son « camp de base », est l’objet d’une commande pour un numéro spécial de Holiday en 1952.  Un travail que Capa partage avec quelques-uns de ses collègues de Magnum : Cartier-Bresson, Chim et Dennis Stock. Les articles seront signés entre autres par Irwin Shaw, Paul Bowles, Colette…

Quant aux photos de Picasso, prises en 1948, ce sont celles de sa vie de famille en noir et blanc qui vont être privilégiées par la presse magazine, comme on peut le voir sur la double page de Illustrated, où figure le cliché désormais célèbre de  Picasso abritant sous une ombrelle une Françoise Gillot très diva  sur la plage de Vallauris …

Illustrated, 1948/Photo db - Pablo Picasso joue dans l’eau avec son fils Claude près de Vallauris, France 1948 © Robert Capa/International Center of Photography /Magnum Photos

Illustrated, 1948/Photo db – Pablo Picasso joue dans l’eau avec son fils Claude près de Vallauris, France 1948 © Robert Capa/International Center of Photography /Magnum Photos

 

Les photos prises sur les plateaux de cinéma, dans les moments de détente et de camaraderie, sont simples et émouvantes, comme celle de Truman Capote et Jennifer Jones sur le tournage de Beat the Devil (Plus fort que le diable), de John Huston en 1953 à Ravello en Italie, ou celle de Anna Magnani sur le tournage de Bellissima de Luchino Visconti en 1951 à Rome…

© Robert Capa/International Center of Photography/Magnum Photos

© Robert Capa/International Center of Photography/Magnum Photos


Et c’est en compagnie de ses amis Humphrey Bogart et John Huston que Capa se rend à Londres en 1953 pour réaliser un reportage sur le couronnement d’Elisabeth II…

Cette même année, il exprime sa volonté de reprendre ce qu’il appelle son « vrai travail, et vite« . Comment, où, il ne sait pas encore « mais Deauville, Biarritz et tous ces films hétéroclites, c’est bien fini« , assure-t-il dans une lettre que cite Cynthia Young, Conservatrice des archives Robert Capa,  et dans laquelle il exprime son désir de se rendre en « Indochine, ou d’accepter n’importe quelle autre proposition  qui (lui) permettrait de (se) remettre au reportage sur (son) propre territoire« . Un désir qui se réalise l’année suivante avec Life qui lui demande d’aller couvrir la guerre d’Indochine. Il y trouve la mort le 25 mai 1054, en sautant sur une mine antipersonnel.

Sur la route de Nam Dinh à Thái Bình, Indochine (Viêtnam) mai 1954© Robert Capa/International Center of Photography / Magnum Photos

Sur la route de Nam Dinh à Thái Bình, Indochine (Viêtnam)
mai 1954© Robert Capa/International Center of Photography / Magnum Photos

 

Le cliché ci-dessus est sans doute un des tout derniers pris par Capa, puisque c’est sur ce chemin en direction de Thai Binh que « Capa s’éloigne de la colonne pour marcher à l’écart. Il photographie les soldats progressant dans les champs« … Et c’est en « gravissant une digue qui longe la route » qu’il saute sur une mine, raconte Cynthia Young. Pour la commissaire de l’exposition, « les images couleur d’Indochine comptent parmi les photographies de guerre les plus fortes qu’il ait réalisées« . Pourtant  « aucune ne fut utilisée par la presse à l’époque, probablement en raison du délai supplémentaire  requis per le traitement des pellicules couleur« . Et c’est très émouvant de voir réunis à l’occasion de l’exposition au château de Tours ces  derniers clichés en couleur pris par Robert Capa sur son « propre territoire« …

Mais on aura su apprécier aussi sa  subtilité dans d’autres « territoires », tant dans le traitement du sujet que dans celui de la couleur…  (1)

Une femme sur la plage, Biarritz, France août 1951 © RobertCapa /International Center of Photography /Magnum Photos

Une femme sur la plage, Biarritz, France
août 1951 © RobertCapa /International Center of Photography /Magnum Photos

 

(1) Cette exposition au château de Tours, organisée en collaboration avec le Jeu de Paume, fait suite à celle présentée à New-York sur les cimaises de l’International Center of Photography, auquel l’on doit un  travail de classement des quelque 4000 diapositives couleur des archives Capa, entrepris en 2013 à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance du photographe.

La visite de l’exposition est aussi une occasion de découvrir, à quelques pas, le musée des Beaux-Arts de Tours, et son très riche fonds, avec notamment sa collection de peintures du XVIIIe siècle, une des plus importantes de France. La collection d’œuvres du XXème siècle regroupe les noms de Geneviève Asse, Briggs, Calder, Davidson, Ernst, Debré, Maurice Denis, Gaumont, Peinado, Seguin, Zao Wou-ki. CAPA TOURS AFFICHE

 

CHÂTEAU DE TOURS
25 avenue André Malraux
37000 Tours
Tél. : 02 47 21 61 95
ouvert de 14 H à 18 H.
Fermé le lundi.

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