Rui Chafes et Alberto Giacometti : rencontre à la Fondation Gulbenkian à Paris

Rui Chafes et Alberto Giacometti, « Gris, vide, cris », 2018, Fondation Gulbenkian Paris/ Photo db

L’exposition « Gris, vide, cris », présentée à la délégation en France de la Fondation Calouste Gulbenkian jusqu’au 16 décembre 2018, réunit des oeuvres du sculpteur portugais Rui Chafes et d’Alberto Giacometti. Le premier est né en 1966, l’année où meurt le second. Il ne s’agit ni de confrontation, ni de filiation entre deux artistes que rien a priori ne rassemble, mais plutôt  d’une rencontre. Par le biais de ses propres sculptures, réalisées à cette occasion, Chafes propose une approche inédite d’une sélection d’oeuvres de Giacometti que le visiteur est invité à découvrir dans une proximité singulière et troublante…

Rui Chafes et Alberto Giacometti, « Gris, vide, cris », 2018, Fondation Gulbenkian Paris/ Photo db

… on pourrait ajouter « inconfortable ». Le mot revient souvent  dans la bouche de Helena de Freitas, commissaire de l’exposition, et de Rui Chafes. Et on a pu le vérifier dès la première salle où les visiteurs sont invités à entrer un par un. L’indication « Attention à la marche » n’est pas superflue puisqu’on pénètre dans un espace plongé dans une obscurité totale, jusqu’à ce que l’oeil s’habituant on se laisse guider par de minces rais de lumière émanant de fentes verticales ou d’ouvertures circulaires dans les parois d’acier peint en noir entre lesquelles le visiteur tâtonne. En s’approchant au plus près de chaque source de lumière, il découvre une  sculpture de Giacometti. Loin de nuire au contact avec les oeuvres, le dispositif de Au delà des yeux en permet, paradoxalement, une perception plus fine et plus intense. À laquelle contribue l’effort que doit faire le visiteur pour « voir », au silence et à la solitude dans lesquels cette expérience se déroule et aussi à la proximité avec la matière des sculptures – plâtre et terre – favorisée par l’absence de paroi de verre. C’est ainsi que la terre crue de la petite (10cm) Tête d’homme, apparait dans son extrême fragilité.

Rui Chafes et Alberto Giacometti, « Gris, vide, cris », 2018, Fondation Gulbenkian Paris/ Photo db

Avec Lumière, dans la salle suivante, c’est à une autre expérience que le visiteur est convié. Pour accéder aux 4cm de la Toute petite figurine il lui faut parcourir les 4 mètres d’un couloir aux parois d’acier peint en noir et au sol incliné. L’inconfort est total. Il s’agit de « lutter pour la vision, comme Giacometti a lutté »,  explique Rui Chafes, qui précise que pour l’exposition son choix s’est porté sur des oeuvres parmi les plus petites et les plus fragiles, « des oeuvres à la limite de l’existence ».

Il y en a une, toutefois, qu’il n’a pas choisi. La Fondation Giacometti à Paris, qui a prêté les onze sculptures et quatre dessins exposés, lui a proposé de « faire quelque chose avec une sculpture incomplète » de Giacometti, Le Nez, un plâtre de la fin des années 1940. L’artiste portugais a accepté cette « proposition osée » et le nez est devenu « un cri prolongé qui sort de la bouche », induisant « l’idée de la mort ». Une « idée » matérialisée par La Nuit, un panneau d’acier peint en noir installé au fond de la salle et sur lequel se détache la sculpture de Chafes incorporant l’oeuvre « incomplète » de Giacometti. Le tout est devenu une installation qui peut se lire comme « le cri qui traverse la nuit ». 

Rui Chafes et Alberto Giacometti, « Gris, vide, cris », 2018, Fondation Gulbenkian Paris/ Photo db

C’est sur cette oeuvre forte réunissant les deux artistes que se referme l’exposition Gris, vide, cris. Auparavant, dans deux autres salles, on aura pu saisir ce qui sépare les univers des deux créateurs, « bronze, cendre et rugueux chez Alberto Giacometti, fer, noir et lisse chez Rui Chafes », résume Helena de Freitas.  Les procédés de réalisation s’opposent également: « Alberto Giacometti travaille d’après nature, corps à corps avec ses modèles ; il modèle, soustrait, corrige, se laissant mener à son point contraire, dans la configuration désespérée de l’invisible. Rui Chafes ne modèle pas, il construit. En partant à l’atelier pour y être forgées, ses sculptures atteignent un point de non-retour, comme si elles étaient directement conçues dans un matériau non modelable et définitif. »  Il n’empêche, au delà-de ces différences et dissonances, la rencontre a bien eu lieu.

Rui Chafes et Alberto Giacometti, « Gris, vide, cris », 2018, Fondation Gulbenkian Paris/ Photo db

Le sculpteur portugais Rui Chafes a participé à la Biennale de Venise en 1995 et à la Biennale de São Paulo en 2004.

 

Fondation Gulbenkian

 

Fondation Calouste Gulbenkian
Délégation en France
39 Boulevard de la Tour-Maubourg
75007 Paris
Tél. 01 53 85 93 93

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Un commentaire pour Rui Chafes et Alberto Giacometti : rencontre à la Fondation Gulbenkian à Paris

  1. chantal.simonin dit :

    Merci Danielle pour cet article qui me donne envie d’aller y voir de plus près, maintenant que je suis redevenue parisienne. BisesChantal

    Envoyé depuis mon appareil mobile Samsung.

    J’aime

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