Ce sont de bien étranges animaux, mais parfaitement identifiables, que sculpte Artur Bordalo, dit BORDALO II, une des signatures de l’art urbain international. L’artiste portugais réalise son étonnant bestiaire à partir de déchets plastiques et autres, fruits de la production excessive et du consumérisme effréné de notre société. Des oeuvres saisissantes, souvent de taille monumentale, qu’on peut découvrir jusqu’au 2 mars 2019 dans le cadre de l’exposition Accord de Paris, présentée par la galerie Mathgoth dans un espace éphémère du 13ème arrondissement…
… Très exactement au 10-12 avenue de France. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas cette partie du 13ème, précisons qu’il s’agit de cette immense nouveau quartier Paris Rive gauche, en cours de réalisation depuis maintenant une vingtaine d’années, qui va grosso modo de la gare d’Austerlitz à Ivry, et dont l’Avenue de France constitue un des deux axes majeurs de circulation. Le 10-12 se situe très à l’est, aux confins de Paris et d’Ivry, dans une zone de construction encore inachevée. Ces précisions pour situer le décor et inscrire l’exposition et les oeuvres de BORDALO II dans ce contexte d’urbanisation dont le projet est dit répondre à « une logique de développement durable ». (1)
Les oeuvres de BORDALO II (2), elles, dénoncent les ravages de notre société de consommation sur la nature, puisque leur composition même se base sur des assemblages de détritus glanés dans les rues, sur les plages ou dans les déchetteries. Comme il le dit lui même : « J’appartiens à une génération extrêmement consumériste, matérialiste et jamais satisfaite. La production de biens matériels poussée à son extrême entraine la production également extrême de « déchets » et d’objets inutilisés ». Avec ses fresques en volume ou sculptures représentant essentiellement des animaux composées de ces matériaux recyclés et le plus souvent repeints, l’artiste fabrique une sorte de zoo mutant.

BORDALO II, Portrait / photo crédits Raymesh Cintron
Accord de Paris, la première exposition en France de BORDALO II, permet de parcourir ses différents univers artistiques. Avec pour commencer la série Big Trash Animals, qui constitue la partie la plus connue de son travail, tant par son message que par son échelle, des sculptures en grand format. Depuis 2013, plus de 130 pièces sont issues de la série Big Trash Animals, on les trouve dans 23 pays et sur 4 continents. Elles représentent environ 42 tonnes de déchets plastiques réutilisées.

BORDALO II, « Hunting » (2017) – ©Bordalo II
Avec World Gone Crazy, l’échelle se fait plus petite et les oeuvres plus narratives, avec un souci et une précision du détail qui exigent de l’observateur davantage d’attention. Intégrés dans des « mises en scène » les animaux apparaissent souvent dans des inversions de rôles avec les êtres humains, comme la scène de chasse de Hunting. La critique se fait alors plus sociale.
Les oeuvres de la série Mixed Trash Animals s’inscrivent en continuité avec Big Trash Animals, mais sous un format plus réduit, plus adapté à l’espace des galeries qu’à l’espace public où se déploient habituellement ses grands animaux. La technique diffère également, les animaux, fruits de l’assemblage de déchets, surgissant de structures de bois texturé.
Il faut apprécier au passage le vaste espace – 700 mètres carrés distribués sur plusieurs niveaux – et les volumes atypiques de l’espace éphémère dévolu à Accord de Paris, qui permet la cohabitation des oeuvres monumentales ou de dimension plus réduite de BORDALO II.
On avoue notre faible pour la série Half Half Animals où les animaux se présentent sous une double facette, de chaque côté d’une ligne médiane verticale. D’un côté des couleurs éclatantes, de l’autre une harmonie de tons, plus proche de l’original… Un contraste qui s’accompagne d’une variété de textures et d’expressions.
Quant aux Plastic Animals, les matériaux qui les composent sont laissés dans leur forme la plus brute, sans que cela nuise à l’ identification immédiate de l’animal représenté – et c’est là tout le talent de l’artiste, comme avec l’éléphant qui s’offre en premier à la vue du visiteur remontant du niveau inférieur de la galerie – mais en nous confrontant d’une manière peut-être encore plus explicite au gaspillage de notre société.
Le parcours s’achève sur une oeuvre que l’on peut interpréter comme la représentation symbolique d’une planète duelle – Half Half – et déchirée entre un monde peu soucieux de sa préservation et un autre qui le serait, avec d’un côté d’un côté le règne du Plastic et de l’autre celui d’une végétation ayant conservé ou repris ses droits… Comme l’artiste, interrogé, ne se prononce pas, à chacun sa lecture.
En marge de l’exposition Accord de Paris BORDALO II a aussi installé des animaux dans des rues du 13ème: une chouette sur un mur de l’ancienne gare Masséna et un lémurien rue Watt.
Quant à l’avenir de la galerie « éphémère » qui a accueilli les oeuvres de Bordalo II, il paraîtrait que son bel espace soit destiné à accueillir prochainement un … supermarché!
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La galerie Mathgoth, spécialisée dans l’art urbain, a été fondée à Paris en 2010, par le couple de collectionneurs Mathilde et Gautier Jourdain. À l’invitation du musée des Beaux-Arts de Calais, ils seront les commissaires de l’exposition Conquête Urbaine du 6 avril au 3 novembre 2019 qui, au travers des œuvres de plus de 60 artistes, retracera l’histoire de l’art urbain.
(1) « Le développement durable est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », citation de Mme Gro Harlem Brundtland, Premier Ministre norvégien (1987).
En 1992, le Sommet de la Terre à Rio, tenu sous l’égide des Nations unies, officialise la notion de développement durable et celle de ses trois piliers (économie/écologie/social) : un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable. » (source : Insee)
(2) Né en 1987 à Lisbonne, Artur Bordalo signe ses œuvres BORDALO II, ajoutant “segundo” en hommage à son grand-père, le peintre aquarelliste Artur Real Bordalo. C’est au cours des huit années passées à la Faculté des Beaux-Arts de Lisbonne qu’il découvre la sculpture. La richesse, la diversité et les possibilités qu’offrent les différents matériaux l’éloignent de la peinture, sa discipline initiale.

L’oreille du « panda »…
« Accord de Paris »
10-12 Avenue de France
75013 PARIS
Du mardi au dimanche
de 14 à 19 heures
Entrée libre