Pirandello au théâtre de l’Athénée : « Six personnages en quête d’auteur » particulièrement inspirés…

« Sei personaggi in cerca d’autore » /Photo Marco Ghidelli


Disons-le en italien : Sei personaggi in cerca d’autore, car c’est la troupe du Teatro Stabile di Napoli que la scène de l’Athénée-Louis Jouvet accueille – seulement – jusqu’au 10 février 2019. La première représentation – en italien surtitré en français – jeudi 7 février a été ovationnée par le public, et à juste titre. La mise en scène de Luca De Fusco et les acteurs du Teatro Stabile di Napoli offre une bien belle et réjouissante version de cette pièce de Luigi Pirandello (1867-1936). Écrite en 1921, elle propose rien moins qu’une réflexion sur le théâtre lui-même, sur le rapport entre la réalité et la représentation, sur la notion même de personnage et son lien avec l’auteur et les acteurs… Un propos vertigineux et complexe, une oeuvre subtile qui demeure depuis bientôt cent ans une référence, un « classique » régulièrement joué.

« Une pièce qui parle encore à notre conscience contemporaine et nous invite à nous poser les questions les plus importantes et les plus terribles sur la nature, le sens, l’essence même de notre existence », écrit le metteur scène Luca De Fusco. Pourtant, lors de sa création à Rome en mai 1921, la pièce est plutôt mal accueillie – « À l’asile de fous », vont jusqu’à crier des spectateurs. Le succès vient quelques mois plus tard à Milan. La pièce sera ensuite jouée à New-York, puis à Paris, en 1923, dans une mise en scène  de Georges Pitoëff, dont la première a lieu en présence de l’auteur.

Luigi Pirandello / DR

Si Pirandello est surtout connu pour son théâtre, ce n’est qu’à partir de 1917, il a alors cinquante ans, qu’il se met à écrire ses pièces, en pensant d’ailleurs que ce genre ne devait être qu’une parenthèse dans son oeuvre, comme il l’écrit à son fils : « Le théâtre, comme tu sais, ne me tente pas beaucoup. Je fermerai cette parenthèse théâtrale pour me remettre à mon travail de narrateur, plus naturel ». Une vingtaine d’années plus tard, quarante-trois pièces auront fait sa renommée. Et c’est « pour son renouvellement hardi et ingénieux de l’art du drame et de la scène » qu’il reçoit en 1934  le prix Nobel de Littérature.

Six personnages en quête d’auteur constitue, avec Ce soir on improvise et Chacun à sa manière, une trilogie sur le théâtre dans le théâtre, qui fait de Pirandello « non seulement un théoricien d’importance sur la question des rapports paradoxaux entretenus sur scène entre le réel et la représentation, mais également un dramaturge assez original et puissant pour réussir à mettre ses idées à l’épreuve des planches » (1).

« Sei personaggi in cerca d’autore », le « Père » et au second plan , la « belle fille » / Photo Marco Ghidelli

Il faut effectivement une grande puissance dramaturgique  pour faire passer sur scène les idées et réflexions qui sont au coeur de la pièce. Car il y est beaucoup « parlé » dans Sei personaggi in cerca d’autore. Il faut bien, d’une part la raconter, l’histoire de ces six personnages qui font irruption sur la scène d’un théâtre où des acteurs s’apprêtent à répéter une pièce en présence du directeur, et d’autre part exposer la complexité du théâtre, la frontière ténue entre le réel et la fiction, entre ceux qui croient appartenir à la réalité – le metteur en scène, les comédiens – et ceux qui affirment leur qualité de personnages. « Un personnage, monsieur, peut toujours demander à un homme qui il est. Parce qu’un personnage a vraiment une vie à lui, marquée de caractères qui lui sont propres et à cause desquels il est toujours « quelqu’un ». Alors qu’un homme – je ne parle pas de vous à présent – un homme pris comme ça, en général, peut n’être personne », déclare le « père » au directeur de théâtre.

Lequel, s’il refuse d’abord la présence inopinée des personnages sur « sa » scène, il se laisse peu à peu prendre à l’émotion suscité par leur drame, accepte de le mettre en scène mais se heurte au refus des personnages d’être jouée par les acteurs, des personnages eux mêmes en désaccord entre eux sur le sens à donner, tout cela dans un mélange de pathétique et de comique…

Un défi que relèvent superbement la mise en scène de Luca De Fusco et les acteurs du Teatro Stabile di Napoli, notamment Eros Pagni  (le « père ») et Gaia Aprea  (la « belle-fille »), les deux « personnages » principaux de cette famille à l’histoire dramatique-sordide, ainsi que Paolo Serra, interprétant le directeur du théâtre, à la fois dépassé, puis pris au jeu, puis dépassé à nouveau. Dans sa préface à la pièce, Pirandello ne raconte-t-il pas comment lui-même s‘est trouvé dépassé en tant qu’auteur par ses personnages ?

« Sei personaggi in cerca d’autore » Photo Marco Ghidelli

Des personnages que la mise en scène fait surgir du fond de la scène d’abord en une apparition en noir et blanc fantomatique et figée, avant qu’ils s’animent, en personnages « réels » et finissent par occuper la scène, dans leurs vêtements sombres, devenant les acteurs de leur propre drame devant les comédiens et le directeur transformés en spectateurs, de plain-pied avec ces autres spectateurs venus assister à la pièce. Et qui ne le regretteront pas…

Ces quatre représentations de Sei personaggi in cerca d’autore s’inscrivent dans un mois de février placé par le théâtre l’Athénée sous le signe de l’Italie. Avec notamment Vous qui savez ce qu’est l’amour, un  One woman Opéra avec la mezzo-soprano Romie Estèves, qui relève le défi de raconter et interpréter seule en 1h40 Les Noces de Figaro de Mozart … du 15 au 23 février 2019.
Entre ces deux échappées italiennes, le deuxième récital des lundis musicaux – le 11 février – du jeune duo formé par Raquel Camarinha, soprano et Yoan Héreau au piano, sera consacré à la mélodie française.

Luca De Fusco / DR

 

(1) Catherine Robert,  La Terrasse N°272

 

Athénée Théâtre Louis-Jouvet
square de l’Opéra Louis-Jouvet
7 rue Boudreau
75009 Paris.
Tél. : 01 53 05 19 19.

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