De Victor Hugo à Samuel Beckett ou Marguerite Duras, de Nadar à Boubat ou Carlos Freire : les photographies de l’exposition Portraits d’écrivains de 1850 à nos jours à la Maison de Victor Hugo à Paris, croisent les regards de 90 écrivains et de 30 photographes, mettant en évidence une relation privilégiée. Un voyage dans l’histoire de la littérature et de la photographie qui est aussi une invitation à raviver le souvenir de nos lectures et de leurs auteurs … A voir jusqu’au 20 février 2011.
C’est toujours un plaisir de se rendre à la Maison de Victor Hugo, dans son écrin de la place des Vosges. Un écrin bien vivant, c’est ce qui fait son charme. Ce jour-là les arcades résonnent du babil d’enfants réintégrant leur école au retour de promenade. Mais une fois franchi la lourde porte de bois, on est pris par l’atmosphère feutrée de l’ancien hôtel particulier où l’écrivain a vécu de 1832 à 1848, avant son exil.
C’est d’ailleurs dans cet exil anglo-normand – à Jersey puis Guernesey – que la photo prend tout son sens pour Victor Hugo qui, contrairement à Baudelaire, a très vite perçu le potentiel esthétique et la réceptivité de ce nouveau medium. Il va en faire son arme de combat contre l’oubli et la solitude, un véritable outil de communication et de résistance. Une dimension dont l’exposition rend compte dans une première salle consacrée au « proscrit visionnaire », pour reprendre la formule de Danielle Molinari, la directrice de la Maison de Victor Hugo. On apprend qu’un atelier photographique est installé dans la maison de Jersey où le fils, Charles Hugo, se découvre une passion pour la photo et ira perfectionner sa technique sur le continent, auprès d’Edgard Bacot, photographe caennais et républicain convaincu. A Guernesey, où Hugo arrive à l’automne 1855, sera également installé un petit « cabinet noir ». De nombreux clichés illustrent cette mise en scène photographique de l’exil du poête.
Le perfectionnement dans la reproduction photographique va rapidement favoriser une large diffusion des portraits et la « création » va pouvoir l’emporter sur la technique. Emblématique est la manière dont Nadar conçoit sont art (« le sentiment de la lumière« , « l’intelligence morale » du sujet, « le côté psychologique de la photographie« ), et qui ont ancré dans la mémoire collective ses portraits de Victor Hugo patriarche. et le 23 mai 1885, Nadar qui fera le dernier portrait du poète sur son lit de mort. victor Hugo dot les derniers mots auront été : « je vois de la lumière noire« . Un cliché saisissant d’ombre et de lumière sur lequel s’achève l’exposition.
Victor Hugo et Nadar : une belle introduction à la relation très particulière entre l’écrivain et le photographe que cette exposition explore sur près de 150 ans, avec quelque 200 clichés. Lesquels proviennent du fonds de la Maison de Victor Hugo, de la collection Roger-Viollet et de la Maison européenne de la photographie (MEP). Trois collections complémentaires.
Les portraits d’écrivains français du XXe siècle, dont l’agence Roger-Viollet a fait sa spécialité dès sa fondation en 1938, viennent compléter ceux de la collection photographique de la Maison de Victor Hugo, centrée sur le poète, sa famille et son entourage. Tandis que la collection de la MEP offre un panorama représentatif de la photographie internationale des années 1950 à aujourd’hui. Dans l’une et l’autre de ces collections certains portraits et leur auteur sont devenus des « classiques » et le souvenir d’un écrivain reste à jamais attaché à l’image fixée par le photographe : André Breton ou Colette par Boris Lipnitzki, Jacques Prévert par Doisneau, Paul Valery ou Joseph Kessel par Pierre Choumof, Cocteau par Irving Penn, Marguerite Duras ou Cioran par Edouard Boubat, William Burroughs par Robert Mapplethorpe, Antonin Artaud et ses mains « tragiques » par Denise Colomb, et bien d’autres.
Chaque visiteur peut aussi faire des « découvertes », en lien avec son histoire intime de la littérature. Ainsi, cette photo d’Iris Murdoch, l’auteure irlandaise, prise à Londres en 1988 par Marc Trivier, un an avant la publication de ce roman magistral qu’est Le Message à la planète (1)… Dans ces mêmes années 1980, le photographe belge a aussi saisi Samuel Beckett, Jean Genêt, Nathalie Sarraute ou Philippe Soupault.
Denise Colomb, Laure Albin-Guillot, Gisèle Freund … Il y a des femmes photographes, mais « pas assez« , commente Delphine Desveaux, co-commissaire de l’exposition. Elle attire notre attention sur un cliché signé Julia Margaret Cameron, une « pré-beatnik au XIXe siècle« . Cette photographe, née à Calcutta en 1815 et morte à Ceylan en 1879, est connue pour ses portraits d’écrivains et d’artistes, comme ce portrait de Julia Jackson, la mère de Virginia Woolf. Celle-ci sera d’ailleurs la première à lui consacrer un ouvrage, en 1926. Et de rappeler que l’agence Roger-Viollet a été fondée par une femme, Hélène Roger-Viollet, à partir du fonds photographique constitué par son père qui l’avait initiée à la photographie.
Quant à la relation entre l’écrivain et le photographe, la littérature et la photographie, L’exposition nous rappelle opportunément que c’est à Paul Valery qu’il revint de prononcer en 1939, à l’invitation de l’Académie, le discours pour la célébration du centenaire du daguerréotype, rendant hommage » aux grands Français qui ont eu l’idée de la Photographie, et qui ont su les premiers fixer la ressemblance des choses visibles par l’action de la lumière qui émane d’elles« …
Cette « mise en lumière » d’écrivains sur près de 150 ans proposée par l’exposition, on peut la prolonger, avec le catalogue édité par Paris Musées.
Sur la jaquette du catalogue, une photo de claude Ollier, par Keiichi Tahara (1982)/MEP
(1) Iris Murdoch, Le Message à la planète, Editions Gallimard, collection Du Monde entier, 1992
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