« SAINT-CLOUD FAIT SON CINEMA » au musée des Avelines

La ville de Saint-Cloud et son parc ont attiré les réalisateurs de cinéma qui, de Jean Vigo (Zéro de Conduite, 1933), à Mikhaël Hers (Memory Lane, 2010), y ont tourné une douzaine de films. Il faut ajouter les trois œuvres cinématographiques auxquelles la maison Brunet, avant qu’elle ne devienne le musée des Avelines, a servi de décor au début des années 1980 : Tout feu, tout flamme, de Jean-Paul Rappeneau, La Belle Captive, d’Alain Robbe-Grillet et L’Amour par terre, de Jacques Rivette. Sans oublier l’entreprise clodoaldienne LTC (Laboratoire de Travaux Cinématographiques) fondée en 1935. Mêlant le rêve et l’industrie, Saint-Cloud fait son cinéma au musée des Avelines jusqu’au 29 janvier 2012.

En arrivant à la villa Brunet à la tombée de la nuit, on les comprend ces réalisateurs qui ont choisi d’y installer leur camera.  Aussitôt franchi l’entrée du parc, le visiteur a l’impression d’évoluer dans un décor : une rotonde faiblement éclairée enserre dans ses colonnes antiques une statue sur son piédestal, tandis que les lumières de la villa se reflètent dans un bassin où une fontaine  trouble la surface de l’eau.  Le tout dégage une atmosphère particulière et l’on saluerait presque le travail du chef opérateur…

A l’intérieur, un atrium circulaire d’inspiration pompéienne bordé de colonnes de stuc marbré en trompe-l’œil confère au lieu un charme indéfini d’une autre époque.  Cela fait aussi penser aux « folies » XVIIe et XVIIIe siècles. On ne s’étonnera pas que ce lieu singulier, conçu en 1935 par Daniel Brunet, un pharmacien passionné d’art antique, ait pu inspirer des films tout aussi singuliers. Comme La Belle Captive, qu’y a tourné Alain Robbe-Grillet en 1982, une œuvre à l’atmosphère étrange, teintée d’érotisme et d’ésotérisme, qui emprunte son titre à celui d’un tableau de René Magritte.

Carte postale conçue à l'occasion du film "La Belle captive" s'inspirant du tableau éponyme de René Magritte

L’acteur Daniel Mesguich se souvient : « Dans cette maison j’avais sincèrement peur. Le lieu lui-même m’impressionnait […] Au crépuscule cette maison était habitée d’une atmosphère très particulière. Les éclairages du génie Henri Alekan rajoutaient à cette impression ». (1)

Atypique et intemporel, le lieu était également susceptible de se prêter à des interprétations multiples. C’est ainsi que la villa est devenue  un casino au bord du lac Léman  dans Tout feu, tout flamme, le film de Jean-Paul Rappeneau tourné en 1981, avec Yves Montand et Isabelle Adjani. On peut voir un documentaire d’une dizaine de minutes réalisé avec la complicité du réalisateur et qui montre l’émotion de ses retrouvailles du réalisateur avec la maison Brunet, ainsi que les robes créées pour le film par Marc Bohan, alors directeur artistique de la maison Dior.

Isabelle Adjani dans "tout feu, tout flamme" et la robe créée pour elle par Marc Bohan / DB

Quant à Jacques Rivette, c’est dans une villa remaniée et repeinte, qu’il a installé son équipe pendant six semaines pour le tournage de L’amour par terre, en 1983. Cette demeure en déshérence qu’était alors la villa Brunet, outre son charme et son espace, avait le double avantage d’être « louée pour peu de frais par la mairie de Saint-Cloud », rappelle Martine Martignac, productrice du film, et « fait rare par rapport aux us et coutumes », la production bénéficiait « d’une grande liberté pour décorer la maison sans aucune contrainte de remise en état des lieux ».

De nombreux documents – affiches, extraits, costumes, etc. – évoquent ces films tournés dans la villa ainsi que ceux tournés dans la ville et le parc (Domaine national) de Saint-Cloud . Un documentaire spécialement réalisé pour l’exposition permet de voir ou revoir des extraits d’une douzaine de films qui ont eu Saint-Cloud pour décor. (2) A commencer par Zéro de conduite, le chef d’œuvre  de Jean Vigo (1933) . C’est avec une certaine émotion qu’on revoit les gamins en uniforme déambulant en rangs sur les pavés d’une ville dont on avait oublié – mais l’avait-on jamais su ? – qu’il s’agissait de Saint Cloud… (3) De même pour Vatel, de Roland Joffé avec Gérard Depardieu, tourné dans le Domaine national.

On apprend aussi que Léos Carax, né à Suresnes, a grandi à Saint-Cloud où il a réalisé une scène de Les Amants du Pont-neuf (1991) et plusieurs plans de Pola X, tourné en 1999, avec Guillaume Depardieu et Catherine Deneuve. Quant à Agnès Varda, elle a choisi les escaliers de la rue de l’Arcade pour le tournage de quelques scènes de son film dédié aux Justes de France, projeté au Panthéon lors de la cérémonie commémorative du 18 janvier 2007.

La même année, 1935, où Daniel Brunet bâtissait sa villa de rêve qui allait alimenter celui du cinéma, Marius Franay fondait à Saint-Cloud l’entreprise LTC, Laboratoire de travaux cinématographiques. L’entreprise connaîtra un véritable essor après la Seconde Guerre mondiale et des heures de gloire avec la post production de films célèbres (Le Jour le plus long, La Grande Vadrouille …). Aujourd’hui filiale du groupe français Quinta Industries, LTC poursuit son activité en accompagnant les évolutions technologiques du cinéma à l’heure où le passage de l’argentique au numérique bouleverse pratiques et savoir-faire et où la 3D relief envahit les écrans. (4)

Cameras... au fond le chef opérateur Robert Fraisse ("Vatel") avec une camera Camaflex / DB

L’exposition rend compte de cette évolution technique en présentant les équipements qui l’ont jalonnée, de la lanterne magique à la caméra numérique dernière génération…Un petit film documentaire inédit ponctue cette partie de l’exposition en proposant, avec LTC,  un parcours sur Le Chemin de l’image, de la fin du tournage à la diffusion en salle.

Le chemin de l’image c’est aussi celui que l’impression laissée par un film se fraye en nous, spectateurs, après que le générique de fin a fini de défiler sur l’écran, et que cette exposition fait revivre, à sa façon…

Saluons le travail accompli par Emmanuelle Le Bail, commissaire de l’exposition et directrice du musée des Avelines, avec son équipe. (5)

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(1) Propos recueillis par Nicolas Cabos, co-commissaire de l’expostion , et publiés dans le très documenté catalogue de l’exposition.
(2) Films tournés à saint-Cloud et évoqués dans l’exposition :
– Zéro de Conduite, de Jean Vigo (1933)
– Le Grand Restaurant (1966) et Le Fou du Labo 4 (1967), de Jacques Besnard
– Un éléphant, ça trompe énormément, d’Yves Robert (1976)
– Mort d’un pourri, de Georges Lautner (1977)
– Tendre poulet, de Philippe De Broca (1978)
– Pola X, de Leos Carax (1999)
– Vatel, de Roland Joffé (2000)
– Renaissance, de Christian Volckman (2006)
– Les Justes d’Agnès Varda (2007)
– Les liens du sang de Jacques Maillot (2008)
– Memory Lane, de Mikhaël Hers (2010)
(3) Le mardi 20 décembre à 20h30, une  projection de Zéro de Conduite aura lieu au cinéma Les Trois Pierrots à Saint-Cloud, avec la participation exceptionelle de Luce Vigo.
(4) Ce qui ne va pas sans difficultés : faute de financement suffisant, le laboratoire LTC est actuellement placé en redressement judiciaire, la poursuite de son activité et les emplois de ses 115 salariés sont menacés…
(5) La précédente exposition était consacrée à Jeff Aérosol

"Zero de conduite", captation d'écran

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