» Taxidermie, dans les coulisses du Muséum d’Histoire naturelle « 

Photo DB

Vingt photographies accrochées aux grilles du jardin de l’Ecole botanique retracent le processus par lequel un animal mort ne disparaît pas tout à fait. L’art  du taxidermiste le rend présent à jamais, suspendu dans le temps et le mouvement. Cet art, Jack Thiney l’a pratiqué pendant plus de quarante ans au Muséum, avant de prendre sa retraite fin 2010 et cette exposition est le fruit du regard que le photographe Jacques Vekemans a porté sur son travail tout au long d’une année. Avec Taxidermie, dans les coulisses du Muséum d’Histoire naturelle, le Muséum  inaugure une série d’expositions consacrées aux  métiers souvent méconnus qui s’exercent dans ses murs … 

… Et ces métiers,  « sont à l’image des collections du lieu : à la fois rares, foisonnants et essentiels », tient d’emblée à préciser Thomas Grenon, directeur général du Muséum. Ils sont « le témoignage de pratiques ancestrales et de savoir-faire uniques, qui ont évolué avec notre connaissance et notre vision de la nature ». Des métiers « complets et complexes », à cheval sur plusieurs disciplines.

A commencer par la taxidermie, un art qui puise son origine dans l’Antiquité et ses rites funéraires –  comme en témoignent les momies de chats dans l’Egypte ancienne – et s’est développé avec l’essor des sciences naturelles : anatomie, ostéologie, éthologie, zoologie, entomologie… Science et art se conjuguent dans cette « parente de la sculpture animalière » qu’est la taxidermie et, comme le souligne Thomas Grenon, « les plus belles pièces se distinguent par le juste équilibre entre l’indispensable rigueur scientifique et la vision esthétique, le plus haut degré de connaissance naturaliste et la plus grande sensibilité artistique ».

L’ultime mouflon à manchettes de Jacques Thiney qui sert de fil conducteur à l’exposition photographique en est un magnifique exemple, qui vient s’inscrire comme un dernier maillon dans la collection d’espèces animales que le Muséum préserve dans sa zoothèque, depuis l’hippotrague bleu du Jardin du Roi, le plus ancien grand spécimen naturalisé mais dont la date exacte et l’auteur nous sont inconnus (aujourd’hui présenté dans la salle des espèces disparues) ou le rhinocéros d’Inde disséqué par Mertrud et Vicq d’Azir en 1793(1), ou encore Jocco, le chimpanzé de Buffon,  jusqu’au défilé magique qui accueille le visiteur dans la Grande Galerie de l’évolution de l’espèce : cette impressionnante cohorte d’animaux en marche, toutes espèces confondues réunies dans un même élan grâce au semblant de vie que leur ont donné les taxidermistes, et notamment Jack Thiney.

Tout commence par du bois et du fil de fer… ici une ébauche pour un éléphant/ DB

Justement, laissons parler l’homme de l’art : « Cela commence par une maquette, une structure en bois et en fil de fer sur laquelle on pose de la plastiline, une sorte de pâte à modeler, qui fait ‘ sortir’ les volumes » … Résultat, des petites maquettes, de 10 ou 20 centimètres qui « lorsqu’on les approche pour la première fois, ressemblent à un jouet d’enfant, un jouet audacieux et visionnaire, raconte le photographe Jacques Vekemans. Je les ai trouvées très attachantes et très parlantes en tant qu’objets prévisionnant la suite des événements et qui contiennent déjà tout l’essentiel… ». Première étape dans ce « parcours d’émotions » qu’aura été pour ce photographe passionnée par les savoir faire, les métiers et leurs gestes, l’accompagnement du travail du taxidermiste.

La maquette du mouflon/DB

« C’est en effet à partir de là que tout se joue, qu’on va régler les postures, précise Jack Thiney. Ces maquettes vont aussi servir à communiquer avec les muséologues qui vont apporter leur avis et parfois faire leur choix entre plusieurs maquettes ».

Revenons à notre mouflon. Cet ancien hôte du grand rocher du zoo de Vincennes a été victime d’un hiver particulièrement rude : il a glissé sur une plaque de verglas et s’est fracassé l’os du… rocher ! Circonstances fatales qui en ont fait un spécimen « idéal du point de vue du taxidermiste (…) On était en hiver, donc le poil était magnifique, et comme il a été tué sur le coup il ne s’est pas abîmé ». Seul bémol, ses cornes « étant complètement usées par le ciment du zoo de Vincennes n’étaient pas présentables, il a fallu faire un moulage de l’os de son crâne et trouver des étuis cornés d’un autre animal qui puissent s’y adapter ». Toujours le souci de l’exactitude scientifique et de la perfection esthétique…

On apprend que tête et pattes sont faites en mousse de polyuréthane, tandis que le corps est réalisé à partir de plaques de polystyrène, un polystyrène spécial très compressible dont la consistance s’apparente à celle du balsa. Les plaques sont taillées au départ à la scie électrique pour obtenir le volume général, puis à la main avec couteaux, rasoirs, râpes, papier de verre. « Il vaut mieux pas se tromper », précise Jack Thiney, le matériau ne se prêtant guère aux repentirs. Le terme de « sculpture animalière » prend tout sons sens, dans la progression des formes modelées sur celles de la maquette…

Jack Thiney au travail/Montage Photos DB

On essaye ensuite la peau. Laquelle aura été confiée dans les 24 heures suivant son dépouillement à un tanneur spécialisé. Un métier indispensable à la taxidermie mais qui se fait rare, seules deux personnes l’exercent encore en France. Après tannage humide, la peau est conservée congelée. On s’autorise à la décongeler et recongeler deux ou trois fois, jusqu’à ce qu’on soit sûr qu’elle s’adapte parfaitement au mannequin dont toute la surface sera alors stratifiée – ultime étape – avant la pose définitive de la peau, collée, cousue.

Restent à accomplir quelques finitions, les plis du museau, les yeux, les oreilles… En ce qui concerne les yeux – fabriqués en cristal de Bohème fondu – on les fait venir de l’étranger, en particulier d’Allemagne, la fabrication ayant cessé en France. Quant aux oreilles, elles sont en carton stratifié.

Au total, il aura fallu une centaine d’heures de travail pour redonner ce troublant semblant de vie à l’animal …

Un regret : que l’exposition n’ait pas donné lieu à l’édition d’un catalogue,  pour qu’on puisse y revivre à loisir la fascination et la poésie qui se dégagent de cette belle rencontre entre l’art du taxidermiste et l’oeil du photographe.  Mais on y songe, semble-t-il. D’autant que la présentation de seulement vingt photographies sur le vaste ensemble réalisé par Jacques Vekemans a résulté d’un choix drastique…

photo DB

(1) C’est en cette même année 1793 que le Jardin du Roi devient le Muséum national d’Histoire naturelle par décret révolutionnaire.

Pour en savoir plus sur le processus de taxidermie expliqué par Jack Thiney, lire l’article publié sur le site de l’OCIM (Office de Coopération et d’Informations muséales)

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