Ce chêne majestueux, sujet unique du tableau peint par Gustave Courbet en 1864, va peut-être pouvoir revenir dans sa Franche-Comté originelle après un long détour par les Etats-Unis et le Japon. Le Conseil général du Doubs a lancé en mars 2012 une souscription publique afin de se porter acquéreur de la toile, mise en vente par son actuel propriétaire, un collectionneur japonais. « Le Chêne de Flagey », qui rejoindrait ainsi la collection permanente du Musée Courbet à Ornans, a été estimé à environ 4 millions d’euros.
Soutenu par le Ministère de la Culture, ce projet de mécénat ouvert aux dons des particuliers a également suscité l’intérêt de nombreuses entreprises et institutions. Mais à la mi-octobre il restait encore 1,4 million d’euros à trouver avant le 15 novembre, et, selon l’hebdomadaire Le Point, il y a de la concurrence : les Chinois et le futur musée d’Abu Dhabi seraient sur les rangs… (1)
Il faut dire que cette œuvre revêt une force et une intensité particulières. Comme on avait pu le constater lors de la grande rétrospective Courbet du Grand Palais à Paris (octobre 2007 – janvier 2008). Le tableau avait fait le déplacement de la région de Tokyo à Paris, prêté par son propriétaire, Michimasa Murauchi. Cet homme d’affaires et collectionneur l’avait acquis pour 462 000 dollars, en 1987, lors de sa vente chez Sotheby’s NewYork par la Pennsylvania Academy of the Fine Arts de Philadelphie. Laquelle s’en trouvait propriétaire depuis 1896, à la suite d’un don du collectionneur américain Henry C. Gibson (1830-1891), premier acheteur de l’œuvre issue de la collection de Juliette courbet, la fille du peintre. Il est intéressant de noter que la France ne s’était pas portée acquéreur en 1987 du Chêne de Flagey, qui allait devenir l’une des pièces maîtresses du musée privé (le Murauchi Art Museum à Hachioji, à l’ouest de Tokyo), fondé en 1982 par Michimasa Murauchi et qui comporte parait-il un bel ensemble – une « petite » dizaine – d’oeuvres de Gustave Courbet.
Très attaché à son terroir natal, l’artiste s’en est inspiré pour de nombreuses oeuvres, dont Le chêne de Flagey. Situé non loin de la ferme familiale, l’arbre a aujourd’hui disparu, victime de la foudre. Raison de plus pour souhaiter le retour du tableau au Musée Courbet d’Ornans, où « il prendra tout son sens et toute sa dimension, en s’intégrant à nouveau dans le paysage qui a tant inspiré Courbet», souligne-t-on au Conseil général du Doubs. (2)
Quant au sens de cette œuvre si particulière par sa composition, les interprétations n’ont pas manqué. Certains y ont vu un autoportrait, cet arbre majestueux incarnant « la force du peintre qui, réputé pour son égocentrisme, se serait servi d’éléments naturels pour se représenter tel qu’il se voyait »… Par ailleurs, sous-titrée Le Chêne de Vercingétorix, camp de César près d’Alésia, Franche-Comté, la toile en question serait « une allégorie de l’artiste en champion du régionalisme ». On peut en faire une interprétation à la fois plus symbolique et plus politique. Ce sous titre, ajouté par Courbet lors de son exposition personnelle de 1867, est à replacer dans le contexte de l’époque. En effet, au milieu du XIXe siècle, une querelle virulente divisait l’opinion publique sur l’emplacement du site de la bataille historique d’Alésia : Alaise, dans le Doubs ou Alise Sainte-Reine, en Côte d’Or (Bourgogne). Napoléon III avait apporté officiellement son soutien à la position bourguignonne dans son Histoire de Jules César (1866), Vercingétorix personnifiant alors les origines de la démocratie française. Le « duel Alaise/Alésia » devenait confrontation idéologique : Vercingétorix contre Jules César, démocratie contre impérialisme, indépendance régionale contre pouvoir centralisateur, Courbet contre Napoléon III…
Rappelons qu’en raison de ses idées républicaines et socialistes, l’artiste avait refusé la légion d’honneur proposé par l’empereur. Il sera emprisonné six mois après la chute de la Commune et, condamné à une amende colossale destinée à rembourser la reconstruction de la colonne Vendôme dont il avait prôné la destruction, il devra s’exiler en Suisse.
(1) Les dons des particuliers sont déductibles d’impôts à 66%, ceux des entreprises à 90% grâce au classement du tableau comme « œuvre d’intérêt patrimonial majeur » annoncé par le Ministère de la Culture.
Voir les conditions de souscription et inscription sur http://www.musee-courbet.fr/
Le musée Courbet d’Ornans, contrôlé par le ministère de la culture depuis 1971, est la propriété du Département du Doubs qui en assure le financement et le fonctionnement.
(2) Un circuit « Courbet » a été mis en place par le Conseil général du Doubs. Ainsi que sur d’autres personnalités célèbres franc-comtoises, comme par exemple Pasteur. Pour en savoir plus, cliquer ici.
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