… quand nait Victor Hugo, le 26 février 1802, au premier étage d’une maison au 140 Grande-Rue à Besançon. Cette maison, où le futur homme illustre n’a séjourné que les six premières semaines de sa vie, est depuis le 14 septembre 2013 ouverte au public. À la différence des autres demeures où vécut Hugo – place des Vosges à Paris ou Hauteville House sur l’île de Guernesey – la Ville de Besançon a choisi de ne pas en faire un musée, mais un lieu dédié aux combats menés par l’écrivain et à leur actualité dans le monde d’aujourd’hui.
« Ce siècle avait deux ans ! […] / Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, / Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole, / Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois / Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; / […] Cet enfant que la vie effaçait de son livre, / Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre, / C’est moi. ».

La pharmacie Baratte reconstituée © DR
C’est ainsi que Victor Hugo évoque sa ville natale dans le premier poème de Feuilles d’automne. Oui, le troisième enfant du chef de bataillon Léopold Hugo en garnison à Besançon et de Sophie Trébuchet était chétif… Et la famille eut sans doute recours aux remèdes de la boutique d’apothicaire, installée depuis le XVIIIe siècle au rez-de-chaussée de la maison. La pharmacie Baratte a été reconstituée quasiment à l’identique, avec la réinstallation dans leurs murs d’origine des boiseries, faïences et verreries de la boutique. (1)
L’immeuble est propriété de la Ville depuis 1932 et l’appartement où est né Victor Hugo est au premier étage, où se trouve désormais l’essentiel de l’exposition permanente dédiée aux combats de l’écrivain. On y accède de la rue, par une entrée distincte de celle de l’immeuble, les autres étages étant toujours habités.

La maison natale de Hugo, aujourd’hui © DR
Qu’on ne s’attende pas à trouver des objets rares ou précieux, à l’exception de quelques pièces comme un lustre de Murano, jusque là installé dans la maison de la place des Vosges à Paris, tout comme le mobilier du salon de l’appartement parisien de la rue de Clichy habité par Hugo à son retour d’exil, ainsi qu’un buste sculpté par Rodin. Si manuscrits et dessins – tous légués par Hugo à la Bibliothèque nationale de Paris, en espérant qu’elle serait « un jour la Bibliothèque des Etats-Unis d’Europe » – sont absents, par contre beaucoup de documents originaux (lettres, notes, images, photos, quelques éditions originales) ont pu être réunis grâce à des dons et des acquisitions qui depuis 2009 ont considérablement enrichi la collection de la Bibliothèque municipale. Ce qui fait de la Maison natale de Victor Hugo « une pépite sur le chemin de la citadelle« , pour reprendre la formule de Jean-Louis Fousseret, maire de Besançon et président de l’Association des sites Vauban.

Repères chronologiques au long de l’escalier menant au 1er étage © db
Une pépite qui doit beaucoup à une scénographie inventive, signée de l’agence Harmatan, qui pallie avec bonheur la relative absence de pièces marquantes.
Au rez-de-chaussée, sont évoqués les liens qu’a entretenus Victor Hugo avec sa ville natale, sans pourtant jamais y être revenu. Ce dont les Bisontins ne lui ont apparemment pas trop tenu rigueur, comme en témoigne la lettre que Hugo leur a adressée en 1880 pour les remercier d’avoir apposé une plaque sur sa maison natale : « Je suis une pierre de la route où marche l’humanité, mais c’est la bonne route. L’homme n’est le maître ni de sa vie, ni de sa mort. Il ne peut qu’offrir à ses concitoyens ses efforts pour diminuer la souffrance humaine, et qu’offrir à Dieu sa foi invincible dans l’accroissement de la liberté. »
Au centre, une table tactile permet de parcourir la ville sur les traces de Victor Hugo, mais aussi du riche passé littéraire de la ville. On y reviendra.
A l’étage, l’exposition se déploie sur quatre espaces distincts correspondant aux quatre grands combats menés par Hugo : liberté d’expression, dignité humaine, droits des enfants et liberté des peuples. Citations et documents illustrent chacun de ces thèmes, leur prolongement dans le monde d’aujourd’hui étant assumé par des organisations partenaires : Amnesty International, ATD Quart monde, Unicef et Reporters sans Frontières. On peut regretter que la liberté d’expression ait été réduite à la liberté de la presse par le seul biais de RSF.

Napoléon III transporte les oeuvres de l’exilé politique… © db
Heureusement, sur une table deux bustes de Napoléon III (alias « Napoléon le petit »), l’un entier, l’autre brisé révélant son contenu, évoquent le stratagème particulièrement ironique par lequel les oeuvres et pamphlets de Hugo en exil bravaient la censure et parvenaient en France !
Dans l’espace dédié à la lutte contre la peine de mort, la parole est donnée à Robert Badinter, artisan de son abolition en France en 1981 et qui rendit alors explicitement hommage à l’écrivain.(2)
Besançon terre d’écrivains et autres célébrités… Avant de commencer la visite de la Maison natale de Victor Hugo, on s’était arrêté un instant sur la place à laquelle on a donné son nom en 1896, onze ans après sa mort. Un lieu qui a aussi vu naître, en 1780, Charles Nodier, « écrivain romantique, conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, ami de Victor Hugo« , comme le rappelle la plaque apposée à l’emplacement de la maison aujourd’hui disparue. D’où la tentation de faire de Besançon « la capitale provinciale du romantisme français« , indique Lionel Estavoyer, historien d’art et conseiller pour le patrimoine à la mairie de Besançon.
Un quart de tour à gauche et le regard accroche une autre plaque, dédiée celle-ci aux « Inventeurs du cinématographe », les frères Lumière, Auguste et Louis, nés respectivement en 1862 et 1864 dans cette maison à l’angle de la Place et de la Grand-Rue. Et en descendant un peu dans celle-ci on trouvera la maison natale de l’utopiste Charles Fourier (1772-1837), en partie démolie. Joseph Proudhon est lui aussi né à Besançon, en 1809…

Présentation du mobilier de la rue de Clichy © db
Retour à la littérature avec, bien sûr, Stendhal, qui, dans Le rouge et le Noir, fait étudier son héros Julien Sorel au séminaire de Besançon, » une des plus belles villes de France« . Notre guide intarissable sur les références littéraires bisontines évoque Choderlos de Laclos , qui « a écrit Les Liaisons dangereuses, en partie à Besançon où il était en garnison« . Et Flaubert, qui « en 1845, de retour de voyage de noces en Italie fait un détour par Besançon pour voir la maison natale de Victor Hugo« . En parlant de Maison, il y a aussi celle de Colette. L’auteur des Claudine a passé huit ans dans la capitale comtoise. (3)
On poursuivra le circuit Victor Hugo avec l’esplanade des Droits de l’Homme où se trouve la statue sculptée par Ousmane Sow, en l’honneur de la Journée du Refus de l’Exclusion et de la Misère. Sur le chemin on aura fait une halte au Musée du Temps, installé dans un palais Renaissance. Un musée qui n’avait sa place nulle part ailleurs qu’à Besançon, sacrée « Capitale de la montre française » lors de l’exposition universelle de 1860. Après une période de profond déclin, la tradition horlogère revit dans l’activité économique, réorientée vers les micro et nanotechnologies.
« Besançon, l’air(e) du Temps« : on dira que le slogan touristique est bien trouvé…

La statuede Victor Hugo, oeuvre d’Ousmane Sow © DR
(1) L’ensemble, vendu au début du XXe siècle, est passé dans les mains de propriétaires successifs avant d’être légué à la ville de Nice et exposé au Palais Lascaris. Son retour à Besançon a été négocié dans le cadre d’un échange de dépôt. La maison natale a retrouvé sa pharmacie, tandis que le palais Lascaris, a reçu quatre portraits des ducs de Savoie, peints au XVIIIe siècle, des instruments de musique anciens et une belle pièce d’horlogerie.
(2) Robert Badinter est le parrain de la Maison de Victor Hugo aux côtés de Jean-Marc Hovasse, directeur de recherche au CNRS et auteur d’une biographie de Hugo.
(3) Sa maison des Montboucons, un temps menacée par des promoteurs immobiliers, a été sauvée par la Ville de Besançon qui souhaite y créer une résidence d’artistes.
Pour en savoir plus sur La citadelle de Vauban et le Musée du Temps, cliquer ici