« EN ÉCHO » : Les PHOTAUMNALES à Beauvais

Hippolyte Bayard, "Album d'essais",1839 / coll. Société française de photographie (SFP)

Hippolyte Bayard, « Album d’essais »,1839 / coll. Société française de photographie (SFP)/photo db

 

La Photographie est à l’honneur à Beauvais avec les « Photaumnales », le festival créé en 2004 et organisé par  Diaphane – Pôle photographique en Picardie. Cette 12ème édition (du 19 septembre au 29 novembre 2015)  rend hommage à Hippolyte Bayard (1801-1887), un des pionniers de l’image argentique. « En écho » à ses premiers essais photosensibles réalisés en 1839, l’exposition « Taches et Traces » à la Galerie nationale de la tapisserie présente des artistes contemporains qui créent de nouvelles  images avec des techniques anciennes. Tandis qu’au Musée départemental de l’Oise (MUDO), l’exposition « À chacun son jardin : un passion d’artistes » met en regard des daguerréotypes de Bayard, avec l’art décoratif du XIXe siècle et des photographes contemporains. Cette édition 2015 des Photaumnales compte  plus d’une dizaine de manifestations disséminées dans la ville 

Sylvie Meunier "Avant que tu ne disparaisses /photo db

Sylvie Meunier « Avant que tu ne disparaisses /photo db

C’était une belle idée que de commencer notre parcours par l’exposition de Sylvie Meunier, installée dans le sympathique bistro associatif, L’Écume des jours. Avant que tu ne disparaisses nous confronte à l’effacement progressif de l’image sur son support papier. L’artiste a rassemblé des portraits d’anonymes issus de photographies d’identité de la fin du XIXe siècle que le temps a déjà altérées. Reproduites et sérigraphiées sur un double support en tissu – crêpe opaque et organza de soie transparent – ces photos acquièrent une autre existence, nostalgique et poétique.

Si les images estompées que Sylvie Meunier fige et métamorphose sont encore parfaitement identifiables, celles qu’Hippolyte Bayard a réunies dans son Album d’essais de 1839 ne sont guère que Taches et traces, entre apparition et disparition. Ces premiers essais photosensibles se traduisent par des « images changeantes aux limites de l’abstraction« , résultant du « procédé positif direct » utilisé alors par Bayard et qui « n’était pas fixé, mais seulement stabilisé« , explique Luce Lebart, directrice des collections de la Société française de photographie et co-commissaire de l’exposition.

Hippolyte Bayard, "Autoportrait en noyé"/ Coll. SFP

Hippolyte Bayard, « Autoportrait en noyé »/ Coll. SFP

Ces « images » à la fois émouvantes et fascinantes précèdent l’Autoportrait en noyé réalisé par Bayard en 1840 et souvent désigné comme « la première photographie d’art ». En fait, « Négligé par ceux, savants ou politiciens, qui ont officialisé quelques mois plus tôt l’invention de la photographie, l’expérimentateur a exprimé sa déception en se mettant en scène en noyé« ,  et  » la mode du « selfie », dont Le noyé formerait l’un des plus lointains ancêtres argentiques, a récemment amplifié le succès de cette première mise en scène de l’histoire de la photographie« , précise Luce Lebart.

Une mise en scène que son auteur à l’humour macabre accompagne d’un faire part, où il exprime l’amertume de « cet ingénieux et infatigable chercheur » face à l’indifférence des autorités et institutions. « Le Gouvernement qui avait beaucoup trop donné à M.Daguerre a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé« , écrit-il. (1) Voilà un aspect des débuts de l’histoire de la photographie qui nous avait échappé. Tout comme, avouons-le, le travail pionnier d’Hippolyte Bayard …

Un travail pionnier qui inspire des artistes contemporains. S’emparant de ces techniques et procédés anciens, avec leur complexité, leur durée ou leurs accidents, ils les détournent et créent une nouvelle esthétique, comme ceux réunis dans l’exposition Traces et taches présentée dans les vastes salles de la Galerie nationale de la tapisserie.

Jean-Pierre Sudre, "Paysage matériographique", Lacoste 1980/ Coll. particulière/photo db

Jean-Pierre Sudre, « Paysage matériographique », Lacoste 1980/ Coll. particulière/photo db

 

Comme Jean-Pierre Sudre et les images mystérieuses de ses « paysages matériographiques », qu’on croirait celles d’une autre planète ou d’un phénomène tellurique inconnu.. Elle sont pourtant « l’empreinte directe de la structure de la matière« , à l’issue d’un processus que détaille Jean-Claude Lemagny, conservateur honoraire à la Bnf : « Sur une plaque de verre, Sudre laisse sécher un corps qui cristallise et laisse voir à l’œil nu ses fins réseaux à la fois rigoureux et baroques, comme le givre sur la fenêtre en hiver. C’est là son négatif. C’est-à-dire que la lumière passe à travers la matière même dont elle va imprimer l’image sur le papier photographique. Rien de plus réaliste que ces œuvres… »

Pascal Mirande, "Héliotropisme" 2013 / photo db

Pascal Mirande, « Héliotropisme » 2013 / photo db

Ou encore Les clichés d’arbres de Pascal Mirande. Invité dans le cadre d’une résidence à n’avoir recours qu’au Collodion humide et à la chambre photographique, « l’artiste s’est accommodé des accidents photographiques inhérents au procédé, pour les ériger en parti pris esthétique« . Il en résulte des images tourmentées, comme arrachées à un paysage cinématographique.

Martin Becka, "Dubai Transmutations" Burj al Arab, 2008 / Photo db

Martin Becka, « Dubai Transmutations » Burj al Arab, 2008 / Photo db

Dans un registre différent, Martin Becka, avec la série Dubai

Transmutations (2008) joue sur la confrontation entre l’ultra modernité du sujet et le recours à une technique ancienne, en l’occurrence la chambre photographique 40×50 et le négatif papier ciré, un procédé inventé en 1851 par Le Gray. L’architecture futuriste de Dubai acquiert ainsi une dimension quasi archéologique.

La photographe finlandaise Marja Pirilä fait le choix de la camera obscura, pour réaliser des images qui, de documentaires dans le projet initial, sont devenues « une sorte de voyage dans un paysage mental : reflet de souvenirs, de rêveries, de peurs… », explique-t-elle.

Ce ne sont là que quelques exemples d’un parcours  passionnant au fil des oeuvres d’une douzaine d’artistes réunis en écho à Hippolyte Bayard…

Marja Pirilä, camera obscura, "Melchior, Rouen, Ranska" 2007

Marja Pirilä, camera obscura, « Melchior, Rouen, Ranska » 2007 /photo db

 

… Que l’on retrouve, avec des daguerréotypes réalisés dans les années 1840 dans l’exposition À chacun son jardin : Une passion d’artistes, réalisée avec le soutien du musée d’Orsay et présentée dans l’enceinte du Musée de l’Oise. Car en ces temps d’expérimentations techniques, « qui nécessitent de longs temps de pose, les pionniers-photographes utilisent les lieux intimes et ensoleillés qu’ils connaissent. Le jardin devient en quelque sorte « l’atelier du photographe »« , indique Claudine Cartier, conservateur général honoraire du patrimoine et commissaire de l’exposition. A quoi s’ajoutent les arts décoratifs de la période Art Nouveau, avec des artistes qui s’emparent des motifs floraux et végétaux, comme le céramiste Auguste Delaherche (1857-1940) et le verrier Émile Gallé (1846-1904), dont on peut voir des oeuvres dans l’exposition.

Paul Den Hollander, "Hortus Siccus" 1993/Herbier des Indes orientales (XIXe siècle)MNHN Paris/photo db

Paul Den Hollander, « Hortus Siccus » 1993/Herbier des Indes orientales (XIXe siècle)MNHN Paris/photo db

Enfin, on ne peut évoquer la nature sans l’entreprise de classement dont elle a été l’objet par les botanistes aux XVIIIe et XIXe siècles et que traduisent les collections rassemblées dans les herbiers. L’artiste contemporain Paul den Hollander (né en 1950 à Breda aux Pays-Bas), – qui s’intéresse à la fois à la relation des hommes à la nature et pour qui le jardin a toujours été « source d’enrichissement et d’inspiration » –  s’est penché sur des collections de plantes séchées dans différents instituts botaniques qu’il a photographiées en noir et blanc. On peut voir quelques oeuvres de cette série intitulée Voyage Botanique …

… Un voyage à l’issue duquel on ira visiter le MUDO,  installé dans l’ancien palais épiscopal, un édifice Renaissance édifié au XVIe siècle.  Après plusieurs années d’importants travaux de rénovation, le Musée de l’Oise présente depuis 2015 un nouveau parcours dans sa belle collection  du XIXe siècle, avec notamment une sélection d’oeuvres dédiées au paysage.

Et, bien sûr, si on ne l’a déjà fait, en sortant du MUDO on visitera l’imposante cathédrale. À défaut d’avoir la flèche la plus haute – effondrée avec les trois étages du clocher, en 1573, quelques années seulement après son achèvement et jamais reconstruite – l’édifice gothique possède la voûte de choeur la plus élevée (48,5m) au monde….

 

Le MUDO / septembre 2015 © db

Le MUDO / septembre 2015 © db

 

En fait, les travaux amorcés à la fin du XIIIe siècle ne furent jamais complètement achevés, la construction cumulant au fil des siècles les aléas techniques et historiques. Un inachèvement qui fragilise à jamais la cathédrale – classée monument historique en 1840 – et implique des travaux de restauration et consolidation permanents, dont témoignent les très nombreux échafaudages à l’intérieur. Ce qui, paradoxalement, lui donne vie en établissant une plus grande proximité avec le visiteur… qui ne manquera pas d’admirer notamment l’étonnante horloge astronomique. Fabriquée au XIXe siècle par un horloger de la ville, elle renferme un mécanisme d’acier et de laiton de 90 000 pièces qui actionne les automates et 52 cadrans en émail…

 

BEAUVAIS cathédrale

 

(1) Le 7 janvier 1839,  « Arago annonçait à Paris les fixations réussies d’images sur plaques métalliques menées par Daguerre« , rappelle Luce Lebat. Une date communément retenue comme celle de « l’invention » de la photographie.

Hippolyte Bayard, "Nature morte au chapeau avec chaise, instruments de jardinage", 1842 © Société française de photographie

Hippolyte Bayard, « Nature morte au chapeau avec chaise, instruments de jardinage », 1842 © Société française de photographie

 

 

Pour le programme complet des Photaumnales, cliquer ici

Diaphane
16 rue de Paris

60600 Clermont-de-l’Oise
08 83 56 34 41

 

 

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