
Valère Novarina, « Le vivier des noms » © Pierre Grosbois
En tournée depuis sa création au Festival d’Avignon en 2015, ce spectacle de Valère Novarina s’est posé pour quelques représentations, jusqu’au 26 janvier 2017, sur la scène nationale de Malakoff. L’auteur n’a pas attendu ce « vivier » pour faire vivre le langage : son oeuvre tout entière donne corps à celui-ci dans une profusion/fusion de mots, de leurs sons et de leur sens. D’abord le titre de quelques-uns des cahiers où l’auteur consigne depuis des années des noms de personnages, « Le Vivier des noms » est devenu ce texte ébouriffant et profond, incarné pendant plus de deux heures ininterrompues par un musicien et huit formidables acteurs.
À commencer par l’Historienne – interprétée par Claire Sermonne, dont la frêle silhouette vêtue de noir et blanc et la gestuelle évoquent le théâtre japonais – sur qui va reposer l’enchaînement des cinquante-deux scènes de cette histoire sans fin, après avoir planté le décor : « Le rideau se lève sur un intérieur très en désordre. A gauche, trois premières marches visibles d’un escalier en colimaçon mènent au galetas, à droite une porte vitrée donne sur une véranda largement ouverte sur un jardin d’hiver; au centre, une houppelande beige à carreaux a été négligemment jetée sur les accoudoirs d’une bergère Louis-Philippe… », etc. Bien sûr, cela n’est que fiction.

Claire Sermonne, dans « Le Vivier des noms » de Valère Novarina
Une manière d’introduire cette autre fiction que sont les personnages dont elle énonce/annonce les noms extravagants : « Le Rongeur Caché, L’Enfant à la Triple Base, Le Multisyllabaire, Jeanjean Strophique, L’Enchanteresse, Le Dévoreur Dedans, La Vénérable Madrilène, L’Anthropomètre, Le Mangeur de la Vie, Le Crâne du Musicien Laps, Le Rongeur de son propre Refrain », etc.
Fictions? Qui n’a jamais rencontré « L’homme inhumain » ou « Le Rongeur de son propre refrain »? Qui n’a jamais eu « malaufond »?… Et si « la vie est pleine de choses », quand les morts parlent, c’est plein de sens : « Une fois dans terre, nous n’irons pas chercher par quatre chemins la raison enfouie sous nos pas sans laisser de traces… ». Ce qui n’empêche pas de crier « Mort à la mort »… Ou encore de chanter « Non, l’homme n’est pas bon »… mais peut-être que « L’homme n’est pas né », comme l’affirme le chien Uzedent …
Les acteurs entrent, bougent et sortent dans une scénographie simple, habitée par les oeuvres peintes – traits noirs et rouges sur fond blanc – de Novarina, déployées au sol ou dressées verticalement. Une scénographie signée Philippe Marioge qui « ne se fait pas voir » mais « aide à voir et à recevoir », car « ce qui est donné au regard – donc à l’écoute – c’est l’acteur proférant une matière verbale, se détachant sur une matière picturale », souligne le scénographe (1)

Valère Novarina, « Le Vivier des noms » © Pierre Gosbois
Pour Novarina « Le langage est de la dynamite » et il s’étonne beaucoup « qu’aujourd’hui le théâtre semble l’oublier – au profit des actes transgressifs, des ambiances insupportables et des atmosphères sirupeuses » … « La force diffère de la violence autant que de la faiblesse », rappelle-t-il en citant Joseph de Maistre (2)
Une force à l’oeuvre dans les textes de Valère Novarina et qui parle au spectateur, à condition que celui-ci « laisse entrer l’acteur et ne s’attende à rien », sinon à ce qui arrive, se joue et se dit sur la scène, car « le théâtre est au fond l’action du langage devenue visible ». Saluons les comédiens par qui advient cette visibilité : Ivan hérisson, Julie Kpéré, rené Turquois, Dominique Parent, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve et Valérie Vinci, accompagnés par l’accordéon de Christian Paccoud, sans oublier les « ouvriers du drame », Elie Hourbeigt et Richard Pierre.
Oui, répondant au désir de l’auteur, nous sommes sortis du théâtre « avec l’esprit un peu plus mobile, plus souple », pour continuer à « hommer »… (3)

« Le Vivier des noms » © Valère Novarina
(1) « L’ingénieur du vide » in Valère Novarina sous la direction de Laure Née, éditions Garnier, coll. « Écrivains d’aujourd’hui », 2015
(2) in Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1822) On peut consulter l’ouvrage sur Gallica
(3) ce dernier « mot » est emprunté à un autre texte de Valère Novarina, Le Repas, que nous avions découvert dans la mise en scène de Thomas Quillardet à la Maison de la Poésie en 2011.
Théâtre 71
3 Place du 11 Novembre
92240 Malakoff
01 55 48 91 00
Les 2 & 3 février 2017, Le Vivier des noms sera représenté à l’Hexagone, Scène Nationale de Meylan | 04 76 90 00 45