Henry Valensi et « La musique des couleurs » à Montbéliard

Le musée du château des ducs de Wurtemberg de Montbéliard propose jusqu’au 17 septembre 2017 une rétrospective dédiée au peintre Henry Valensi (1883-1960). Connu surtout comme le chef de file du mouvement Musicaliste créé en 1932, l’artiste n’a eu de cesse à partir des années 1920 de chercher à inscrire la temporalité et le mouvement dans l’espace de la toile. Une quête qui se nourrit à la fois de ses voyages et de son goût pour la science, notamment les mathématiques. Au travers d’une centaine d’oeuvres et documents, l’exposition « La musique des couleurs »  retrace l’évolution de sa peinture, de l’impressionnisme à l’abstraction, et apporte un nouveau regard sur un artiste méconnu du XXème siècle. C’est aussi l’occasion de découvrir le château des ducs de Wurtemberg et l’Hôtel Beurnier-Rossel où est installé  le musée d’Art et d’Histoire de la ville qui a vu naître Cuvier.

Si la gare TGV Belfort-Montbéliard a installé son ingrate architecture métallique au milieu de nulle part entre les deux cités, le château des ducs de Wurtemberg, lui, dresse ses deux grosses tours sur un éperon rocheux en plein coeur de la ville de Montbéliard. (1)  Un édifice sans cesse transformé au fil des siècles, de  la forteresse médiévale du Xe siècle au corps principal reconstruit au XVIIIe. En 1960 le château est devenu  un musée regroupant d’importantes collections – archéologie, histoire naturelle et beaux-arts – auxquelles est venue s’ajouter à partir de 1970 une collection  d’art contemporain. Des expositions temporaires sont régulièrement organisées.

Henry Valensi, « Alger, le port », 1912, Coll. privée /photo db

Après la rétrospective consacrée en 2016 au peintre fauve Jean Puy  (1876-1960), avec notamment des oeuvres issues de sa propre collection, le Musée du château des ducs de Wurtemberg dédie sa nouvelle exposition à cet artiste singulier qu’est Henry Valensi. (2) Si tous deux ont des personnalités et trajectoires artistiques totalement différentes, ils ont en partage d’avoir traversé la première moitié du XXe siècle en produisant une oeuvre aujourd’hui injustement tombée dans l’oubli ou méconnue. Même si dans le cas de Valensi, cinquante ans après une rétrospective à Lyon en 1963, on peut dire qu’il « suscite un intérêt grandissant depuis l’accrochage Modernités plurielles du Centre Pompidou en 2013 », souligne Aurélie Voltz, directrice des musées de Montbéliard et commissaire de l’exposition. (3)

Henry Valensi, « Athènes », 1909, Coll. privée / photo db

Le choix d’un parcours chronologique s’imposait pour un artiste qui est aussi un théoricien et dont la création évolue en fonction de  recherches axées sur le lien entre la science et l’art. D’où l’organisation de l’exposition en quatre sections qui, de 1909 à 1960, correspondent aux principales étapes de sa vie et de sa réflexion, jalonnées de beaucoup de mots en « isme », (orientalisme, impressionnisme, expressionnisme, rayonnisme, futurisme, musicalisme) et d’oeuvres emblématiques.

Né à Alger en 1883, Henry Valensi étudie la peinture en 1898 à l’École des Beaux-Arts à Paris où sa famille d’origine judéo-espagnole est venue s’installer, fuyant l’exacerbation de l’antisémitisme suscitée par l’Affaire Dreyfus. Intéressé par le mouvement orientaliste, il effectue de nombreux voyages en Europe, notamment en Grèce,  et en Afrique du Nord. De retour à Paris, Valensi rejoint les réunions d’artistes du Groupe de Puteaux. Mathématiques, quatrième dimension, géométrie et introduction du mouvement sur la toile sont au cœur des discussions, en réponse aux temps modernes. Avec Marcel Duchamp, Francis Picabia, Albert Gleizes et Jean Metzinger, ils organisent ensemble le Salon de la Section d’or de 1912, premier salon cubo-futuriste.

Henry Valensi, « Les faucheurs », 1910, Courtesy Galerie Le Minotaure © ADAGP – Paris, 2017

Dans cette première période (années 1909 à 1914) on passe de Athènes, toile peinte en 1909  où Valensi s’écarte de l’impressionnisme tout en restant figuratif, à Les Faucheurs, une oeuvre de 1910 où « c’est moins la figure du faucheur que la dynamique du geste qui est représentée, donnant à voir la trace que semblent laisser dans l’espace les mouvements répétés de manière rapide »…

Henry Valensi, « Expression des dardanelles », 1917 , BDIC / Photo db

La guerre marque un tournant. Affecté par la disparition de son frère Raoul, mort en vol au début du conflit, Henry Valensi décide de s’engager comme volontaire. C’est en tant que peintre des Armées qu’il documente  pendant plusieurs mois la campagne des Dardanelles. Il en rapporte plus de deux cents oeuvres qui font l’objet d’une exposition en 1917. L’Expression des Dardanelles, synthétise cette expérience, avec une toile entre figuration et abstraction organisée autour d’un motif central en forme de « D ».

Après-guerre, Henry Valensi développe des thèmes issus de la modernité, propices à poursuivre sa quête du mouvement avec notamment ces « engins dynamiques » que sont l’hydravion, l’automobile ou la locomotive. Exemplaire à cet égard que ce Voyage en chemin de fer (1927) où « roues, dédales de rails et fils électriques, villes et campagnes sont pris dans un tournoiement de plans et de motifs géométriques », y compris le « regard social » avec la représentation des différences de confort entre les trois classes du train…

Henry Valensi, « Tolède ou l’Hommage au Greco », 1926, Coll. privée / Photo db

Parallèlement, ses nombreux voyages en Europe et jusqu’au cœur du Sahara le conduisent à opérer des synthèses de l’histoire et de la géographie des villes, régions et territoires traversés. Si l’extrême complexité de l’immense toile Rome (1923) la rend peu accessible, l’ « expression » picturale qu’il livre de la ville espagnole de Tolède dans la petite toile Tolède ou l’Hommage au Greco est éloquente.

Henry Valensi, « Mariage des palmiers, Bou-Saada » 1921, Centre Pompidou / Photo db

Quant au Mariage des Palmiers, Bou-Saâda (1921), qui évoque cette lumière de l’Algérie où il est revenu régulièrement et où il trouvera refuge en 1940 pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’en dégage une grande impression d’harmonie et de douceur. La toile doit son titre à deux palmiers penchés l’un vers l’autre, l’un est bleu, l’autre rouge; le bleu étant associé à la lune, la femme, le rouge au soleil, à l’homme.

La quatrième et dernière section de l’exposition, « Du Musicalisme à la Cinépeinture », couvre les années 1932 à 1960. « En 1932, Henry Valensi rencontre Gustave Bourgogne, Charles Blanc-Gatti et Vito Stracquadaini avec qui il crée l’Association des artistes musicalistes. Selon leur manifeste, la peinture « doit suivre les lois générales de la musique, entre rythme, dynamique et simultanéité. Ils mesurent l’importance de former un noyau susceptible d’attirer d’autres créateurs et sont bientôt rejoints par les peintres Robert et Sonia Delaunay, le sculpteur Zadkine, ou encore les compositeurs Maurice Ravel ou Darius Milhaud ».

Mais depuis les années 1930, Valensi concevait ses tableaux « dans l’attente du cinéma en couleurs, qui, selon lui, doit faire passer l’œuvre peinte du chevalet à l’écran ». Ce sera chose faite avec le court-métrage de trente minutes qu’il entreprend de réaliser à partir de sa toile Symphonie printanière de 1932 et qu’il mettra plus de vingt ans à finaliser.  Une oeuvre titanesque pour laquelle il aura effectué quelque 64 000 dessins… Le film est présenté dans l’exposition pour la première fois avec son scénario original.

Henry Valensi, « Nocturne pour un couple » 1955, Coll. privée / Photo db

Le parcours s’achève sur des toiles des années 1950 à la tonalité plus intime, avec pour référence musicale le « Nocturne », comme Nocturne pour un couple (1955). Dans cette toile peinte au lendemain de la mort de la femme de l’artiste, on retrouve la symbolique du masculin et du féminin, dans la fusion du rouge et du bleu qui se détache sur un fond sombre, entre éclat et tristesse. Tandis que les voyages l’emmènent désormais vers la Scandinavie « à la recherche de la lumière du lumière du Grand Nord ».

La présence de Didier Vallens, le neveu de Henry Valensi, et président de l’Association des ayants droit du peintre, lors de notre visite de l’exposition aura été précieuse pour éclairer la personnalité d’un artiste à l’énergie impressionnante, un chercheur insatiable chez qui l’attrait pour la science n’exclut pas la fantaisie, un conférencier hors pair pour la diffusion de ses théories.  (4)

Après l’exposition, une visite s’impose à l’Hôtel Beurnier-Rossel, une bâtisse du XVIIIe devenue le musée d’Art et d’Histoire de la ville. Il ne faut pas oublier d’aller jusqu’aux combles qui abritent une collection étonnante de boîtes à musique fabriquées par l’usine L’Épée de Sainte-Suzanne, petit village situé à côté de Montbéliard. Le musée présente jusqu’au 31 décembre 2017 une passionnante exposition,  « Fossiles : quelles histoires! Des mythes à la paléontologie ». Il est vrai que nous sommes dans la ville natale de Cuvier (1769-1832), père de la paléontologie scientifique…

Montbéliard, Hôtel Beurnier-Rossel © db

(1) Si l’extérieur est ingrat, l’intérieur de la gare est accueillant, lumineux et spacieux… et le service de bus et navettes bien organisé.
(2) Jean Puy avait fait l’objet d’une importante rétrospective au musée Marmottant-Monet à Paris en 2004
(3) Le Centre Pompidou qui possède 18 tableaux de l’artiste fait partie des prêteurs de l’exposition, aux côtés des musées de Grenoble et Carcassonne, de la B.D.I.C., du CNC, ainsi que de plusieurs galeries et collectionneurs privés.  L’exposition est organisée en étroite collaboration avec l’Association des ayants droit de Henry Valensi.
(4) le Mercredi 31 mai 2017 à 18h, une rencontre est organisée avec Didier Vallens et Marie Talon, auteure du livre Henry Valensi (1883-1960), l’heure est venue
Réservation au 03 81 99 22 53 ou ltharreau@montbeliard.com

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Un commentaire pour Henry Valensi et « La musique des couleurs » à Montbéliard

  1. Belle découverte, merci pour cet aperçu de l’expo !

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