
« Bains publics », Pantin Avril 2017/photo db
Qui sont les usagers des bains-douches parisiens ? Grâce à la photographe Florence Levillain qui est allée à leur rencontre dans les dix-sept établissements de la capitale, on les découvre, dans leur diversité. Si la précarité les rassemble, les personnes photographiées composent une mosaïque de situations et d’histoires singulières. Et si « les petites histoires racontent les grandes misères », rappelle Florence Levillain en citant Bourdieu, ses portraits, à l’opposé du misérabilisme, restituent à chacun sa dimension personnelle et sa dignité. En contrepoint, le travail de Laurent Kruszyk, photographe du service Patrimoines et Inventaire à la Région Ile-de-France, expose les traces architecturales de ces lieux qui tendent à disparaître.Il y a aussi une belle rencontre entre les clichés et le lieu d’exposition : l’espace en déshérence des Sheds de Pantin. À voir jusqu’au 30 avril 2017.
Car cette année, Le Mois de la Photo a franchi le périphérique et, préfigurant le « Grand Paris » en gestation, propose 96 exposition sur 32 communes. Pantin en réunit pas moins de six, dont les Bains publics, présentée dans les anciens ateliers de la filature Cartier-Bresson, témoignages du passé industriel de la ville. (1)

Les Sheds de Pantin, avril 2017 / Photo db
Le décor dépouillé de ce lieu désaffecté répond à la fois à l’incertitude de ces vies captées dans un « instantané » et au caractère impersonnel des couloirs et espaces des bains-douches. À leur éclairage blafard Florence Levillain a substitué celui d’un studio-photo improvisé qui donne âme et vie à ses modèles d’un jour. Et pour que chacun d’eux soit « maître de son image », la photographe a mis en place un dispositif avec un miroir sans tain devant lequel chacun effectue les gestes habituels de soin, de vérification de l’apparence, dernier regard, dernière retouche, dans ce moment d’intimité avec soi-même, avant de retourner dans le monde.

Julie, « Bains publics » © Florence Levillain/La France vue d’ici/Signatures
« Je voulais qu’on les regarde dans les yeux »… Et on les voit, vraiment, ces usagers des bains-douches, dans leur très grande diversité. Ils sont une vingtaine à avoir accepté de poser. Chaque portrait s’accompagne de quelques lignes indiquant le nom de la personne photographiée et très brièvement sa situation, la raison pour laquelle elle fréquente les bains-douches.

Denis et Claire, « Bains publics »©Florence Levillain/La France vue d’ici/Signatures
Il y a Julie, artiste, venue de Bayonne à Paris pour exposer, elle y est restée et vit dans un hôtel aux sanitaires insalubres. D’où sa fréquentation des bains-douches de la rue de Charenton, dans le 12e.
Il y a les Anglais Denis et Claire venus en France en espérant trouver du travail. En vain. Ils vivent dans la rue. Claire est enceinte. C’est trop dur, ils pensent retourner au Royaume-Uni. Florence Levillain les a photographiés aux bains-douches de la rue Oberkampf, dans le 11e.

Fatima, « Bains publics »©Florence Levillain/La France vue d’ici/Signatures
Il y a Fatima, Tunisienne, qui a suivi son mari en France. Divorcée au bout de 24 ans, elle a fait des ménages et garde maintenant des enfants. Elle vit dans 12m2 et fréquente les bains-douches de la rue des Pyrénées, dans le 20e, depuis quinze ans: « C’est comme ma famille, je connais tout le monde », dit-elle.

Charly, « Bains publics »© Florence Levillain/La France vue d’ici/Signatures
Pour Charlie, chanteur crooner professionnel, le passage par les bains-douches rue de Buzenval, Paris 20e, est temporaire : il vit en foyer et la douche était en panne.
Quant à Patricia, elle a quitté le sud de la France pour se rapprocher de sa fille. Arrivée sans emploi à Paris, elle a depuis trouvé un travail de secrétaire de direction, mais vit dans une chambre sans eau chaude. D’où le recours aux bains-douches de la rue de Rome, Paris 8e. Ces bains publics qu’elle avait découvert en arrivant à Paris après une longue nuit de train. Le maquillage est léger, des bagues ornent sa main dont le majeur effleure la commissure des lèvres pour sans doute une rectification du rouge à lèvre, la tenue est soignée et élégante.

Patricia, « Bains publics » © Florence Levillain/La France vue d’ici/Signatures
Car « la précarité s’incarne parfois dans des visages inattendus », comme le souligne Frédérique Fournès, de l’agence Signatures et commissaire de l’exposition. Et c’est bien là le mérite de ce reportage photographique de Florence Levillain, de battre en brèche les généralités, les clichés associés à la précarité, en nous faisant rencontrer des personnes.

Bains-douches, rue de la Bidassoa, Paris 20e © Laurent Kruszyk, Région Ile de France, Adagp,2017
Laurent Kruszyk, s’est lui attaché à montrer ces bains-douches parisiens construits pour la plupart dans les années 1930, celles d’un courant hygiéniste qui a donné naissance à plus d’une vingtaine d’établissements, dont 17 sont encore en activité. L’emploi de la brique et du béton armé est privilégié pour leur construction, on observe une grande variété de styles, de l’art déco au modernisme. Des établissements qui dans leur ensemble ont été rénovés, mais quelques endroits vétustes n’ont pas échappé à l’objectif du photographe, donnant lieu parfois de curieux contrastes.

À gauche bains-douches bidassoa, Paris 20e/À droite Bains-douches Castagnary, Paris 15e © Laurent Kruszyk, Région Ile de France, Adagp 2017
Bains-publics fait l’objet d’un catalogue dans la collection Ré-inventaire (éditions Loco), qui répond, précisément, à une nouvelle approche du patrimoine. « Longtemps, les photos réalisées pour illustrer l’Inventaire ne souffraient pas de présence humaine puisqu’il s’agissait avant tout de témoigner visuellement d’un bâtiment dans ses moindres détails. Aujourd’hui (…) on se soucie davantage du lien qu’il peut y avoir entre une architecture et les usages qu’elle induit. », souligne Julie Corteville, conservatrice du patrimoine, responsable du service Patrimoine et Inventaire.
Mission accomplie avec cette exposition Bains-publics où les « usagers » des bains-douches municipaux photographiés par Florence Levillain donnent vie et sens aux lieux inventoriés par Laurent Kruszyk. (2)
Ce qui est sûr aussi, c’est qu’après avoir vu ces photographies, le regard que l’on portera sur ces « bains-douches municipaux » et ceux qui les fréquentent ne sera plus tout à fait le même…

Florence Levillain et Laurent Kruszyk
(1) Témoignages de l’architecture industrielle du milieu du XIXe siècle – la firme s’y était installée en 1859 – les ateliers aux toits à l’inclinaison asymétrique (sheds) ont bien failli être démolis, après avoir servi de garage, les traces des emplacements des véhicules sont encore visibles au sol.
(2) Florence Levillain et Laurent Kruszyk seront présents aux Sheds de Pantin le dimanche 23 avril de 14h à 19h
INFORMATIONS PRATIQUES
Les Sheds de l’usine de filature Cartier-Bresson
45 Rue Gabrielle Josserand,
93500 Pantin
Accès
Metro ligne 7 : Aubervilliers Pantin (4 Chemins) ou Fort d’Aubervilliers
RER E : Gare de Pantin
Du jeudi au dimanche de 14h à 19h
Entrée libre