Musée Gustave Moreau : les abstraits sortent du placard…

Atelier de Gustave Moreau, 3e étage/ Musée Gustave Moreau, Paris © Sylvain Sonnet

C’est au coeur du 9ème arrondissement de Paris, dans le quartier dit de La Nouvelle-Athènes, que se trouve le musée Gustave Moreau, là même où habita et travailla le peintre (1826-1898). Lequel a légué à l’État les lieux avec la collection de ses oeuvres, riche de quelque 25 000 peintures, aquarelles, dessins… Ainsi que nombre d’oeuvres qualifiées d’abord d’ « ébauches », puis d’ « abstraites » au cours du XXe siècle. Gardées en réserve, près d’une centaine de ces peintures et aquarelles sont aujourd’hui présentées au public jusqu’au 21 janvier 2019 dans le cadre de l’exposition Gustave Moreau, Vers le songe et l’abstrait. Organisé sur les trois étages du musée, le parcours de l’exposition se déploie au milieu des oeuvres de l’artiste accrochées aux cimaises du musée, offrant ainsi au visiteur des pistes pour tenter de déchiffrer la singularité et la complexité du processus créatif de Gustave Moreau.

Présenté dans la première section de l’exposition – « La fabrique de l’oeuvre » –  Le Triomphe d’Alexandre, ce grand tableau réalisé entre 1875 et 1890, accompagné de compositions préparatoires,  est une excellente introduction au déchiffrement de ce processus créatif.

Gustave Moreau, « Le triomphe d’Alexandre le Grand © RMN-Grand Palais/ Franck Raux

Dans cette oeuvre « à peine figurative, on peut saisir l’originalité de son art », comme le souligne Marie-Cécile Forest, directrice du musée et commissaire de l’exposition. Le tableau, censé relater la victoire d’Alexandre le Grand sur les armées de Porus, roi de l’Inde du Nord, n’a rien à voir avec une reconstitution historique. « Et l’âme de la Grèce triomphe, rayonnante et superbe, au loin dans ces régions inexplorées du rêve et du mystère », écrit Gustave Moreau.

En effet, le vainqueur, s’il domine du haut de son trône ce qu’on imagine être les vaincus, n’est lui-même qu’un personnage minuscule dans un tableau immense où l’emporte la vision grandiose d’un palais indien creusé au flanc de la montagne, au rendu très graphique. Le trait de dessin se détache encore plus nettement sur cette  masse claire qui se confond presque avec le ciel… « Dans Le Triomphe d’Alexandre, c’est la couleur qui construit et structure la composition d’ensemble sans définir les formes ni les volumes. La couleur se distribue sous forme de touches abstraites sur lesquelles vient se superposer le dessin figuratif », explique Marie-Cécile Forest.

Gustave Moreau, « Les muses quittent Apollon leur père pour aller éclairer le monde » (détail) / Photo db

En poursuivant la visite au deuxième étage et en s’approchant des toiles accrochées au mur du musée, on s’aperçoit que même celles  où les contours apparaissent à première vue nettement définis sont le résultat de ce processus de « superposition ».

La particularité du musée Gustave Moreau est de conserver de très nombreux « essais de couleur » à l’aquarelle sur lesquels Gustave Moreau testait ses couleurs et déchargeait ses pinceaux. L’exposition en présente une quinzaine et quelques aquarelles qui en découlent.

Gustave Moreau, ébauche, Plantes marines pour « Galatée » © RMN Grand Palais/Franck Raux

Moins attendu, un ensemble de peintures sur fond bleu – exposé pour la première fois – dont la particularité est d’avoir été réalisé sur du carton bleu laissé en réserve. Aucun motif n’est repérable, sauf une éventuelle étude de plantes marines pour Galatée, une des dernières oeuvres exposées par l’artiste au Salon…

Gustave Moreau, « Ébauche. Intérieur » © RMN-Gd Palais/René Gabriel Ojéda

L’exposition progresse vers le domaine de l’abstrait au fil des ébauches présentées dans les sections suivantes, au troisième étage du musée, sans qu’il soit possible de savoir si « les oeuvres non figuratives de Moreau sont, en fait, les prémices d’une oeuvre aboutie »,  comme certains critiques l’ont avancé dès l’ouverture du musée en 1903.

Gustave Moreau, « Ébauche » / Photo db

Une interrogation qui se fait plus insistante lorsqu’il s’agit de paysages ou dans des oeuvres où la troisième dimension a totalement disparu et où s’exprime le pur « chant plastique », pour reprendre les mots de Gustave Moreau. Certains critiques ont d’ailleurs voulu voir en lui, dès les années 1960, le père de l’abstraction… Il est vrai que c’est ainsi que notre regard aujourd’hui perçoit ces oeuvres.

Mais, avec la directrice du musée Gustave Moreau on doit se rendre à l’évidence : « l’intentionnalité de ces œuvres ne nous est pas connue. Rien n’indique que Moreau ait voulu faire de manière délibérée une œuvre abstraite au sens contemporain du terme. De fait, Moreau est avant tout un praticien, un ouvrier, un expérimentateur et non un théoricien qui voudrait mettre en pratique une théorie préalable. Ses peintures gardent leur mystère. »

Gustave Moreau, « Tentation de Saint-Antoine » © RMN-Gd Palais/Franck Raux

Et c’est bien ce mystère qui fait tout l’intérêt de cette exposition qu’il faut se  hâter de voir avant que ces « abstraits » ne retournent au placard  – bien réel lui – qui leur est destiné au rez-de-chaussée du musée…

 

Façade sur rue du musée Gustave Moreau. Photo (C) RMN-Grand Palais : René-Gabriel Ojéda

 

 

Musée Gustave Moreau
14 Rue de la Rochefoucauld
75009 Paris

Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h à 17h15
(fermeture des salles 15 minutes avant)
Attention : fermeture à 16h30 le 31 décembre

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