(Cet article est la reprise de celui écrit à l’issue du concert donné au Théâtre de la Ville en 2012. Avec un écho particulier en ce moment que nous traversons …)
Le 25 avril 1974 , une chanson, Grândola Vila Morena, enregistrée trois ans plus tôt en France par José Afonso, donnait le signal de la Révolution des Oeillets au Portugal. En novembre 1981, José Afonso était au Théâtre de la Ville à Paris pour une série de cinq récitals. Sur cette même scène un hommage lui a été rendu le 21 novembre 2012, à l’occasion du 25ème anniversaire de sa mort.
Devant une salle comble mêlant les générations, une dizaine de chanteurs et musiciens, compagnons de route ou jeunes artistes, ont redonné vie aux mots et à la musique du poète engagé, le temps d’un unique concert.
O povo unido jamais será vencido… L’Histoire a régulièrement démenti le slogan scandé au fil des manifestations contre les dictatures selon lequel « le peuple uni jamais ne sera vaincu ». Mais les chants qui ont accompagné ces luttes pour la liberté, la fraternité, la dignité et l’égalité continuent de porter ces valeurs qu’au delà de la nostalgie des heures où l’on a cru en leur possible réalisation, on ne désespère pas malgré tout de voir un jour l’emporter durablement sur « les eaux glacées du calcul égoïste« … Les chansons de José Afonso sont de cet ordre, à commencer par l’emblématique Grândola Vila Morena, devenue avec la Révolution des Oeillets, un hymne au-delà des frontières du Portugal.
Et l’émotion fut à nouveau là, lorsqu’à la fin du concert parisien les artistes se sont rassemblés sur la scène, pour l’écouter, tandis que le public, dès les premières mesures, se levait pour redire, avec José Afonso, que dans Grândola, la ville brune, terre de la fraternité, c’est le peuple seul qui commande… (1)

Le monument dédié à José Afonso à Grândola / © DR
Grândola n’est pas imaginaire, José Afonso a connu cette bourgade de l’Alentejo, cette région rurale du sud du Portugal, bastion de la résistance à la dictature et longtemps fief du Parti communiste. Mais, comme le rappelait opportunément la petite exposition organisée dans le hall du Théâtre de la Ville, José Afonso, né en 1929, a grandi, s’est formé dans la diversité des sols du Portugal et de ses colonies ultramarines, une diversité qu’il exprimera dans ses chansons.
Au terme d’une enfance partagées entre le Portugal, l’Angola et le Mozambique, il poursuit des études secondaires et universitaires à Coimbra, où il commence à chanter, en 1949. il a vingt ans. Il ne cessera plus, évoluant du fado à la ballade avant de s’engager, à partir du début des années 1960, dans « la chanson d’intervention politique ». Il enregistrera d’abord au Portugal, avant que la censure ne l’oblige à préférer Londres ou en Île-de-France – Hérouville – en 1971 pour l’album Cantigas de Maio, où figure Grândola Vila Morena.
Le choix des chansons pour cette soirée hommage au Théâtre de la Ville, reflétait cette diversité d’inspiration. De Cantigas do Maio, interprétée par João Afonso, le neveu de l’auteur, né au Mozambique où il a grandi, à Menino do Bairro Negro (Enfant du quartier noir) dans la voix de la Cap-verdienne Mayra Andrade -« à la base, je ne suis pas portugaise« , dira-t-elle joliment avant de commencer à chanter. (2)
En l’écoutant, on se dira que finalement, cette langue portugaise aura été un beau legs… En passant par Balada do Outono (Ballade de l’automne) dans la voix de Antônio Zambujo. Cet artiste, né dans l’Alentejo et qui appartient à la nouvelle génération du fado signe un texte où il exprime son admiration pour « Zeca » Afonso, et l’influence qu’il a eu sur son propre parcours. (3)

De gauche à droite : Janita Salome, Carlos Salome, José Afonso et Júlio Pereira en concert /© DR
Le concert aura commencé par une belle et émouvante interprétation a capella de Utopia (cette cité sans murailles ni créneaux, où les hommes sont égaux au dedans comme au dehors… ) par Francisco Fanhais, compagnon de lutte de José Afonso. (4) Le musicien et compositeur Julio Pereira, qui fut aux cotés de José Afonso, notamment sur la scène du Théâtre de la Ville en novembre 1981, assurait la direction musicale de ce concert anniversaire avec deux musiciens de son groupe, le guitariste Miguel Veras et le percussionniste Marcos Alves. Sans oublier Yara Gutking, la « voix » du groupe qui a interprété notamment Senhor Arcanjo.
Au total une bonne quinzaine de chansons ont été offertes à un public vibrant, au fil d’un concert sans fioritures, hommage sobre et chaleureux rendu à l’artiste disparu en 1987, mais dont l’engagement et les chansons restent vivants.
De cette soirée je garderai aussi le souvenir de ces deux hommes d’âge mûr qui, passant devant le Théâtre de la Ville, se sont arrêtés pour se photographier à tour de rôle avec leurs téléphones portables sous le portrait de José Afonso affiché sur la façade.

Sur un mur de Lisbonne en 1980… « un vieux rêve, Une réalité nouvelle »/ © db
Le concert a été diffusé en direct et accès libre sur Mediapart .
Pour le visionner, cliquer ici
(1) En voici les paroles :
Grândola, vila morena /Terra da fraternidade/O povo é quem mais ordena/Dentro de ti, ó cidade/Dentro de ti, ó cidade/O povo é quem mais ordena/Terra da fraternidade/
Grândola, vila morena/Em cada esquina um amigo/Em cada rosto igualdade/
Grândola, vila morena/Terra da fraternidade
À sombra duma azinheira/Que já não sabia a idade/Jurei ter por companheira
Grândola a tua vontade
Grândola ville brune/Terre de la fraternité/C’est le peuple qui commande/
dans tes murs ô cité
A chaque coin de rue un ami/Sur chaque visage l’égalité/Grândola ville brune/
Terre de la Fraternité
A l’ombre d’un chêne vert/Dont je ne savais plus l’âge/
J’ai juré d’avoir pour compagne/ Grândola ta volonté
(2) Mayra Andrade sera à l’affiche d’un concert unique au Théâtre de la Ville, le 15 février 2013
(3) Le dernier album de Antônio Zambujo, Quinto (harmonia mundi/world village), a été primé « Disque d’or » au Portugal.
(4) Né en 1941, ce prêtre engagé, poursuivi par la Pide, (la police politique de la dictature), interdit de chanter et d’enseigner, émigrera en France au début des années 1970 pour ne revenir au Portugal qu’après la Révolution des Oeillets. Il participera à quelques concerts et enregistrements publics de José Afonso, en Italie et au Portugal.