Réouverture : Le « Cabaret du Néant » revit au château de Rentilly

Exposition « le cabaret du Néant » à Rentilly /derrière l’écorché allongé, Hélène et Homer, de Victor Yudaev photo db

Une semaine après son inauguration, le 8 mars 2020, cette exposition avait dû fermer ses portes au public en raison des mesures sanitaires de confinement liées à la pandémie de Covid-19. Elle a heureusement pu être prolongée et les visiteurs pourront la découvrir du 18 septembre au 15 novembre 2020! D’autant que l’automne est une belle saison pour apprécier le parc de Rentilly et ses arbres remarquables…

Le château de Rentilly et son parc/ photo db


S’il résonne comme un étrange écho à la situation actuelle, le titre de cette nouvelle exposition du Frac Île-de-France, organisée avec l’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) de Paris, fait référence  au célèbre cabaret à thèmes installé à la  fin du XIXe siècle à Montmartre et qui déployait son ambiance parodique et funèbre en se jouant avec une ironie sulfureuse de situations macabres. L’exposition, dont le parcours a été élaboré avec la nouvelle  filière « Métiers de l’exposition » de  l’ENSBA réunit des oeuvres d’artistes contemporains et d’étudiants des Beaux-Arts, mises en regard de pièces maîtresses de la collection de l’institution parisienne. 

Installé depuis 2014, dans les murs du Château de Rentilly (1), le Frac Île-de-France accueille deux expositions par an consacrées à des collections ,publiques ou privées. Cette fois, c’est celle des Beaux-Arts de Paris qui est mise à l’honneur.

Jacques-Fabien Gautier d’Agoty,
L’ange anatomique, 1759 Collection des Beaux-Arts de Paris © Beaux-Arts de Paris

Une collection singulière liée à l’histoire de l’Institution et peu connue du grand public. Cette exposition coïncide d’ailleurs avec la réédition par les éditions des Beaux-Arts de Paris (2) des célèbres planches et textes des quatre traités anatomiques de Jacques-Fabien Gautier d’Agoty (1717-1785), qui n’ont cessé, depuis leur parution au XVIIIe siècle, de susciter l’intérêt du corps médical, des historiens et amateurs d’art. C’est d’ailleurs aux Surréalistes que l’étonnante gravure reproduite en couverture du livre, doit son nom d’Ange anatomique. Elle représente une femme vue de dos, disséquée de la nuque au sacrum, « baroque funèbre » pour Georges Bataille)  « horreur et splendeur viscérale »  pour Jacques Prévert.

Cette oeuvre figure dans la deuxième partie de l’exposition,  dédiée à l’anatomie au service de l’art.  Il est vrai que si l’anatomie est au XIXe siècle le moyen privilégié de la communauté scientifique pour explorer le corps humain,  elle l’est aussi pour apprendre à dessiner le corps. Et Jean de Loisy, directeur de l’ENSBA (3), d’indiquer que en 1820  « 20% du budget de l’Académie des Beaux-Arts étaient affectés à l’anatomie, la dissection et l’achat de cadavres ».

Albrecht Dürer
Le cheval de la mort, 1513 Collection des Beaux-Arts de Paris © Beaux-Arts de Paris

Nous voilà donc installés dans l’univers du macabre. Avec sa dimension tragique, celle des fameuses danses peintes à la fin du Moyen-Age sur les murs des Églises d’Europe du Nord  pour rappeler à l’homme sa condition mortelle. Ou sa dimension parodique, celle du célèbre cabaret du Néant installé en 1892 boulevard de Clichy (Paris 18e) et qui donne son titre à l’exposition. Il est aussi une autre notion du néant, « celle qui, dans le sillage de Mallarmé, conduit à considérer la vie humaine comme « de vaines formes de la matière (…) s’élançant forcément dans le rêve qu’elle sait n’être pas (…) et proclamant, devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges ! ». Le rôle du poète et donc de l’art consisterait ainsi, selon Mallarmé, à tirer l’homme de ce « Rien », comme du fond d’un naufrage, par le jeu suprême de la création ».

Ce sont tous ces aspects du thème du néant que décline l’exposition en mêlant des oeuvres historiques de la collection des Beaux-Arts de Paris à des œuvres contemporaines de la collection du Frac Ile de France et à des créations de jeunes artistes issus des Beaux-arts, dans un parcours conçu par les étudiants de la nouvelle  filière « Métiers de l’exposition » de l’École. (4)

Damien Moulierac,
Spectacle poule, 2015 / Courtesy de l’artiste

La première étape, « Le festin des inquiétudes », nous renvoie au macabre sous ses deux facettes moyenâgeuse et parodique, où se mêlent oeuvres anciennes et contemporaines, peintures, sculptures, photographies. C’est ainsi que se côtoient Le chevalier de la mort de Dürer et le Rien de néon d’Albérola, le classique Buste de demi-écorché de Jules Talrich (XIXe siècle) et Hélène et Homer, les deux personnages perchés de Victor Yudaev. Dans cet espace baigné d’une lumière rouge, la beauté inquiétante du Spectacle poule de Damien Moulierac (étudiant aux Beaux-Arts de Paris), évoque une cérémonie secrète…

Lucien Hervé, Amphithéâtre de l’École de Médecine, 1952 Collection Frac Île-de-France
Photo : Jacqueline Hyde © Lucien Hervé

Retour à la lumière blanche avec la deuxième étape du parcours, « Anatomie de la consolation ». Au milieu des planches anatomiques des 18e et 19e siècle, dont L’ Ange anatomique d’Agoty évoqué plus haut, sont exposés  deux dessins de Géricault décrivant muscles et os de la partie supérieure du corps humain, « réalisés deux ans avant Le radeau de la Méduse », tient à préciser Jean de Loisy.

Quant à l’amphithéâtre de l’École de médecine photographié par Lucien Hervé (5), il a toute sa place au milieu de ces planches et dessins, non seulement à cause du lieu évoqué, mais aussi par son côté véritablement « anatomique ».

Valentin Ranger. À quoi rêvent ceux qui n’auraient pas le droit d’aller au ciel, 2020 (détail). Courtoisie de l’artiste.

Parmi les oeuvres contemporaines, de cette section dédiée à l’anatomie et l’art, l’installation de Valentin Ranger (étudiant en 2ème année des Beaux-Arts de Paris) interpelle le visiteur. Intitulée À quoi rêvent ceux qui n’auraient pas le droit d’aller au ciel ? l’oeuvre juxtapose  une vidéo et une étonnante collection d’ex-voto, faits de plaques d’aluminum décorées de motifs naïfs empruntés au corps humain ou à la natures.

« Fin de partie » : l’intitulé de cette troisième et dernière étape de l’exposition dédiée au Néant, fait référence à Samuel Beckett, et son théâtre de l’absurde et méchante condition humaine… que le Professeur suicide (1995) de Alain Séchas, en fin de parcours, illustre de son humour corrosif. Cette installation mixte – sculpture/vidéo – présente cinq élèves assis face à un professeur à la tête de baudruche qu’il pique avec une aiguille dans un mouvement répétitif au son – « sublime », précise l’artiste –  de l’andante du quatuor en Fa Majeur (opus 77/II) de Haydn. La date, 1995, de l’oeuvre a son importance, explique Alain Séchas: elle est à la fois celle où il cesse son métier de professeur de dessin à l’Éducation nationale et celle des « suicides » collectifs des adeptes de la secte de l’Ordre du temple solaire.

Alain Séchas, Professeur Suicide, 1995 / Collection Fonds National d’Art Contemporain
© Alain Séchas / Galerie Ghislaine Hussenot Paris, 1995

Auparavant, on aura traversé les Black Sheeps de Hugues Reip (né en 1964) évoquant irrésistiblement le « Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière » du mercredi des Cendres. L’installation est en effet réalisée à partir de poussières de sacs d’aspirateurs, « sculptées » en boules qui, suspendues à des fils invisibles, tournent en voltigeant, sorte de manège aléatoire…

Ismaïl Bahri,Source, 2016 © Ismaïl Bahri

Des fils, encore, avec Pierre-Alexandre Savriacouty, étudiant en 3ème année aux Beaux-Arts. Mais cette fois, ils sont de coton, lestés de plombs de pêche et ils évoquent, dans leurs trajectoires qui se jouent entre le poids et la gravité, ceux filés et coupés par les Parques, ces divinités maîtresses de la destinée humaine.

Autre allégorie de la finitude humaine : la combustion. Comme celle, filmée par Ismaïl Bahri, de la feuille de papier qui se consume lentement à partir d’un petit trou trou fait en son centre, par une cigarette  peut-être, et qui s’élargit jusqu’à la faire disparaître des mains qui la tiennent…

Le visiteur, une fois dehors, se dit que le château de Rentilly devenu  sculpture d’acier – dont on peut se demander  si elle enferme quelque chose ou rien –  est l’écrin parfait pour accueillir cette exploration artistique du Néant, dont on se réjouit qu’elle soit à nouveau accessible.

Le château de Rentilly, mars 2020 © db


(1)
Situé au coeur du Parc culturel de Rentilly (Seine-et-Marne), le château a rouvert ses portes en novembre 2014 après d’importants travaux de réhabilitation. C’est une véritable métamorphose de l’édifice qui a été accomplie par l’artiste Xavier Veilhan et son équipe. Une façade-miroir en acier inoxydable a fait de ce château une sculpture, en totale cohérence avec un lieu dédié à la diffusion de l’art contemporain auprès du grand public.
Pour en savoir plus, lire l’article consacré à la première exposition « Explore », en 2014.
(Voir aussi les articles publiés sur des expositions en 2018 et 2019)
(2) L’ouvrage de Jacques-Fabien Gautier d’Agoty fait partie de la collection Trésors de la bibliothèque des Beaux-Arts de Paris qui propose, en réalisant des fac-similés, de faire connaître au public, dans une édition contemporaine introduite par le texte d’un historien actuel, les nombreux ouvrages, manuscrits, portfolio et gravures du fonds de la bibliothèque ancienne des Beaux-Arts.
(3) Jean de Loisy  a pris ses fonctions en janvier 2019, après avoir été de 2011 à 2018 le directeur du Palais de Tokyo.
(4) L’Exposition a été conçue à l’invitation de Xavier Franceschi, directeur du Frac Île-de-France, sur une idée de Jean de Loisy, développée et réalisée par Simona Dvořáková, César Kaci (commissaires résidents aux Beaux-Arts de Paris), Sarah Konté, Yannis Ouaked, Violette Wood, Kenza Zizi (étudiants de la filière Métiers de l’exposition *), sous la direction de Jean de Loisy et de Thierry Leviez, en collaboration avec les équipes du Frac Île-de-France et du Parc culturel de Rentilly – Michel Chartier.
* Cette nouvelle filière professionnalisante, élaborée en partenariat avec le Palais de Tokyo, est proposée aux étudiants de 3e année.
(5) Photographe d’architecture, Lucien Hervé (1910-2007) est surtout connu pour sa collaboration avec Le Corbusier dont il était le photographe attitré.

Jean de Loisy, entouré d’une partie de l’équipe
de commissaires et étudiants de la filière « Métiers de l’exposition ». Rentilly, 6 mars 2020

Parc culturel de Rentilly – Michel Chartier
Frac Île-de-France/Le château
1 rue de l’ Étang
77600 Bussy-Saint-Martin
Tél. : 01 60 35 46 72

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Un commentaire pour Réouverture : Le « Cabaret du Néant » revit au château de Rentilly

  1. Matatoune dit :

    Belle découverte avec un nom qui prouve les compétences, Jean de Loisy! 😉

    J’aime

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