« En Robe ! » : surprenant défilé à l’abbaye de l’Escaladieu

Émilie Faïf, « Excroissance » / Photo db

S’il y a un lien évident entre la robe et l’univers monastique synonyme d’austérité, là n’est pas le fil conducteur de la nouvelle exposition d’art contemporain présentée jusqu’au 3 novembre 2024 à l’ancienne abbaye cistercienne de l’Escaladieu (Hautes-Pyrénées). En robe !, comme toutes les expositions qui l’ont précédée, est placée sous le signe de l’imaginaire et du rapport avec la nature. Une thématique dont se sont emparés les quinze artistes sélectionnés, en créant des oeuvres étonnantes de diversité et d’originalité, tant par la technique, les matériaux – parfois insolites –  que par le propos. Un surprenant défilé présenté à l’intérieur et à l’extérieur de l’abbaye, dans le vaste parc arboré qui l’entoure.

IMG_20240812_114127

Abbaye de l’Escaladieu, au second plan : « Souche » de Simon Augade / Photo db

Car l’abbaye de l’Escaladieu – Scala Dei en latin/ échelle de Dieu -, c’est avant tout la magie d’un lieu  mêlant architecture et nature où il fait bon se promener et se poser. Où à la rigueur cistercienne de la pierre répond l’espace vagabond d’un parc avec ses chênes, buis et hêtres classés « ensemble arboré remarquable », au confluent  de l’Arros et du Luz. Le tout au sein d’un ensemble plus vaste, chargé d’histoire. À une petite dizaine de kilomètres, perché au dessus du village de Mauvezin, se dresse le château de Gaston Phébus, ce fameux prince guerrier et lettré du XIVe siècle… 

Imagination et nature : l’oeuvre qu’on aperçoit de la route avant de pénétrer dans l’enceinte de l’abbaye, est un peu comme l’emblème de cette thématique des expositions d’art contemporains de l’escaladieu. Intitulée Souche, cette imposante sculpture en bois  dont la charpente est recouverte de lames de bois avec écorce, évoque aussi le pied d’un animal géant fauché en plein élan. Elle a été réalisée par Simon Augade en 2018 à l’occasion de l’exposition Arbres, regards d’artistes.

Cette fois, c’est sur la robe que des artistes ont été invités à porter leurs regards. Si « la robe est le marqueur d’une époque, d’une civilisation, d’un ordre social », comme le souligne Aude Semmartin, commissaire de l’exposition, quel rapport entretient-elle avec la nature ? Les quinze artistes de En robe ont répondu en livrant des oeuvres fortes et singulières, où «de sujet de mode», la robe est devenue «un support d’expression».

montage video

Jisoo Yoo, « Je(u) » /photo et montage db

Encore faut-il se déprendre de la réalité du quotidien, de la représentation classique de cette pièce du vestiaire, essentiellement féminin de nos jours. C’est ce à quoi est invité le visiteur, avec l’oeuvre interactive Je(u) de l’artiste Jisoo Yoo présentée en préambule de l’exposition. En entrant dans l’obscurité de l’espace vidéo le visiteur se retrouve face à un paysage abstrait composé d’une nuée de points lumineux qui se soulèvent à son approche en épousant ses mouvements. Il voit son avatar se dessiner sur l’écran avant de se déliter et disparaître complètement.  Au reflet narcissique succède la perte de l’ image, la dissolution du Je en poussière lumineuse, laissant la place à l’émotion esthétique et à la dimension ludique de l’oeuvre, le Jeu…

Adélaïde Fériot, « Carbone » et « Vent qui pleure » / Photo db

Émotion et jeu, ces deux éléments vont guider notre visite subjective et sélective  de l’exposition.

Adélaïde Fériot s’est emparée du thème de la robe et du rapport avec la nature avec deux oeuvres. Carbone fait se rencontrer l’humain et la nature dans une sculpture délicate mêlant un bras et une branche, « analogie entre le sang et la sève »,  tandis que Vent qui pleure, une tenture faite de bandes verticales de différentes couleurs qui peut se lire comme métonymie de la robe. 

Corinne Borgnet »Amours éternelles, la robe » / photo db

Avec Amours éternelles, la robe, Corinne Borgnet livre une version spectaculaire et subversive de la robe de mariée. Sublime par sa forme – traine, décolleté, finesse de la dentelle ajourée -, elle se révèle triviale par le matériau qui la constitue : des os de volailles et des os en impression 3D. « Vanité grandeur naturelle, elle confronte dans un même objet l’idéal d’une promesse de vie heureuse (…) à l’évocation de la fragilité de notre condition, de la dimension éphémère de toute vie », commente Aude Semmartin.

Isa Barbier, « La Miséricordieuse » /Photo db

Autre emprunt au monde animal : Isa Barbier s’est emparée de la légèreté de la plume pour en faire son matériau de prédilection. La Miséricordieuse évoque la vierge Marie ouvrant ses bras et son manteau aux malheureux. Pour la réaliser l’artiste a utilisé deux types de plumes  : des plumes blanches de goéland  pour dessiner la robe et les manches de la silhouette, des plumes rouges pour le motif de la cape. L’oeuvre est impressionnante de légèreté en dépit de ses dimensions, une  envergure de quatre mètres.

Stéphanie Cailleau, « Sortie de terre » / Photo db

Avec Sortie de terre, c’est une hybridation entre le végétal et l’animal que propose Stéphanie Cailleau, au terme d’un processus  complexe de fabrication. Enfouies dans  du compost, des robes ont été ensuite enduites de terreau où du blé a été mis à germer puis a été fauché, tandis que des mousses et lichens ont été disposés à leur base. Le résultat est surprenant : se dressant comme des totems, les robes apparaissent effectivement comme «sorties de terre», tandis que les manches devenues des lianes semblent y retourner. Devenues des êtres hybrides, mi-arbres, mi-humains, mi-animaux, elles suscitent une inquiétante étrangeté. 

De la terre au ciel : c’est en effet vers celui-ci que semble s’élever  l’Excroissance d’Émilie Faïf. Des motifs d’une robe de la créatrice de mode Isabelle Marant, l’artiste a fait naître un nuage d’étoffe d’où surgissent des formes du monde animal – paon, oiseaux – et végétal – feuillages, branches, bourgeons… Un peu « comme, lorsqu’enfant, on s’amuse à reconnaître des formes dans les nuages », souligne Aude Semmartin. Sculpture en suspension, Excroissance semble échappée d’un rêve…

Hippolyte Hentgen, Série « Bebop »/ Photo db

On change radicalement d’univers avec la série Bebop, du duo d’artistes Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen réunies sous le nom de Hippolyte Hentgen (1). Les peintures et dessins de Bebop illustrent de façon humoristique et mordante la confrontation entre l’espace domestique essentiellement dévolu aux femmes dans les années 1950 et « la libération des corps et des moeurs dans l’espace public avec le déhanché de la danse », déhanché que souligne la petite robe moulante, alors à la mode…

Rieko Koga, « Here for you » / Photo db

Retour à la nature avec les oeuvres exposées dans le parc. « Dès que j’ai connu le sujet de l’exposition, j’ai pensé que j’allais envelopper un arbre ».  Rieko Koga a effectivement « enrobé » un hêtre. Here for you est « une oeuvre intime liée au deuil de l’artiste qui a perdu son père », explique la commissaire de l’exposition. À la manière des arbres à prières japonais, l’oeuvre se compose d’un assemblage de poèmes et pensées brodés sur des morceaux de fine toile blanche assemblés et cousus à la main. Un banc installé à proximité permet au visiteur de prendre le temps de regarder et méditer…

Estelle Chrétien & Miguel Costa, « Le pied au sec » / Photo db

Il ne faut pas hésiter à s’enfoncer un peu plus dans le parc, sous les arbres, quasiment jusqu’au confluent des deux rivières qui bordent le domaine, pour y découvrir Le Pied au sec. Si Rieko Koga a « enrobé » un hêtre, Estelle Chrétien & Miguel Costa ont eux « chaussé » un chêne d’une botte géante de près de deux mètres de haut. Elle est faite de branchages tressés recouverts de torchis puis d’un enduit de lissage à base d’argile pour donner un «aspect cuir».  Mais quid de la robe? Fions-nous à l’interprétation de Aude Semmartin : «Le Pied au sec nous permet de prendre conscience de la grandeur de la nature et de notre petitesse. C’est une invitation à lever les yeux pour observer la robe de l’arbre, son feuillage que l’on ne peut voir que d’en bas, la canopée nous étant interdite ». Une invitation à la modestie, à notre vision toujours partielle d’êtres terrestres condamnés à vivre  « sous les jupes des arbres »…

                                                                                                        ***********

(1) Le duo Hyppolyte Hentgen qu’on avait découvert lors d’une exposition de l’Observatoire de l’Espace (le laboratoire culturel du CNES /Centre national d’Études spatiales) en décembre 2023

Abbaye de l’Escaladieu / Photo I.Gaits

Abbaye cistercienne de l’Escaladieu
65130 BONNEMAZON
Tél : 05 31 74 39 50 
abbaye.escaladieu@ha-py.fr


En savoir plus sur De Belles choses

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Cet article, publié dans Culture, Patrimoine, est tagué , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

1 Response to « En Robe ! » : surprenant défilé à l’abbaye de l’Escaladieu

  1. Avatar de PHILIPPE MICHELON PHILIPPE MICHELON dit :

    👍

    J’aime

Laisser un commentaire