BORDALO II : Exposition « IRRÉVERSIBLE », de la récup à la provoc

Bordalo II, « Irréversible », Galerie Matgoth, 20/05/2025 © db

Invité par la Galerie Mathgoth (1), l’artiste d’art urbain portugais Bordalo II  (Bordalo Segundo) – né en 1987, il vit et travaille à Lisbonne – acteur important de l’art urbain à l’échelon international, revient dans le 13ème arrondissement parisien pour une nouvelle exposition intitulée Irréversible. En 2019, Accord de Paris avait permis de découvrir son étonnant bestiaire géant réalisé à partir de déchets plastiques et autres. Six ans plus tard, à la dénonciation du consumérisme et de ses effets sur la nature, s’est ajoutée celle, plus explicite, de la violence d’un système s’exerçant sur toutes les dimensions  de la vie et de façon irréversible. Une quarantaine d’œuvres, dont certaines présentées pour la première fois, illustrent ce propos.
À voir jusqu’au 28 juin 2025.

Un propos que Bordalo II  a tenu à expliciter à l’intention du visiteur en l’affichant sous forme de profession de foi, à l’extérieur du lieu d’exposition : « Irréversible désigne ce qui ne peut être changé, annulé ou ramené à son état d’origine. (…) Un point de non retour où les actions, les choix ou les changements laissent des marques indélébiles. (…) En tant qu’artiste, tout au long de ma carrière, j’ai choisi de prendre position sur les questions qui me troublent, celles face auxquelles je ne peux rester silencieux (…) un chemin irréversible. Je présente ici quelques exemples de sujets que nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer .(…)

À commencer par la cause animale, matérialisée dans le hall d’entrée par la sculpture grand format d’un lynx, en écho à la série Big Trash Animals. Une représentation qui a sans doute valeur de symbole puisque, du moins dans le sud de l’Europe, cet animal est passé du statut d’espèce en voie de disparition à celui d’espèce vulnérable et voit sa population s’accroître à nouveau progressivement à la suite de mesures de préservation.

Bordalo II, « Irréversible », Baby Rabbit , 2025 /photo db

Dans les premières salles de l’exposition on reste dans le règne animal avec plusieurs séries de sculptures sur ce thème, réalisées en incorporant des objets quotidiens comme des jouets, des peluches, des cables, des tissus ou des emballages (Small Trash Animals, Neutral, Neutral FX).

BordaloII, « Irréversible », série Lighted / DR

Récemment, avec la série Lighted, les portraits animaliers de Bordalo II ont intégré des LED, une mise en lumière paradoxale, qui à la fois met en valeur les portraits tout en mettant en évidence la pollution lumineuse émanant des villes. La ville, il en est question justement dans le clip vidéo Notre monde, où deux de ces créatures lumineuses parcourent un Paris nocturne, reconquérant un espace déserté par ses habitants, de la tour Eiffel au métro aérien, en toute liberté…  ou presque, jusqu’à ce que l’alerte soit donnée sur ces feux follets! Évocation de ce moment : la reconstitution par l‘artiste de l’avant d’une voiture du métro parisien…

Bordalo II, « Irréversible », Total Destruction / photos db

Mais le visiteur ne doit pas se laisser leurrer par cette apparente légèreté. Dans les salles qui suivent, l’artiste dévoile une de ses séries les plus personnelles : Provocs. Le titre vaut programme. Six ans après l’exposition Accord de Paris, Bordalo II a conçu sa deuxième grande exposition personnelle « comme un manifeste visuel, fait d’un ensemble de travaux à double personnalité : ce sont des objets artistiques, mais aussi l’écho des transformations sociales et politiques survenues depuis — qu’il s’agisse de l’aggravation de la crise climatique, de l’accroissement des tensions géopolitiques, de la montée des idéologies extrémistes ou des conséquences d’une consommation effrénée ». Il le dira aussi plus simplement : « depuis trois ans s’est ajouté le contexte de la guerre ».

Bordalo II, « Irréversible »,
série Provocs / Photos db

D’où une approche plus frontale, sur le fond et la forme, pour dénoncer une violence s’exerçant tous azimuts, avec des œuvres réalisées à partir d’objets – personnels ou urbains – détournés : une kalachnikov dans un cercueil d’enfant tapissé de satin ; une pompe à essence Total destruction comptabilisant dans ses cadrans  le nombre de victimes, l’argent amassé et la température de la planète ; un téléphone dont le combiné est un révolver et le cadran une cible, un autre hérissé de pointes, un autre encore avec une paire de menotes en guise de combiné… des steaks crus en résine dans leur emballage transparent comme au supermarché, Innocent meat/war zone, en regard d’une autre œuvre, Top Brass, faite d’une veste d’uniforme militaire orné de nombreuses médailles recouvrant un morceau de viande crue… Le visiteur s’interroge : s’agit-il de la viande des bourreaux et de celle des victimes ? Ou bien est-ce que nous sommes tous faits de la même chair ? les deux sans doute … Plus loin, les écrans d’un panneau Decaux et d’une télé garnis de briques figurent indubitablement la pensée emmurée…

C’est avec un certain soulagement que l’on retrouve les animaux à LED, lumineux sur le mur blanc. Même si le requin poursuit le poisson, l’esthétique des formes – voire l’humour qui s’en dégage – fait contrepoids à la littéralité du message.

Oui, Irréversible est bien le « manifeste visuel » voulu par Bordalo II, en tant qu’artiste « persuadé que l’art peut être un allié dans le changement des mentalités pour un monde plus juste ».

Bordalo II, « Irréversible », Fish & Shark, série Lighted / Photo db


(1)
Fondée à Paris en 2010 par Mathilde et Gautier Jourdain, la galerie Mathgoth est spécialisée dans l’art urbain et le Street Art. Elle collabore avec certains des plus grands noms dans ce domaine, tels que Miss.Tic, Jef Aérosol ou Gérard Zlotykamien, tout en soutenant la nouvelle génération d’artistes. Ses fondateurs participent aussi activement à l’évolution de l’art urbain dans l’espace public et sont à l’origine de plus d’une cinquantaine de fresques monumentales en France.

IRRÉVERSIBLE de BORDALO II
Galerie Mathgoth (espace temporaire)
1, rue Alphonse Boudard – 75013 Paris

Du mercredi au samedi de 14.30 à 19.00
le dimanche de 15h à 19h
Entrée libre


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