Manifeste d’architecture moderne et expression d’un art de vivre, la Villa Noailles, construite par Robert Mallet-Stevens au milieu des années 1920 sur les hauteurs de Hyères-les-Palmiers, a été un haut lieu de l’avant-garde artistique et culturelle de toute l’Europe. L’exposition permanente Charles et Marie-Laure de Noailles, une vie de mécènes, inaugurée en juillet 2010, évoque les liens exceptionnels que le couple a tissés avec des artistes majeurs dans tous les domaines. Au fil des oeuvres, documents et objets présentés dans cette exposition-musée installée au coeur même de la Villa, c’est à un parcours dans l’histoire de l’art et de la culture modernes qu’est convié le visiteur.
Une architecture de cubes posée au sommet d’une colline où se dressent encore quelques vestiges d’un ancien château, au milieu d’une verdure foisonnante : c’est ainsi que se présente la Villa Noailles au visiteur. Celui-ci y aura accédé, de préférence, par le parc Saint-Bernard, du nom d’un ancien monastère qui a donné à la Villa son nom initial de Clos Saint-Bernard. Ce parc, un « maquis méditerranéen » qu’a fait planter le vicomte Charles de Noailles à partir de 1925, a été acquis par la ville en 1973 en même temps que la Villa et labellisé « Jardin remarquable » en 2007.
Au fil de la montée on aura pu admirer le panorama sur la ville, la mer et les îles. Une fois arrivé au pied de la Villa, un autre jardin s’offre à notre regard. Sa forme triangulaire et les plantations en damiers réguliers – qu’on appréciera mieux tout à l’heure du haut de l’esplanade de la villa – assurent la transition entre la végétation touffue du parc et l’architecture épurée du bâtiment, à l’avant duquel il forme une espèce de proue. Ce jardin « cubiste » est l’oeuvre de l’architecte et paysagiste Gabriel Guévrékian, auquel Charles de Noailles l’a commandé en 1925.
Sitôt franchi un portique de pierre, le visiteur est saisi par la beauté de l’espace qui s’ouvre à lui : sous un ciel d’un bleu intense s’étend devant la villa une vaste esplanade plantée d’une pelouse d’un vert non moins intense et ceinte d’un mur qui laisse entrer le paysage par de larges ouvertures, en écho aux baies vitrées du bâtiment, l’espace extérieur prolongeant l’espace intérieur, baigné de lumière et de soleil. La « petite maison dans le midi« , construite sur un terrain reçu en cadeau de mariage, les Noailles l’ont en effet voulue faite « pour avoir le soleil« .
Ils trouvèrent en Robert Mallet Stevens (1886-1945) l’homme de la situation, un architecte original, un des plus grand noms, avec Le Corbusier, de l’architecture « fonctionnaliste », en même temps qu’ un artiste complet, fondateur en 1929 de l’Union des artistes modernes.
L’architecture comme un art de vivre : la maison allait être dotée de tout ce qui en ferait un lieu fonctionnel et confortable avec tous les éléments permettant d’y mener une vie « moderne » mêlant arts, loisirs et sports, où l’épanouissement du corps et de l’esprit iraient de pair. Il y aura donc une piscine, un gymnase, un squash… Tandis qu’au fil des années s’ajouteront chambres et dépendances pour absorber le flot d’invités, amis et artistes, reçus par les Noailles.
Car le couple fortuné et épris d’art allait pendant plusieurs décennies, et de manière particulièrement intense pendant l’entre-deux-guerres, découvrir, soutenir et faire connaître les avant-gardes artistiques de la première moitié du XXe siècle. Et cela dans tous les domaines : arts plastiques, littérature, cinéma, théâtre, danse…
Impossible de citer ici les noms de tous les artistes dont Charles et Marie-Laure de Noailles furent à la fois à la fois collectionneurs et commanditaires, en mécènes éclectiques attentifs à l’actualité artistique. Citons parmi tant d’autres, Alberto Giacometti, Luis Buñuel , Jean Cocteau, Salvador Dali, Kurt Weill, Francis Poulenc, Georges Auric, René Char, Man Ray, André Breton, Georges Bataille, Michel Leiris, etc….
Alors comment évoquer à la fois le lieu, ses propriétaires et leurs liens avec les artistes? Telle est la problématique à laquelle se devait de répondre l’exposition permanente, Charles et Marie Laure de Noailles, une vie de mécènes, inaugurée le 2 juillet 2010. Ses concepteurs ont pris le parti de « ne pas s’arrêter au bâtiment, même s’il y a beaucoup de documents, mais de faire de la Villa le support et l’expression d’un mécénat exceptionnel« , explique Stéphane Boudin-Lestienne, historien d’art, chargé de mission à la Villa Noailles, co-commissaire de l’exposition permanente, avec Raphaèle Billé et Alexandre Mare.
Il est vrai que l’architecture du bâtiment n’a cessé d’évoluer au gré des ajouts et transformations, entre 1925 et 1933, et que les aménagements intérieurs se sont réalisés eux aussi en plusieurs étapes, avec des créateurs choisis par les Noailles et des réalisations en cohérence avec la modernité du lieu. La plupart des créateurs sélectionnés l’ont d’ailleurs été sur le conseil de Mallet-Stevens qui a lui-même signé les transats pour la piscine. Un exemplaire figure dans l’exposition.
Il n’était donc pas souhaitable, sinon impossible, de figer le bâtiment dans une de ses phases, de « le statufier dans une reconstitution », résume Stéphane Boudin-Lestienne. Si le visiteur est invité à déambuler dans cette partie « historique » de la Villa, dans des pièces dûment identifiées dans la fonction qui était la leur au temps des Noailles (salle à manger, salon de lecture, chambres, etc.), il n’y trouvera que quelques pièces exceptionnelles, venant illustrer le fait qu’ici « le luxe tient dans la fonctionnalité« , comme le fait remarquer Stéphane Boudin-Lestienne.
Une place essentielle a donc été réservée à l’activité d’amis des arts et de mécènes menée par les Noailles. En témoignent des oeuvres, comme les portraits sculptés de Marie-Laure de Noailles par Giacometti, ou le tableau de Christian Bérard la représentant avec sa fille, et de très nombreux documents (l photos, ouvrages, letres, etc… quelque 300 pièces au total touchant à tous les domaines artistiques : arts plastiques, littérature, cinéma… Un centre de documentation devrait voir le jour en 2011. Pour une bonne lecture de cet ensemble très riche, le visiteur dispose dans chaque salle d’une feuille explicative qu’il lui suffit de détacher d’un bloc. A l’issue de sa visite, il pourra rassembler ces feuilles volantes dans un portfolio grand format sur papier glacé, tenant lieu de catalogue gratuit.(1)
Pour illustrer le lien des Noailles avec le cinéma et l’aide décisive apportée à des artistes dans ce domaine, on peut aussi voir trois films projetés en boucle. L’Age d’Or de Buñuel, à qui le couple a donné carte blanche pour réaliser ce deuxième film, tourné à Hyères durant l’hiver 1930. Le film fera scandale lors de sa présentation publique en 1931 et sera interdit pendant 50 ans! Les Mystères du Château du Dé, une commande des Noailles à Man Ray, un film expérimental projeté en 1929 au studio des Ursulines à Paris, et Biceps & Bijoux, un petit film au scénario improbable dont les acteurs sont les Noailles et leurs invités et qui est un témoignage sur l’ambiance de la vie à la Villa à la fin des années 1920…

Séance de gymnastique à la Villa, capture du film "Biceps & Bijoux"/réalisation Jacques Manuel/CNAC Archives du film
Après ce parcours dans la vie de mécènes des Noailles, avant de redescendre vers la ville ancienne de Hyères, une visite s’impose aux expositions temporaires de Design, dans le cadre du Festival International de Design qui se tient à la Villa en Juillet et se poursuit jusqu’à l’automne par des expositions. Car à l’instigation de Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa depuis 1989, celle-ci, devenue un établissement public, abrite depuis 2004 un Centre d’Art, dans le but d’aider la création contemporaine. Une démarche en cohérence avec le soutien apporté par les Noailles en leur temps aux avant-gardes artistiques. Au fil de nouvelles rénovations du bâtiment au cours des vingt dernières années, la Villa a agrégé des manifestations comme le festival Mode et Photo de Hyères – qui fêtait cette année sa 25ème édition -, le festival de Design, des résidences d’artistes, des expositions d’architecture…
Cette année, on aura pu voir les oeuvres des artistes designers Aldo Bakker, Naoto Fukasawa, Antoine Boudin et Sébastien Cordoléani.
(1) L’accès à la Villa Noailles et aux différentes expositions est libre.
Le plaisir de tomber par hasard sur ce magnifique reportage fait par Danielle Brick.
Oui, Charles et Marie-Laure de Noailles étaient des personnes d’exception. J’ai eu le privilège de les renconter, de les connaître, d’habiter place des Etats-Unis. J’allais également à « l’hotel de Pompadour » lieu remarquable également.
Merci pour ce beau reportage et surtout merci d’évoquer leur vie qui a été vouée à l’art.
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Merci madame de votre beau commentaire dédié à ces personnalités d’exception.
JPB
directeur du centre d’art
villa Noailles
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