Situé à une trentaine de kilomètres de Poitiers, adossé au lycée agricole de Venours, Rurart accueille depuis 2005 l’art contemporain à raison de trois expositions par an. Un lieu unique en son genre, puisque ce « dispositif culturel en milieu rural » dépend entièrement du ministère de l’Agriculture. C’est là que l’artiste russe Olga Kisseleva a installé Le meilleur des mondes jusqu’au 19 décembre 2010.
Même si on est à la campagne, ce meilleur des mondes là n’est pas une invitation au retour à la terre, une sorte de jardin à cultiver, à la Candide… Avec Olga Kisseleva on est dans un monde résolument urbain et technologique, où se posent à la fois la question de comment vivre ensemble et celle de notre comportement face au progrès des sciences et des nouvelles technologies de plus en plus présentes dans nos espaces public et privé. A ces questions, l’artiste propose des réponses, ou plutôt des pistes de réponses, par le biais de dispositifs extrêmement élaborés où chaque visiteur va pouvoir introduire ses caractéristiques personnelles, physiques ou psychiques, ou choisir de disparaître…
Concrètement. Quoi de plus inexorable et impersonnel qu’une horloge digitale qui égrène le temps? Comme celle qui accueille le visiteur sur le mur à l’entrée de la salle d’exposition… Mais si cette même horloge se met à ralentir ou accélérer en affichant un message personnalisé adapté à l’humeur de celui qui aura posé sa main sur un écran horizontal ? … Avec cette oeuvre, It’s time, réalisée pour Rurart avec Sylvain Reynal, Olga Kisseleva aborde ce qu’elle considère « une des questions cruciales de notre société post-moderne : l’accélération du temps« , avec ce que celle-ci apporte « de stress et de frustration individuelle« .
Et si le monde changeait de couleur pour s’adapter à celle de mes yeux, par exemple? Une vision poétique du monde que propose le dispositif Sur-mesure par lequel le visiteur, par la captation de son iris, modifie la couleur d’une sphère qui de rouge devient devient par exemple d’un bleu plus ou moins intense…. On ne peut que se féliciter que la « reconnaissance » par l’iris cesse d’être utilisée uniquement dans un but d’identification sécuritaire, tout en s’interrogeant sur cet improbable coexistence des egos, une couleur chassant l’autre….
- Sur-mesure/Photo DB
La diversité des « visions » du monde, justement. Qu’elles coexistent et que chacun s’y retrouve, ce serait le Paradise… Alors, à chacun de se bricoler son système de valeurs à l’aide de bribes de textes qui tapissent un pan de mur entier. Un patchwork coloré de textes sacrés (Bible, Coran, Thora), ou « sacralisés », comme le Capital de Karl Marx. « j’ai grandi en Union soviétique où la lecture et l’exégèse du Capital constituaient une forme de catéchisme« , explique Olga Kisseleva. Il s’agit de « laisser le visiteur se faire sa propre construction en prenant ce qu’il y a de meilleur dans chaque idéologie« .
Après avoir adapté le monde au visiteur, pourquoi,pour finir, ne pas faire disparaître celui-ci? C’est ce que l’artiste propose avec Colapsar , un dispositif optique composé d’un cône transparent surmonté d’un miroir hémisphérique. En entrant dans le cône,le visiteur voit se refléter l’ensemble de la salle d’exposition dans le miroir hémisphérique au-dessus de lui, à l’exception de la zone où il se trouve…
Si dans Le meilleur des mondes , l’individu, le visiteur, peut avoir l’impression éphémère d’imprimer sa marque sur l’environnement, dans la réalité c’est le contraire qui est la règle. « Comment la société adapte l’individu à elle-même« , est le thème abordé par la vidéo Ma double vie. Elle fait partie d’une série de dyptiques vidéos (1), montrant des personnes dont les occupations professionnelles – et donc la place que leur accorde la société – se révèlent en parfaite inadéquation avec leurs compétences réelles. En l’occurrence un jeune artiste contraint à être caissier dans un supermarché… Mais finalement, cette expérience lui inspire une création à partir des tickets de caisses laissés par les clients. Sur un écran on le le voit donc en train d’effectuer les gestes mécaniques et répétitifs du caissier, et sur l’autre le résultat de son travail de création. Une double expérience qu’il raconte lui même et qu’on peut entendre au casque.
A l’exception de cette dernière oeuvre et de Paradise, les oeuvres présentées ont fait l’objet d’une commande spécifique pour Rurart, comme c’est le cas pour toutes les expositions, tient à souligner Arnaud Stinès, directeur de Rurart. Quant au choix des artistes, il se fait en fonction « des problématiques et des enjeux de société assez forts dans le monde contemporain » abordés dans leur oeuvre. Bref, des artistes « qui ont quelque chose à dire« . C’est ainsi que la prochaine exposition, sur le thème du « principe de précaution », a été confiée à Art orienté objet, le duo artistique Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, indique Arnaud Stinès.
Une option qui peut s’apparenter à une prise de risque. Comme récemment avec Rumeur, de Catherine Bay, dont le commando de Blanches-neige munies d’armes factices avait suscité un émoi considérable dans le landernau poitevin. Mais Rurart accueille quelque 5000 visiteurs par an, dont 50% d’extra-scolaires, « un chiffre en augmentation régulière, souligne son directeur, à peu près équivalent à celui du centre d’art de Poitiers« . Il n’en reste pas moins que le travail de communication et de médiation reste primordial pour « aller chercher le public« .
Outre l’art contemporain et l’action culturelle, l’activité de Rurart comprend également les pratiques numériques avec un espace multimédia et touche les domaines de la formation, de la création et de la diffusion. Véritable « opérateur culturel du territoire », Rurart coordonne un réseau régional de spectacles qu’anime également Arnaud Stinès avec son équipe de cinq personnes à temps plein. Ce n’est pas de trop !
(1) Une série réalisée en 2007 à l’occasion de Douce France, exposition monographique d’Olga Kisseleva à l’abbaye de Maubuisson.
Pour en savoir un peu plus sur Arnaud Stinès et Rurart, cliquer ici.