Après l’hygiène, les voyages, la cuisine ou l’école, le lit est le thème de l’exposition actuellement présentée à la Tour Jean sans Peur. Depuis son ouverture au public en 1999, ce site – un des rares vestiges d’architecture civile médiévale à Paris – propose régulièrement des expositions destinées à mieux faire connaître au grand public la vie quotidienne pendant cette période de l’Histoire, au-delà des clichés dont elle est encore souvent l’objet.
A voir jusqu’au 13 novembre 2011.
Mais tout d’abord quelques mots sur cette tour Jean sans Peur. Dernier vestige de l’hôtel des ducs de Bourgogne, elle a été édifiée au tout début du XVe siècle par le duc Jean Ier de Bourgogne, dit Jean sans Peur. Elle a été classée Monument historique en 1884, à l’occasion du percement de la rue Etienne-Marcel, au numéro 20 de laquelle on y accède aujourd’hui. A condition de l’avoir repérée : en retrait de la rue, entre un immeuble d’habitation et une école élémentaire, la tour manque un peu de visibilité…
C’est dommage car l’édifice – restauré au début des années 1990 – mérite le détour, pour lui-même et pour les expositions qui y sont présentées depuis le début des années 2000.
On a aimé gravir les degrés de pierre d’un escalier à vis s’épanouissant en arbre avec sa voûte sculptée de motifs végétaux. On avait pu découvrir avant cette belle surprise du sommet, l’aménagement d’une chambre princière témoignant d’un grand confort, avec notamment des latrines qui, contrairement à celles des époques précédentes, ne débouchaient pas sur l’extérieur, mais disposaient d’un conduit dans l’épaisseur du mur, aboutissant à une fosse en sous-sol. A côté des latrines : broc, vasque et serviette pour se laver les mains ou faire un brin de toilette. On insiste sur ces détails triviaux car, contrairement aux idées reçues, au Moyen Âge, on se lave ! C’est au XVIIe siècle, qu’on en viendra quasiment à bannir l’eau, donc les ablutions, car on pensait que certaines maladies s’attrapaient par pénétration de l’eau dans la peau. Bref, on était plus propre à l’Hôtel de Bourgogne qu’à Versailles trois siècles plus tard.
Toutes choses que nous aurons découvertes lors de notre première visite à la tour Jean sans Peur, à l’occasion, en 2003, d’une exposition consacrée précisément à L’Hygiène au Moyen-Âge.
Au fil des expositions, le propos est effectivement de faire découvrir la vie quotidienne au Moyen Âge, dans tous ses aspects et en balayant au passage quelques idées reçues sur une période de l’Histoire encore mal connue du grand public et nourrie de clichés. C’est ainsi qu’année après année, l’hygiène, les voyages, la cuisine, l’école, la santé … ont été explorés, sous la houlette de l’historienne Danièle Alexandre-Bidon, commissaire associée à la tour Jean sans Peur. Le propos est à chaque fois savant et accessible, didactique et plaisant, exhaustif sans être pesant, éclairé par la très riche iconographie médiévale. C’est encore le cas avec cette dernière exposition Au lit au Moyen Âge, qui nous présente ce lieu important de la vie dans toutes ses fonctions et ses occupants dans tous leurs états, de la naissance à la mort, au fil des panneaux présentés sur deux niveaux.
Si au temps des Carolingiens on dort souvent par terre, le lit va progressivement gagner en hauteur et confort et le dormeur médiéval des XIVe et XVe siècles n’a apparemment rien à envier à notre confort « moderne ». En témoigne ce très beau lit drapé de soie sauvage au bleu intense, une restitution réalisée par la styliste Sally Ruddock-Rivière et l’ébéniste Louis Sebaux, qui accueille le visiteur à son entrée dans l’exposition.
Il s’agit bien évidemment d’un lit de gens riches, les seuls à jouir d’une chambre personnelle, conjugale pour les bourgeois, séparée pour l’aristocratie. Tandis que les ruraux ou les pauvres dorment dans le même lit. Le comble de l’infortune est de n’avoir « ni couverture ni lit », comme l’écrit au XIIIe siècle le poète Rutebeuf dont les côtes « ont l’habitude de la paille, mais un lit de paille n’a rien d’un lit »… (1) Une infortune qui aura hélas traversé les siècles, le carton remplaçant aujourd’hui la paille sur les trottoirs de nos villes…
Le lit « idéal » sera donc surélevé – planche épaisse ou estrade – , garni d’un matelas, surmonté d’une ou plusieurs couettes – on préconise la plume pour l’hiver et la laine ou le coton pour l’été – le tout recouvert de (beaux) draps, de couvertures et/ou d’une courtepointe, de fourrures… Des tentures isolent le lit du reste de la chambre… Laquelle est aussi un lieu de vie sociale : on y reçoit ses amis et c’est allongés que les grands de ce monde donnent audience…
Comme on fait son lit on se couche, dit-on, et surtout on dort. Le sommeil est affaire sérieuse au Moyen-Âge, sur laquelle se penchent médecins et encyclopédistes. Avec notamment le Tacuinum sanitatis, un manuel médiéval sur la santé, basé e sur un traité médical arabe écrit par Ibn Butlan, lui-même inspiré d’Hippocrate et Aristote. Cet ouvrage, extrêmement documenté avec une riche iconographie, est très populaire. Et certains de ses préceptes sont encore valables, comme par exemple dormir 8 heures par nuit pour un adulte et, plus généralement « l’abstention pour le corps d’excès de veille ou de sommeil »…
On remarque au passage que l’imagerie médiévale montre toujours des dormeurs étendus de tout leur long, ce qui va à l’encontre de l’idée reçue d’une moindre longueur des lits impliquant une position semi-assise. Celle-ci se serait diffusée plutôt à la Renaissance qu’à l’époque médiévale…
Qui dit sommeil dit aussi rêves et cauchemars, phénomènes objets d’études et de théories : les songes se formeraient dans l’une des trois chambres du cerveau, celle de l’imagination, logée dans le lobe frontal…. Sur ce thème, l’exposition présente une œuvre étonnante de Dürer, La Trombe, présentée comme « la première peinture d’un cauchemar vécu ». On y voit « un paysage d’une clarté lunaire avec à l’horizon une trombe d’eau s’apprêtant à le dévaster ».
Le lit est aussi le lieu des ébats amoureux. Si l’Eglise légitime et codifie l’amour physique dans le seul but de la procréation, cela n’interdit pas l’enthousiasme de certains couples. En témoigne celui croqué par le Maître de Wavrin, une œuvre qui tranche sur l’iconographie de l’époque, par sa monochromie et un trait épuré ou parfois seulement ébauché, très « moderne », qui évoque la bande dessinée.
Lieu de vie – intime et social lorsqu’ élargi à la chambre – le lit est aussi celui de la maladie et de la mort, en cette époque où – contrairement à la nôtre – l’on meurt généralement dans son lit, l’hôpital étant un recours pour les indigents. Le « lit de mort » fera d’ailleurs l’objet d’une conférence, le 12 octobre 2011, par Danièle Alexandre-Bidon, commissaire de l’exposition, dans le cadre des manifestations qui accompagnent l’exposition.
C’est ainsi que le 22 juin on s’est régalé en écoutant Michel Pastoureau, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, évoquer Quand la bête dort. Le lit et le sommeil des animaux dans les traditions médiévales. Et que le 21 septembre on pourra frissonner en allant Au lit avec un fantôme, en compagnie de Marie-Anne Polo de Beaulieu, historienne, directrice de recherches au CNRS….
En attendant la prochaine exposition : L’animal au Moyen Âge, du 19 novembre 2011 au 2 avril 2012.
L’exposition Au Lit au Moyen Âge, comme les précédentes a donné lieu à un catalogue, édité par l’Association des Amis de la tour Jean sans Peur qui gère le monument et a su en quelques années insuffler une vraie dynamique et susciter des événements de qualité.
On est dans de beaux draps !
J’aimeJ’aime