« DE LORIENT A L’ORIENT» : la Compagnie des Indes se raconte au château de Blois

La Compagnie des Indes a eu le monopole du commerce entre la France et l’Orient, de la seconde moitié du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe. Pendant plus de cent ans le port de Lorient a accueilli les précieuses marchandises – épices, tissus, porcelaines…  – en provenance de lieux dont les noms font encore rêver : Pondichéry, Chandernagor… Réalisée dans le cadre des 14èmes Rendez-vous de l’Histoire consacrés cette année à l’Orient, l’exposition De Lorient à l’Orient présentée au château de Blois, retrace cette double aventure maritime et financière, de sa naissance à son déclin.
A voir jusqu’au 20 novembre 2011.  

Cette exposition a vu le jour à l’initiative du ministère de la Défense, dont le Service historique conserve deux fonds exceptionnels sur les relations de la France et de l’Orient au XVIIIe siècle : celui des cartes et plans de la marine, au château de Vincennes, et celui de la Compagnie des Indes à Lorient. De Lorient à l’Orient résulte donc du partenariat entre la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la Défense et le musée de la Compagnie des Indes de la ville de Lorient. Celui-ci a prêté une partie importante de ses collections tandis que le Service historique de la Défense se chargeait de la synthèse historique et de la mise à disposition de documents d’archives et d’atlas.«Un ensemble permettant de rendre compte, comme le souligne René Estienne, conservateur général du Patrimoine au Service historique de la Défense,  des dimensions à la fois exotiques et fonctionnelles de la Compagnie ».

Laquelle n’aurait pu voir le jour et se développer sans une puissante flotte de guerre et marchande. Les quelques expéditions privées vers l’Asie au début du XVIIe siècle avaient vu leurs vaisseaux détruits ou confisqués par les Hollandais dont les compagnies s’étaient arrogées le  monopole du commerce au delà du Cap de Bonne-Espérance, après en avoir évincé les Portugais… Colbert, nommé intendant de la Marine par Louis XIV en 1663, va s’atteler à doter la marine française d’une flotte puissante. En vingt ans, il fait passer la flotte de guerre de 18 à 276 bâtiments, tandis qu’il restaure la marine marchande française  en  créant la Compagnie des Indes… sur le modèle hollandais des compagnies de commerce à capitaux d’Etat.

C’est la rade de Port-ouis, sur la côte sud de Bretagne, entre Brest et Rochefort, qui est choisie pour l’installation de ce qui va devenir la Compagnie perpétuelle des Indes. Le site est protégé et sa proximité avec Nantes facilite l’approvisionnement des marchandises nécessaires à la construction navale. Le visiteur peut voir, dans la première salle de l’exposition, la maquette du Soleil d’Orient, le premier navire construit à Lorient de 1666 à 1669.

Antoine Barthélémy de Vire Duliron de Montivers, capitaine d’infanterie au sein de la Compagnie des Indes.

Tandis que les infrastructures  – chantiers de construction et d’armement des navires, magasins, salle des ventes… – se développent dans  l’enclos du port, autour, s’édifie progressivement une ville, Lorient, qui comptera quelque 20 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle. La vente des marchandises asiatiques rapporte beaucoup d’argent aux actionnaires des compagnies : au XVIIIe siècle, la Compagnie arme plus de 500 navires. Une évolution abondamment renseignée dans l’exposition avec des gravures, documents et portraits.

L’enrichissement de quelques- uns, l’esprit d’aventure parfois récompensé, ne doivent pas masquer la prise de risque et les souffrances – dangers de la mer, maladies et épidémies, misère, exil – que représentait chaque voyage pour le plus grand nombre, sachant qu’un aller et retour vers la Chine durait en moyenne deux ans…. Cette réalité, les archives historiques de la Compagnie des Indes la restituent dans la deuxième salle de l’exposition : récits des voyageurs, cartes de navigation, plans etc. Il y a aussi l’imposante maquette en éclaté du navire Le comte d’Artois, qui met en évidence l’organisation de la vie à bord.

Lorient voit partir navires et équipages, c’est aussi le lieu où arrivent les marchandises d’Asie : soies et porcelaines de Chine, mousselines et indiennes de l’Inde, le thé, le café, le sucre et les épices (comme la cannelle de Ceylan), les drogues médicinales, les bois précieux, sans parler des tigres royaux du Bengale, du rhinocéros et de l’éléphant d’Asie ou des oiseaux exotiques.

La dernière salle de l’exposition permet de découvrir « un florilège des marchandises qui ont justifié toute cette aventure maritime, commerciale et de pouvoir. Principalement la porcelaine et la soie qui sont les deux marchandises les plus anciennes dans l’histoire des échanges », explique Brigitte Nicolas, conservateur en chef du musée de la Compagnie des Indes de Lorient. La porcelaine, que les Chinois maîtrisaient depuis le VIIe siècle, était très prisée des aristocrates en Europe. On peut en voir quelques magnifiques pièces, essentiellement du XVIIIe siècle.

Ce qu’ii est intéressant de noter, c’est que « à partir de l’arrivée des Européens, Les Chinois vont adapter leur production au goût de ceux-ci. Pour ce faire, des gabarits d’orfèvrerie sont expédiés en Chine, où ils vont être copiés, comme cette aiguière. Quant à l’iconographie traditionnelle chinoise – confucéenne et bouddhiste avec les chrysanthèmes, prunus, pins… –  elle va disparaître progressivement au profit d’une iconographie plus européenne, au travers des gravures – notamment galantes, on est au XVIIIe siècle – envoyées par le biais de la Compagnie jusqu’à Jingdezhen,, qui était le grand centre chinois de production des porcelaines d’exportation ».  Déjà le Made in China !

Il arrive même que soient produites des « chinoiseries », c’est-à-dire que des pièces sont fabriquées en Chine reproduisant des dessins créés en Europe à partir d’une représentation fantasmée de l’art chinois…

Importées en masse aux XVIIe et XVIIIe siècles, les porcelaines chinoises vont connaître un déclin au profit de la porcelaine française, après la découverte du secret de leur fabrication. Mais on estime à quelque 200 millions les pièces de porcelaines chinoises importées, depuis les premières expéditions des Portugais en Chine, jusqu’à la fin des Compagnies des Indes au milieu du XIXe, la Compagnie anglaise ayant  poursuivi ses activités jusqu’à cette date.

« C’est finalement la révolution industrielle qui met un terme aux échanges avec l’Orient et ce qui était objet de commerce avec l’Orient devient production industrielle européenne. Donc la situation que l’on connaît aujourd’hui avec la montée en puissance, apparente et effective, de l’économie chinoise n’est jamais qu’un retour à la situation des XVIIe et XVIIIe siècles, constate René Estienne,  D’abord dépendants de la capacité de production en Chine, le jour où nous avons acquis les technologies, nous avons recentré et développé la capacité de production en Europe, et aujourd’hui, deux siècles plus tard, c’est le mouvement inverse qui se produi,… Un mécanisme qui engendre des développements mais aussi des problèmes et des conflits potentiel… comme nous le rappellent ces objets »…

La Chine, ce n’est pas seulement la soie et les porcelaine, mais aussi le thé, importé essentiellement par les Anglais, des laques, des papiers peints,  des éventails d’ivoire ou de papier, et des « bagatelles » : pétards,  fleurs en papier, sucre candi… Ou encore des automates précieux, comme ce mandarin à la tête et aux mains en ivoire peint, répondant à une commande spécifique de l’un des derniers directeurs de la Compagnie des Indes en poste à Lorient. « Un objet rare qui montre tout l’attrait des hommes impliqués dans ce commerce pour les objets fabriqués en Chine en vue de l’exportation. Des objets qui ont influencé de manière extraordinaire les arts décoratifs, encore aujourd’hui », souligne Brigitte Nicolas.

De l’Inde venaient d’abord les épices, surtout le poivre de la côte de Malabar et de Mahé. « Ce commerce a fait découvrir aux Européens les textiles indiens qui servaient de monnaie d’échange dans les îles – notamment les Moluques – qui produisaient la noix de muscade et le clou de girofle, explique Brigitte Nicolas. Là aussi, on a  fait adapter la production au goût des Européens, ce qui donnera rapidement lieu à un véritable engouement pour l’indienne, ces textiles légers de coton teintés de couleurs vives à partir de la garance et de l’indigo,  les Indiens ayant aussi découvert le secret de la fixation ».

Les textiles servent à l’habillement mais aussi à l’ameublement et la décoration, comme ces courtepointes où se mêlent motifs décoratifs du début du XVIIIe siècle et motifs animaliers locaux. On découvre aussi dans l’exposition, les cotons blancs et mousselines du Bengale, utilisés pour la confection de  chemises, langes et robes, avec la mode qui, à partir de la Révolution et jusqu’à la Restauration, rejette les corsets pour des formes fluides. Les textiles indiens ont représenté la part la plus importante (60%) du commerce de la Compagnie des Indes.

La Révolution met fin dans la nuit du 4 août 1789 aux privilèges de la Compagnie qui continuera de fonctionner jusqu’en 1793 afin de procéder aux liquidations des affaires.  Pour Lorient c’est la fin de l’aventure indienne…

… Mais pas de la société de consommation occidentale, dont on peut dire que le commerce des Compagnies des Indes aura été l’annonciateur, en prenant « une part décisive dans la compétition internationale qui marque l’essor du capitalisme et de la mondialisation ». (1)


(1)
Source : l’article de présentation de la Compagnie des Indes sur la base de données  SGA-Mémoire des Hommes  du ministère de la Défense. Un des mérites de l’exposition aura été d’attirer notre attention sur ce travail remarquable du Service historique de la Défense, destiné à mettre à la disposition du public des documents numérisés et des informations issues des fonds d’archives et des collections conservés par le ministère.

Liens utiles :
www.chateaudeblois.fr
Musée de la Compagnie des Indes à Lorient
Les Rendez-vous de l’Histoire

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