
Éva Jospin, »Forêt », 2013 (détail) © Raphaël Lugassy
(Exposition prolongée jusqu’au 19 janvier 2014)
La Galerie des Gobelins à Paris rouvre ses portes après sa fermeture estivale. C’est l’occasion de ne pas rater la Carte blanche donnée jusqu’au 22 septembre 2013 à Eva Jospin. Sculptée dans le carton, dont l’artiste a fait son matériau privilégié depuis plusieurs années, sa forêt monumentale vient en contrepoint de l’exposition Gobelins par Nature, Éloge de la Verdure XVIe-XXIe siècle. Installée dans le Salon Carré, savamment éclairée, l’oeuvre d’ Éva Jospin s’offre au visiteur, présence aussi imposante que mystérieuse entre artifice et nature.
Disons-le tout de suite, le travail d’Éva Jospin nous avait tout de suite séduit lors de sa découverte en 2010 à l’occasion d’un exposition à la Fondation EDF à Paris où était présenté une de ses « Forêt ». Le plaisir avait été renouvelé deux ans plus tard au Musée Senlecq de l’Isle-Adam où une de ses oeuvres figurait dans le cadre de l’exposition Histoires d’arbres.

Éva Jospin, « Forêt » 2013, détail © Raphaël Lugassy
Cette fois, avec l’invitation des Gobelins, Eva Jospin est passée à une autre dimension avec une Forêt de 7,6 mètres sur plus de 4 mètres de haut, occupant tout un côté du Salon carré de la galerie des Gobelins. Une sculpture qui a demandé quelque six mois de travail, réalisée avec du carton découpé et collé. L’effet est saisissant, d’autant plus que le fait d’avoir décalé l’oeuvre par rapport au fond de la salle, lui donne une sorte de profondeur, » l’idée que la forêt continue derrière l’oeuvre, qui n’en serait que l’écume » , souligne Marc Bayard. « Une forêt qui dans l’imaginaire occidental est ambivalente, à la fois le lieu du bonheur, de l’utopie amoureuse, de l’enchantement, et celui du danger, de la mort, de la chasse… Nature morte ou nature vive, chacun réagissant selon son humeur« , ajoute-t-il. …
Depuis 2012, date à laquelle a été mise en place une « Carte blanche » donnée à un artiste contemporain parallèlement aux expositions thématiques de tapisseries et autres pièces du Mobilier national présentées aux Gobelins, celle donnée à Éva Jospin à l’occasion de la manifestation Gobelins par Nature, Éloge de la Verdure XVIe-XXIe siècle nous est apparue comme une des plus pertinentes.
Comme le rappelle Marc Bayard, à qui a été confiée la direction artistique de la Carte blanche, le principe de celle-ci répond au « souhait d’être à la fois en résonance et différence avec ce qu’on peut voir dans la Galerie« . L’oeuvre d’Eva Jospin assume parfaitement cette ambivalence. Sa Forêt est en résonance avec cette nouvelle exposition conviant le visiteur à un parcours dans cinq siècles de tapisserie sur le thème de la représentation du monde végétal.

EVA JOSPIN © Raphael Lugassy
Mais par delà les différences évidentes de matériaux et de technique (1) que l’art d’Éva Jospin présente avec celui de la tapisserie, il est aussi une résonance plus profonde que seule l’artiste pouvait mettre en évidence : « Cette invitation aux Gobelins me touchait beaucoup, parce que, sans que Marc (Bayard) le sache – car il a découvert mon travail par la magie d’Internet – j’ai souvent sollicité la tapisserie quand on me demandait des références. Il y a évidemment la représentation de la nature dans les arrière-plans de la peinture du Moyen-Âge ou de la Renaissance qui ont ces aspects enchantés, imaginaires. Lesquels sont également présents dans la représentation de la nature dans la tapisserie. Par ailleurs, ça m’intéressait d’être ici aux Gobelins, car il y a un travail sur l’idée de la lenteur et d’une progression minutieuse, quotidienne, et en même temps de l’invention et de la remise en question de la technique en trouvant des astuces, des trouvailles pour rendre un effet. Et ça fonctionne bien en écho avec le type de travail qu’une tapisserie demande« .
Si la tapisserie évoque les fastes des cours royales, les sculptures d’Éva Jospin feraient plutôt penser à l’Arte povera. Elle-même évoque le plasticien japonais Tadashi Kawamata (2) : » Il fait des cabanes dans lesquelles on ne peut pas grimper, moi je fais des forêts dans lesquelles on a envie de rentrer mais on ne le peut pas (…) Il y a un rapport à l’illusion avec en même temps toutes les clés de cette illusion, car il suffit de s’approcher pour voir que ça n’est pas très épais, que la profondeur est plus ressentie que réelle. Et ça m’intéressait beaucoup de travailler sur le plaisir qu’on peut avoir à se laisser prendre, à se laisser « piéger » … On est à la lisière et en même temps on ressent, suivant qu’on se rapproche ou s’éloigne, un rapport entre son corps et la pièce« …

Éva Jospin, « Forêt », 2013 © db
De près, de loin… « Comme dans une tapisserie où selon qu’on la voit de loin ou de près, les effets ne sont pas les mêmes« , fait remarquer Marc Bayard. … Ce qu’on aura pu éprouver au fil de cette très belle exposition qu’est Gobelins par Nature, Éloge de la Verdure XVIe-XXIe siècle, du foisonnement des motifs floraux de la fin du Moyen-Âge aux « pixels » de Christophe Cuzin pour représenter le jardin des Gobelins en 2012…(3)
(1) Si la sculpture n’a rien à voir avec le travail du lissier, Marc Bayard fait remarquer que la technique utilisée par Éva Jospin la rapproche de l’art pictural : « Dans la sculpture on part d’un bloc brut et on enlève, on élague, alors qu’ici c’est du rajout, elle part du fond et rajoute petit à petit. C’est donc un objet sculptural avec une technique picturale« …
(2) Tadashi Kawamata dont on avait découvert la Cathédrale de chaises dans les caves de Pommery en 2007 et dont on a pu voir l’installation Collective Folie au Parc de la Villette, réalisée lors de workshops avec des étudiants, des lycéens, des habitants du quartier, entre avril et août 2013.
(3) L’exposition Gobelins par Nature, Éloge de la Verdure XVIe-XXIe siècle est à voir jusqu’au 19 janvier 2014.
Galerie des Gobelins
42 avenue des Gobelins 75013 PARIS
Ouverture du mardi au dimanche, de 11h à 18h
http://www.mobiliernational.culture.gouv.fr/fr/accueil