Théâtre : « Je suis encore en vie », au Tarmac

"Je suis encore en vie", Tarmac.

« Je suis encore en vie »© Tarmac.


Avec cette nouvelle pièce de Jacques Allaire, la scène internationale francophone du Tarmac nous convie à une expérience théâtrale surprenante et prenante. Après « les Damnés de la terre« , mise en scène et en mots de la pensée de Franz Fanon, l’auteur et metteur en scène a choisi le mutisme pour exprimer l’indicible violence faite à une femme, la poétesse afghane, Nadia Anjuman, battue à mort par son mari. Durant l’heure que dure le spectacle, on n’entend jamais les voix des acteurs, Anissa Daoud et Jacques Allaire, mais on est porté par la puissance de leur présence dans un silence habité de sons, de musique et de bribes de paroles. À voir jusqu’au 24 janvier.

Pour Jacques Allaire, Je suis encore en vie forme avec Les Damnés de la terre  un « diptyque de l’aliénation« , en ce que dans les deux spectacles au-delà de leurs différences,  « les êtres se débattent avec  ce qui les opprime« .

C’est dans la petite salle du Tarmac qu’est présenté ce second volet. Les gradins en arc de cercle peuvent accueillir une soixantaine de spectateurs. Un espace parfaitement adapté au huis-clos entre la femme et l’homme, un « espace sacrificiel » comme le qualifie Jacques Allaire et qu’il (l’homme) va achever de délimiter et de clore au début du spectacle en déroulant sur le sol une bande adhésive blanche.

"Je suis encore en vie", Tarmac ©Eric Botrel

« Je suis encore en vie », Tarmac ©Eric Botrel

Comme pour mieux matérialiser l’enfermement de la femme dans la répétition des gestes d’un quotidien fait des soins à l’époux, de l’attention à l’enfant et de la prière. La lenteur avec laquelle la femme accomplit ces gestes en accentue le côté cérémoniel et la portée tragique. La violence y est présente en sourdine, celle qui sourd de la révolte contenue contre la tyrannie subie, de l’âme et du corps.

Et justement, la pulsion meurtrière va se donner libre cours dans un corps à corps désespéré, impudique et furieux. Certaines étreintes évoquent celles de l’amour… Privé de vie, à terre, le corps de l’homme est lourd, trop lourd, impossible …  Il faut saluer la belle performance physique des deux acteurs dans cette séquence quasiment insoutenable où se mêlent violence et désir inassouvi.

"Je suis encore en vie" © Tarmac

« Je suis encore en vie » © Tarmac

Une mort fantasmée.  Comme la pulsion de meurtre contenue depuis  le début du spectacle dans les gestes de la femme, lorsque qu’elle contrôle l’arrivée de l’oxygène dans le masque de l’homme allongé ou qu’elle s’approche de celui-ci serrant le foulard tendu entre ses mains …

"Je suis encore en vie", Tarmac © Eric Botrel

« Je suis encore en vie », Tarmac © Eric Botrel

Mais le tissu n’aura alors servi qu’à recouvrir d’un voile le visage de l’homme, comme pour mieux échapper à son regard. Tandis que sur le visage de la femme se mettent à scintiller les éclats de lumière surgis des pages du livre qu’elle a sorti de sa cachette et ouvert, dans ce bref instant de liberté que lui offre la nuit. Les cheveux sont dénoués, les jambes se déploient. Comme un envol. Un très beau moment, sur le fond comme sur la forme, de ce théâtre sans mots. (1)

La femme mourra. L’homme allumera une cigarette, comme après l’amour. C’est d’ailleurs une chanson d’amour qu’on entend. On le sait, dans la vie réelle, il a été relâché après quelques jours passés en prison…

Les mots sont difficile à mettre sur ce spectacle que Jacques Allaire a voulu « comme une sensation » et « purement subjectif ». C’est en  tout cas une expérience à la fois intense et intime, physique et poétique, qui doit beaucoup à la présence d’Anissa Daoud (2) et à la scénographie de Jacques Allaire, en collaboration avec Stéphane Monteiro pour le son et Norbert Richard pour la lumière.

"Je suis encore en vie", Tarmac © Eric Legrand

« Je suis encore en vie », Tarmac © Eric Legrand

(1) Les mots, on les a trouvés dans ce poème de Nadia Anjuman, Illumination :

« Voici la nuit : la poésie illumine mes instants
Voici l’exaltation qui peigne mes cordes vocales
Quel est ce feu, merveille étrange, qui m’abreuve ?
Voici que le parfum de l’âme embaume le corps de mes rêves
Je ne sais de quelle montagne, de quel sommet d’espoir
Voici que souffle une brise nouvelle sur la saison de ma fin
Du halo de lumière me vient une transparence, luminescence
Voici que n’ont plus d’autre désir mes larmes et mes soupirs
Les étincelles de mes plaintes font une poussière d’étoiles
Voici que la colombe de mes prières fait son nid dans l’empyrée
Mes larmes incontrôlées sur les lignes de mon livre
Voici qu’elles tombent, goutte à goutte, vois-tu ô mon Dieu
De mes paroles dans un cahier, de mes mots tumultueux
Voici que gronde une tourmente, fruit de mon silence obstiné
Aube, chère aube, ne déchire pas la soie imaginaire
Voici que je suis plus heureuse la nuit, quand poésie illumine mes instants »
(Traduction de Leili Anvar)

L’écrivain afghan Atiq Rahimi a reçu le prix Goncourt 2008 pour son livre Syngué sabour (Pierre de patience), dédié à Nadia Anjuman dont il s’est inspiré pour son personnage de femme.

(2) Anissa Daoud qu’on retrouve dans le prochain spectacle du Tarmac, Leïla and Ben – a bloody history, une adaptation de Macbeth présentée du 28 janvier au 7 février 2014. 

Le Tarmac
159 avenue Gambetta – 75020 Paris
Réservations : 01 43 64 80 80

Cet article, publié dans Culture, Témoignage, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s