
Debat-Ponsan, « La terrasse de Nazelles » © collection Claude Monod-Broca, Paris / photo François Lauginie
C’est un aspect moins connu de l’oeuvre d’Edouard Debat-Ponsan (1845-1913) que cette nouvelle exposition du musée des Beaux-Arts de Tours invite à découvrir, au delà d’un art officiel et académique auquel la peinture de cet artiste est plus volontiers associée. C’est surtout à partir de son séjour en Touraine où il s’installe définitivement en 1900 à la suite de sa prise de position dans l’affaire Dreyfus que Debat-Ponsan en vient à une touche plus délicate et à un travail subtil sur la lumière. Une intéressante évolution artistique que met en évidence le parcours de l’exposition, à la fois chronologique et thématique. Avec quelques coups de coeur…
À voir jusqu’au 15 février 2015

Debat-Ponsan, » Le massage » ©, musée des Augustins, Toulouse / photo Denis Martin
Précisions tout d’abord qu’à l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous connaissions quelques tableaux d’Edouard Debat-Ponsan en ignorant qu’il en était l’auteur. Notamment Le Massage, scène de hammam, une toile dans la veine orientaliste chère aux artistes du XIXe siècle. L’exposition de Tours, où figure le tableau, nous apprendra que cette thématique est restée « ponctuelle dans l’oeuvre du peintre » et que son séjour à Istanbul a surtout constitué « une expérience riche d’enseignement quant à l’observation de la lumière et des paysages méditerranéens« .

« Le dépiquage au rouleau de Pierre », 1892 (détail) / © MBA Tours, Photo db
Car avant de s’installer en Touraine et de s’attacher à la douceur de ses paysages, à la variété et subtilité des teintes et reflets de son fleuve tranquille, la palette de Debat-Ponsan a saisi d’autres lumières. D’abord celle du sud-ouest : il est né et a grandi à Toulouse, et passé les vacances dans la campagne languedocienne. Il s’intéresse à la vie rurale, avec un regard qu’ Ingrid Leduc, conservateur du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Tours, qualifie de « ethnographique« , comme en témoigne une série de tableaux montrant les paysans au travail. Des scènes de plein air qui constituent « une phase de transition » dans la carrière du peintre et vont influencer de manière déterminante sa recherche sur le traitement de la lumière et ses variations. Remarquable est la manière dont « la paille accroche la lumière » dans Le Dépiquage au rouleau de pierre, tableau peint en 1892.

Dabat-Ponsan, « Mère et fille dans un jardin breton » © MBA Tours / photo François Lauginie
Il y a aussi la Bretagne, Rothéneuf sur la côte d’Emeraude, où entre 1890 et 1900 l’artiste et sa famille passent l’été. Là encore Debat-Ponsan multiplie les vues de plein air, privilégiant les petits formats sur bois où il excelle, comme dans l’esquisse Enfants à la plage. Mais il reste avant tout « le peintre de la terre, de la campagne et des scènes du quotidien« , précise Catherine Pimbert. Pour l’attachée de conservation au musée des Beaux-Arts de Tours, Mère et fille dans un jardin breton est le « tableau le plus abouti de tous ceux qui puisent leur inspiration en Bretagne« .

Debat-Ponsan, « La Vérité sortant du puits »/ Exposition MBA Tours ©db
L’Affaire Dreyfus va marquer un tournant dans la carrière artistique de Debat-Ponsan. Avec Nec Mergitur, La Vérité sortant du puits, tableau qu’il expose au Salon des artistes français au printemps 1898, il prend parti publiquement en faveur du capitaine, rejoignant ainsi le camp dreyfusard quelques semaines après le « J’accuse…! » de Zola. Il fait don du tableau à l’écrivain.
Montrant une femme diaphane essayant de s’enfuir d’un puits, les vêtements lacérés par deux personnages – un spadassin et Don Basile incarnant l’Armée et l’Eglise – qui tentent de la retenir, l’oeuvre est éminemment symbolique. Pour l’occasion et la bonne cause, l’artiste renoue avec une facture classique et académique, une manière de frapper les esprits mais aussi, vraisemblablement « d’hypothéquer une figure que l’imagerie antidreyfusarde commençait à détourner pour la souiller » , suggère Bertrand Tillier, professeur d’histoire de l’art contemporain, université de Bourgogne.
Au musée des Beaux-Arts de Tours, le tableau est exposé au fond d’une petite salle tapissée de violet (1) où est présenté également un document rare : « L’Affaire Dreyfus », un film d’une dizaine de minutes réalisé par Georges Méliès en 1899, l’année même de la révision du procès qui s’est conclu par la grâce du capitaine. Une sorte de « docu-fiction » avant l’heure que cette reconstitution de « l’Affaire » en 9 séquences, de l’arrestation de Dreyfus au Conseil de guerre à Rennes.

Debat-Ponsan, « Le café sur la terrasse, bord de Loire à Amboise, 1908 / Coll. part./ Photo db
Sa prise de position fracassante coûte au peintre une partie de sa clientèle, à Paris et en province, notamment à Toulouse, et le brouille avec plusieurs membres de sa famille. En 1900 il trouve refuge en Touraine, dans la région d’Amboise, où il s’installe dans le château de Nazelles. Les commandes de portraits se faisant plus rares, Debat-Ponsan donne libre cours à son goût – et talent – pour les paysages, scènes familières et familiales, baignés de la nouvelle et douce lumière des rivages ligériens.
Autant de motifs qui l’approchent de la sphère impressionniste. S’il reste « fidèle à la fermeté de la ligne qui marque ses travaux antérieurs, (…) la technique plus libre avec laquelle il traite ses études leur confère une légèreté atmosphérique« , indique Véronique Moreau, conservateur en chef du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Tours, chargée des collections de peinture du XIXe siècle. Et à l’instar de Monet, il déclinera plusieurs versions du même site en fonction des heures et des variations de la lumière.

Debat-Ponsan, »Vue de Loire », coll. Adrien Debré / photo db
À contempler certains paysages des bords de Loire peints par Edouard Debat-Ponsan, on comprend qu’Olivier Debré (1920-1999) ait pu dire qu’il se sentait très proche de son grand-père, reconnaissant la dette artistique qu’il avait envers lui. Et ce n’est pas un des moindres plaisirs de cette exposition que de pouvoir la prolonger en allant contempler les grandes toiles d’Olivier Debré dans la salle du musée qui lui est dédiée. (2)

Olivier Debré, « Longue traversée gris bleu de Loire à la tache verte » (1976) acquis en 1980 ©MBA Tours, photo db
(1) Le parcours tout entier de l’exposition est servi par une scénographie qui a osé la couleur dans toutes les salles. Couleurs vives et couleurs pastels alternent de manière pertinente, créant des atmosphères qui mettent en valeur les oeuvres et soulignent les étapes dans la carrière de l’artiste.
(2) La salle a été inaugurée en 1992. Un Centre de création contemporaine Olivier Debré ouvrira ses portes à Tours au printemps 2016. Ce nouvel équipement culturel d’une surface d’environ 4500 m2 est destiné à accueillir la donation Debré, tout en poursuivant sa mission de production, diffusion et exposition de la création contemporaine sous toutes ses formes. Sa réalisation a été confiée au cabinet d’architecture portugais Aires Mateus & associés.

Entrée du musée des Beaux-Arts de Tours, 2014 © db
Musée des Beaux-Arts de Tours
18 place François-Sicard
37000 Tours
02 47 05 68 82