
Pierre Gonnord, « Charlotte » © Pierre Gonnord / à droite : Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), « Petit garçon au gilet rouge », entre 1775 et 1780, Paris, Musée Carnavalet © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
À l’occasion de sa réouverture, après trois mois de travaux, le musée du XVIIIe siècle de la Ville de Paris a fait appel à Christian Lacroix pour repenser la présentation de ses collections. Installé depuis 1990 dans l’hôtel Donon au coeur du Marais, le musée a été créé en 1928 par Ernest Cognacq (1839-1928), fondateur de la Samaritaine et grand collectionneur passionné par le XVIIIe siècle. Commissaire et scénographe, Christian Lacroix propose une nouvelle lecture des oeuvres en les faisant dialoguer avec des créations contemporaines, au fil d’un parcours thématique. Des rencontres inattendues et pertinentes destinées à mettre en évidence l’héritage culturel du siècle des Lumières.
À découvrir jusqu’au 19 avril 2015.
Le Musée Cognacq-Jay s’est saisi du récolement décennal, auquel les musées sont astreints depuis le début des années 2000, pour repenser l’organisation et la présentation de ses collections, et entreprendre une rénovation des lieux, visant notamment à améliorer l’accueil du public. (1)

Hommage à Boucher dans l’entrée du musée © db
En achetant une demeure boulevard des Capucines, à côté de la Samaritaine de Luxe, Ernest Cognacq et Marie-Louise Jay, voulaient offrir aux oeuvres de leur collection un cadre intimiste reconstituant des intérieurs du XVIIIe siècle, notamment avec des boiseries de l’époque achetées lors de ventes. Ces boiseries on les retrouve à l’Hôtel Donon, où la succession de petites pièces, si elle rend la circulation des visiteurs un peu difficile les jours d’affluence, correspond à l’ambiance souhaitée par le collectionneur.

« Lumières » au musée Cognacq-Jay / Christian Lacroix, robe haute couture créée pour Madame Françoise Lacroix (1951) Coll. Part. © db
Mais il fallait donner un nouveau souffle à cette muséographie. C’est la mission qui a été confiée à Christian Lacroix, dont on connait le goût pour les costumes, les décors, la scène et … le XVIIIe siècle! Rose-Marie Mousseaux, la directrice du musée Cognacq-Jay avait bien sûr en mémoire la collaboration du créateur avec le musée Réattu à Arles, sa ville natale, notamment une carte blanche en 2008 et la mise en scène des Picasso en 2012.
Le récolement des oeuvres a permis de dégager une dizaine de thématiques, comme autant de sections pour organiser la présentation des collections, des spectacles à l’enfance et l’éducation, en passant par Paris, capitale des lumières, l’exotisme au XVIIIe siècle, les fables, contes et romans, etc. Quand au « fil rouge » indispensable pour donner leur cohérence aux acquisitions du couple Cognacq-Jay, il a consisté pour Christian Lacroix à travailler sur ce « goût du XVIIIe siècle » dont lui-même s’est nourri dans son approche artistique. Dans cette optique il a sélectionné les oeuvres d’une quarantaine d’artistes contemporains pour faire écho à celles de la collection. De ce va-et-vient entre les époques, « le musée gagne en mise en évidence de l’influence du XVIIIe siècle « , indique le commissaire et scénographe.

Portraits de Marie-Louise Cognacg, née Jay et d’Ernest Cognacq, par Jeanne Madeleine Favier (1903) © db
Une influence qui passe par « le goût du XIXe », ce goût d’Ernest Cognacq en phase avec « ces décennies 1880/1910, (où) on se doit de vivre dans le bon goût, qui ne peut être que celui du passé, la bourgeoisie post-Napoléon III se parant un peu des plumes de l’aristocratie éclairée pré-révolutionnaire« , souligne Christian Lacroix. D’où une première salle « d’introduction » consacrée à l’histoire de la collection et à ses fondateurs, lesquels sont représentés par deux imposants portraits peints par Jeanne-Madeleine Favier en 1903. Au milieu de la salle, trône dans une vitrine, une robe d’inspiration XVIIIe. On en verra d’autres, deux étages plus haut, dans la salle dédiée au « Siècle de Boucher ». (2)
Parmi les photographies – la photo, tout de même une invention de ce XIXe siècle « pasticheur » – une vue de l’exposition à la Samaritaine de Luxe au printemps 1926, une de ces présentations éphémères où Ernest Cognacq mettait véritablement en scène ses collections avant de pouvoir les exposer dans le musée qui ouvrira un an après sa mort.
Le théâtre, justement, qui avec d’autres types de spectacles et les bals – ces « Fêtes galantes » représentées par Watteau – s’inscrit dans les multiples formes de « sociabilité » propres au XVIIIe siècle et auxquelles deux salles de l’exposition sont consacrées. C’est l’occasion d’admirer des costumes de scène de Christian Lacroix, dont celui créé pour le personnage d’Adrienne Lecouvreur en 2012, qui voisine avec des portraits et tableaux d’époque – notamment La Leçon de Musique de Boucher – et des oeuvres contemporaines, une tapisserie de Yann Gerstberger, et une sculpture de Bernard Quesniaux, Kit Arlequinade qui revisite le personnage d’Arlequin, présent également dans cette salle avec des costumes historiques.

Vincent J.Stoker, « Hétérotopia#TEEDI » © Vincent J.Stoker
Sans oublier La Chute tragique, la surprenante composition photographique d’un théâtre en ruine, une oeuvre de Vincent J. Stoker. (3)
Le XVIIIe siècle est aussi celui de « l’émergence de l’individu », laquelle « se reflète dans l’art du portrait, qui consacre le rôle de l’individu mais aussi sa personnalité intime« . Le maître est bien sûr Maurice Quentin de La Tour, avec le très connu Autoportrait au jabot de dentelle. Sous ce pastel vers 1750 et qui fait partie des collections du musée, est accroché le portrait de Cecil Beaton, une photographie de 1935 signée Gordon Anthony, où le portraitiste officiel de la famille royale britannique arbore une pose et une mise héritées du XVIIIe siècle.

Johann-Joachim Kändler (1706-1775), « La ménagère écrivant dans son livre de comptes » ou « l’Economie » ,entre 1756 et 1758 © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Masculin/féminin : un espace spécifique est dédié aux portraits féminins, qui sont « paradoxalement plus rigides« , fait remarquer Christian Lacroix, témoignant de ce que « la femme n’a pas encore vraiment sa place » dans ce siècle des Lumières. Il est vrai que si elle « participe à la vie intellectuelle et artistique (…) elle demeure largement cantonnée aux rôles fondamentaux que la société lui a assignés : l’épouse et la mère« , est-il précisé sur le texte affiché dans la salle.
Dans chaque section de l’exposition un texte succinct renseigne sur le contexte socio-historique du thème abordé, ce qui permet de mieux situer les oeuvres et parfois de mieux saisir ce qui les réunit, au-delà de ce qui est immédiatement – et diversement – lisible pour chacun. Un minimum de didactisme qui ne nuit pas au plaisir esthétique.

Invitation au rêve… un costume de scène pour Adrienne Lecouvreur (2012) avec au fond « Installation, obsession », photographie de Grégoire Alexandre (2012) © db
Après avoir parcouru des petites salles et monté des escaliers qui n’ont rien de fastueux, en accédant au dernier étage de l’exposition (qui est aussi celui du musée), le visiteur a la très agréable surprise de déboucher sur une vaste salle – quelque 100m2 – avec une belle hauteur sous l’arrondi de la charpente de bois. Quelques cloisons abattues lors des travaux de rénovation ont permis cette « vraie respiration pour l’espace dédié à la naissance de la littérature de roman« , commente Christian Lacroix. Une invitation au rêve et une respiration bienvenue au terme d’une exposition très dense et riche en découvertes.
En redescendant – le parcours en sens inverse est conseillé – on prêtera attention, si on ne l’a pas fait à l’aller – aux somptueux tapis, fruits de la collaboration entre Christian Lacroix et la société EGE, spécialisée dans la fabrication de moquettes haut de gamme.

Tapis et moquettes… © db
(1) Le mot « récolement », issu du verbe latin recolere, signifie « passer en revue ». L’opération désigne la vérification sur pièce et sur place de la présence et de l’état de tous les objets inscrits sur les registres d’inventaire d’un musée. Une opération devenue une obligation décennale depuis la promulgation d’une loi en 2002. Commencé le 12 juin 2004, le premier récolement décennal des musées de France s’est achevé le 13 juin 2014.(2) De nombreux prêts émanent du Palais Galliera (le musée de la Mode de la ville de Paris) et du musée des Arts décoratifs.
(3) Cette oeuvre appartient à la série Hétérotopia – de Hetero-topos, étymologiquement « autre lieu » – que l’artiste définit comme « une investigation phénoménologie du lieu autre qui utilise la photographie pour disséquer les corps architecturaux en leurs éléments fondamentaux et atteindre une compréhension plus éclairante du monde« . Pour en lire davantage, cliquer ici

Musée Cognacq-Jay, Hôtel Donon © db
8 Rue Elzevir
75003 Paris
01 40 27 07 21