« SONY CONGO » : la révolte et la poésie de Sony Labou Tansi sur la scène du Tarmac

"SONY CONGO", Cris Niangouna © Pierre Van Eechaute

« SONY CONGO », Criss Niangouna / Photo Pierre Van Eechaute

 

A l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de l’écrivain congolais, une pièce, Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi, fait revivre le parcours d’un créateur qui, au fil d’une vie brève – il est mort à 48 ans – et d’une oeuvre prolifique – romans, poésie et surtout théâtre – , s’est montré à la fois attaché à la terre africaine, ancré dans son pays et soucieux de s’adresser au monde. Admiratif dès la première heure de l’écriture de Sony Labou Tansi, familier de l’oeuvre et de l’homme, Bernard Magnier est l’auteur de ce texte qui se veut hommage et témoignage et restitue l’intensité poétique et subversive de la parole de l’écrivain. Une parole portée par le jeu inspiré des comédiens Criss Niangouna et Marcel Mankita et la sobriété de la mise en scène signée Hassane Kassi Kouyaté.  À voir du 11 au 14 février 2015 au Tarmac, La scène internationale francophone .

Sony Labou Tansi / DR

Sony Labou Tansi / DR

On espère vivement, avec Bernard Magnier, que « ce spectacle suscitera l’envie de la (re)lecture de cette oeuvre exaltante et incontournable« . En tout cas c’est ce que nous étions plusieurs à ressentir après avoir assisté à une répétition de Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi. 

Car ce « créateur météore » qu’est l’écrivain congolais, né en 1947 et décédé en 1995,  est aussi « l’une des voix majeures du continent africain (…) avec ses pièces enfiévrées, d’abord créées à Brazzaville par sa troupe, le Rocado Zulu Théâtre, ensuite livrées sur les scènes de Paris, Bruxelles ou New York, en passant par les capitales africaines, avec sa langue subversive et attentive aux injustices, avec ses romans iconoclastes« , résume Bernard Magnier. (1)

C’est en 1979, lors de la publication en France de son premier roman, La vie et demie, que  Marcel Sony prend pour pseudonyme Sony Labou Tansi, en hommage à son ainé, le poète congolais Tchicaya U Tam’si (1931-1988). Contrairement à ce dernier dont la plume aura accompagné les étapes menant aux indépendances, l’univers fictif de Sony s’inscrit d’emblée dans une Afrique post-coloniale dont il n’aura de cesse de dénoncer  les abus et de railler les dictatures.

SONY LABOU TANSI« Ce fut un ovni qui déboula on ne sait d’où, dans un tourbillon de mots d’éclairs et de foudre qui transforma à jamais cette littérature dans la forme et le fonds. Ceux qui le découvrent aujourd’hui peuvent difficilement appréhender l’impact qu’eut ce livre. Il a libéré les écrivains africains en leur montrant qu’un créateur avait droit à toutes les audaces« , écrit un autre écrivain congolais, Emmanuel Dongala, au sujet de ce premier livre.(2)

Beaucoup d’autres suivront: romans, nouvelles, poésie et surtout des pièces de théâtre, une quinzaine. Sony Labou Tansi  participe au festival des Francophonies de Limoges avec quatre créations, de 1986 à 1989, et il inspire de nombreux metteurs en scène dont Gabriel Garran (Je soussigné cardiaque, 1985), Pierre Vial (La rue des mouches, 1985), Daniel Mesguich (Antoine m’a vendu son destin, 1986), Michel Rostain (Moi, veuve de l’empire, 1989)… Ses pièces ont été  jouées en Allemagne, en Italie et aux États-Unis et son oeuvre a été récompensée par le Prix Ibsen en 1988. Depuis 2003, un prix portant son nom, créé en partenariat avec la Maison des auteurs des Francophonies en Limousin, récompense des pièces de théâtre francophones.(3)

« En quelque quinze ans, le romancier, dramaturge et poète, Sony Labou Tansi a ouvert des possibles, laissé une trace profonde sur bon nombre d’écrivains africains (Kossi Efoui, Alain Mabanckou ou encore Dieudonné Niangouna, etc) qui revendiquent sa filiation« , écrit Bernard Magnier. « Écrivain prolifique et non-conformiste, son écriture se veut un moyen de libération, rejetant à la face du monde les atrocités qui la gouvernent« .

"SONY CONGO", Marcel Mankita / Photo Pierre Van Eechaute

« SONY CONGO », Marcel Mankita / Photo Pierre Van Eechaute

 

Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi – qui emprunte son titre à une oeuvre de l’écrivain publiée en 1992, Une chouette petite vie bien osée (4) – se veut un « fil rouge » pour la traversée de l’oeuvre de Sony, « retraçant son itinéraire, des images de répétitions, des interviews radiophoniques, quelques scènes de ses pièces majeures interprétées par les deux comédiens (…) Marcel Mankita et Criss Niangouna, qui l’ont connu et aimé« , explique le metteur en scène Hassane Kassi Kouyaté.

À cette fin le plateau a été décomposé en trois espaces. Il y a celui du Lecteur, interprété par Criss Niangouna (5), qui évoque avec fièvre ses lectures – à commencer par l’éblouissement à celle de Une vie et demie qui résonne comme un manifeste –  ses souvenirs des oeuvres et de l’homme Sony,  ses engagements, sa place dans la chaîne des écrivains africains francophones… Au fait on avait oublié que celui qui se définira comme « locataire de la langue française, engagé dans une aventure de co-propriété » était professeur d’anglais… 

Hassane Kassi Kouyaté / DR

Hassane Kassi Kouyaté / DR

Il y a l’espace de Sony,  d’où Marcel Mankita fait entendre de sa voix posée les mots de l’écrivain, parlant ainsi de lui-même ou réagissant à ce que le Lecteur dit de lui, aux images projetées ou aux propos entendus. On écoute avec une certaine émotion la voix de l’écrivain, enregistrée lors d’interviewes radiophoniques. Projetée sur l’écran en fond de scène on voit son écriture, dans quelques échanges de lettres avec les amis qui auront compté. Sur ce même écran, au début de la pièce,  quelques images d’actualité, une carte « des » Congos, du temps de la colonisation, auront brièvement, sans lourdeur didactique, donné quelques repères au spectateur.

Le troisième espace est celui où les deux acteurs se rejoignent et se croisent pour jouer des extraits de pièces. Un espace circulaire délimité par des livres posés au sol. Le tout dans un univers sonore dominé par la Rumba congolaise.

La scénographie est simple, laissant la place aux acteurs pour mieux faire entendre la voix de Sony Labou Tansi,  avec « ses mots qui grincent et qui dérangent et rappeler combien cet écrivain demeure une référence dans la création contemporaine africaine« , souligne Bernard Magnier. Et plus d’une fois, c’est en écho troublant avec l’actualité que les  mots de celui qui déclarait avoir « l’ambition horrible de chausser un verbe qui nomme notre époque« , auront résonné sur la scène du Tarmac.

LE TARMAC

 

(1) Bernard Magnier, journaliste et auteur, dirige la collection Lettres africaines aux Editions Actes sud et organise la programmation du festival « Littératures métisses » d’Angoulême. Il est également conseiller littéraire pour le Tarmac.
(2)
Emmanuel Dongala participera, avec Henri Lopes et Alain Mabackou, à l’une des rencontres qui auront lieu le samedi 14 février  au Tarmac dans le cadre de la Journée spéciale Sony Labou Tansi.
(3) La plupart de ses manuscrits sont aujourd’hui déposés à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.
(4) Une chouette petite vie bien osée, comme nombre d’autres oeuvres théâtrales de Sony Labou Tansi, a été publié aux éditions Lansman (Belgique). Lesquelles ont entrepris une réédition à l’occasion du 20ème anniversaire de la mort de l’écrivain
(5) Criss Niangouna qu’on avait pu voir dans Les Damnées de la terre, d’après Frantz Fanon et dans la très belle mise en scène de Jacques Allaire au Tarmac en 2013.

Le TARMAC – La scène internationale francophoneSONYCONGO
159 avenue Gambetta
75020 Paris
réservation 01 43 64 80 80

– mercredi 20h/ jeudi 14h30 & 20h/ vendredi 20h/ samedi 16h
– jeudi 12 février à l’issue de la représentation du soir, une rencontre aura lieu, animée par Valérie Baran, avec Bernard Magnier & Hassane Kassi Kouyaté.
– samedi 14 février à partir de 14h30 journée spéciale Sony Labou Tansi

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