Introduits dans les cours européennes au XVIIe siècle, ces nouveaux breuvages venus de contrées lointaines ne s’imposent vraiment dans la société française qu’au siècle des lumières. Leur consommation se matérialise dans l’apparition de nouveaux objets manufacturés, de nouveaux lieux de consommation et de nouvelles pratiques. Une évolution du goût, des habitudes alimentaires et des moeurs que retrace l’exposition « Thé, café ou chocolat? L’essor des boissons exotiques au XVIIIe siècle » en réunissant des oeuvres d’artistes emblématiques du XVIIIe siècle, comme Boucher ou Chardin, et quelque 120 objets.
À voir au musée Cognacq-Jay à Paris jusqu’au 27 septembre 2015.
Le petit noir ou crème sur le zinc ou en terrasse, le chocolat chaud à l’heure du goûter, le thé ou le café au petit déjeuner : ces breuvages qui font désormais partie des rituels quotidiens dans l’ensemble de la société, ont d’abord été des boissons dites « exotiques », des produits de luxe et de prestige réservés à l’aristocratie et la haute bourgeoisie. Avant de connaître « des destins différents« , ces boissons, « arrivées ensemble, de trois horizons différents – l’Amérique du Sud pour le cacao, l’Asie pour le thé et la Turquie pour le café « , explique Patrick Rambourg, historien de la cuisine et de la gastronomie françaises (1), ont en effet suscité un véritable engouement chez l’élite. C’est Mme de Sévigné qui reproche à sa fille, en février 1671, de ne pas posséder encore de chocolatière, pour quelques mois plus tard la mettre en garde contre les effets néfastes du chocolat, accusé desusciter « une fièvre continue qui vous conduit à la mort« .

« Le grand mal de coeur de Monseigneur » (anonyme) © musée Carnavalet/photo db
Ce sont précisément, ces « Vertus et dangers des boissons exotiques » qui constituent le premier des trois axes autour desquels s’organise l’exposition. « Très tôt, on se rend compte que le café soigne le mal de tête et maintient éveillé, ce qui explique qu’il ait les faveurs des intellectuels. Mais très vite aussi, on s’aperçoit qu’à trop en boire, cela rend nerveux et empêche de dormir« , commente Patrick Rambourg. Même ambivalence autour du thé et du chocolat, avec, peut-être les positions les plus vives en ce qui concerne ce dernier qui fait même l’objet d’un débat religieux sur sa consommation en période de jeûne… À l’effet de mode et aux excès qui l’accompagnent, « succède un discours plus théorique qui fait la part du bon et du moins bon », comme comme le traité du Bon usage du thé, du café et du chocolat, par le médecin Nicolas de Blégny, publié en 1687.

Jean-Baptiste Charpentier , « La tasse de chocolat », 1768 © Institut de France/photo db
Quoiqu’il en soit, ces nouveaux breuvages s’invitent dans le quotidien de l’aristocratie, comme en témoignent nombre des tableaux présentés dans l’exposition. L’art et la manière de préparer et consommer ces boissons s’élabore au cours du XVIIIe siècle, avec des usages qui « si l’on excepte le chocolat qu’on ne fait plus mousser et qu’on consomme moins, ont perduré jusqu’à aujourd’hui« , souligne Benjamin Couilleaux, conservateur du musée Cognacq-Jay. A ces usages correspondent de nouveaux objets comme les « nécessaires » ou « services » (tasses, soucoupes, chocolatières, cafetières …), d’abord manufacturés en Chine, via la Compagnie des Indes orientales, ces pièces vont bientôt l’être en Europe et notamment en France, avec la manufacture de Sèvres dont la renommée dépasse largement les frontières du royaume, avec des motifs originaux, dégagés de l’influence orientale.

« Cabaret » à décor vert et Rose, Manufacture de Meissen (fondée en 1710 © db
Ce sont aussi de « nouvelles pratiques de table », tel le petit déjeuner et le goûter, qui se diffusent progressivement dans la société : « Point de maison bourgeoise où, à dîner, l’on ne vous présente du café. Point de fille de boutique, de cuisinière, de femme de chambre, qui, le matin, ne déjeune avec du café au lait. Ce goût […] a passé même jusqu’aux dernières classes du peuple. » (2) Des trois boissons, c’est en effet le café qui se démocratise le plus largement, influant sur les horaires des repas, selon une répartition qui est encore en vigueur aujourd’hui. « Le déjeuner que l’on prenait au cours de la matinée glisse vers la mi-journée et remplace le dîner qui recule vers la fin de journée, le souper, du moins dans la bourgeoisie, devenant le repas d’après-spectacle. Du coup, on institue une première collation, au réveil, qui prend le nom de petit-déjeuner », note Patrick Rambourg.
La diffusion de ces boissons s’est aussi traduite par l’apparition de lieux de consommation publique, les « maisons de café » ou « cafés », dont le plus connu est « le Procope ». Ouvert à la toute fin du XVIIe siècle, ce café parisien deviendra le haut lieu des penseurs au siècle des Lumières, comme en témoigne une eau-forte où l’on y voit réunis Voltaire, d’Alembert, Condorcet et Diderot. L’enseigne du 13 de la rue de l’Ancienne Comédie, inscrite aux Monuments historiques depuis1962, accueille toujours ses clients, dans son décor d’origine …

Voltaire, d’Alembert, Condorcet, l’abbé Maury, Rousseau, au café Procope/ eau forte attribuée à Jean Huber © musée Canavalet/photodb
Dans le prolongement de l’essor des cafés, sont créés les restaurants « en tant que lieu où l’on sert des mets fins, des plats en sauce et des bouillons« . Ils sont nombreux à s’ouvrir à Paris, au cours des années 1780. On s’arrête un instant devant le « placard » ou menu datant de 1790 proposé par l’enseigne parisienne Les Trois Frères provençaux. On est impressionné par le nombre de plats proposés… Quant au café, il faut le chercher à la rubrique « Liqueurs », à 1 franc la demi-tasse…
Enfin, les « livres de cuisines », comme « un genre écrit à part entière », connaissent eux aussi un véritable essor au XVIIIe siècle. « En effet, dès les années 1700, les professionnels – cuisiniers, limonadiers, pâtissiers – prennent la plume pour livrer leurs secrets de fabrication« … Un genre, toujours en vogue…

Jean Siméon Chardin, « La table d’office » dit aussi « Les débris d’un déjeuner », 1763 © musée du Louvre/photo db
(1) Co-auteur, avec Guillaume Séret, spécialiste de la porcelaine de Sèvres, des textes du catalogue de l’exposition, réalisé sous la direction de Rose-Marie Mousseaux, directrice du musée Cognacq-Jay.
(2) Le Grand d’Aussy, Histoire de la vie privée des Français, depuis l’origine jusqu’à nos jours.
L’exposition a été réalisée avec le mécénat des Cafés Richard

Entrée musée Cognacq-Jay (Hôtel de Donon) © DR
Musée Cognacq-Jay
Musée du XVIIIe siècle
de la ville de Paris
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