
Renaud Auguste-Dormeuil, « From Here To There », Fondation François-Schneider à Wattwiller © db
Créé en 2010 à l’initiative de la Fondation François Schneider, le concours international « Talents contemporains » a pour vocation de soutenir la création contemporaine sur le thème de l’eau. Rien d’étonnant à ce choix puisque le Centre d’art de la Fondation est installé dans la commune de Wattwiller, en Alsace, sur le site d’une ancienne usine d’embouteillage de l’eau minérale du même nom.(1) Ce thème de l’eau les sept artistes lauréats de cette 4ème édition du concours s’en sont emparé de manière aussi diversifiée que créative, comme on peut le constater dans l’exposition Ebb and flow (Flux d’eau) qui réunit leurs oeuvres jusqu’au 18 décembre 2016 dans les espaces de la Fondation.
Ce flux d’eau, « en particulier le temps qui passe et l’érosion qui se produit à travers le mouvement naturel et continu de l’eau« , comme le souligne Sanna Moore, Commissaire de l’exposition, parcourt en effet le travail des artistes retenus par le jury (2).
Le temps qui passe et l’érosion sont bien au coeur de l’oeuvre de Elizaveta Konovalova (née en 1986) qui a remporté à l’unanimité le « Talent d’eau », le Grand prix de cette quatrième édition, avec son installation Altstadt réalisée en 2014. Au sol, un grand rectangle résulte de l’alignement patient de cailloux collectés le long des rives de l’Elbe et disposés par ordre décroissant de taille, allant d’une paume de main à des fragments minuscules qui rendent presque incertaine la limite de l’installation. La couleur de terre cuite donne un indice sur l’origine de ces pierres : ce sont les restes de briques rouges de maisons côtières détruites par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale.

Elizaveta Konovalova devant son oeuvre, « Altstadt » à la Fondation François-Schneider © db
C’est lors d’un séjour en résidence à Frise Künstlerhaus à Hambourg, entre février et mars 2014, que Elizaveta Konovalova a remarqué ces galets en terre cuite sur les plages de l’Elbe découvertes à marée basse. Elle en a cherché la provenance, puis s’est mise à les collecter en venant chaque jour au bord du fleuve, en fonction des horaires des marées… C’est ainsi qu’est née cette pièce, intitulée Altstadt (« vieille ville »), où le patient travail de l’artiste – qu’elle est appelée à réitérer à chaque exposition – est comme un écho à celui de la nature, de la lente érosion des galets d’argile dans le mouvement répété des marées. Écho aussi à l’Histoire et ses traces.

« From Here to There » © db
Aux antipodes… From here to There, la spectaculaire installation in-situ réalisée par Renaud Auguste-Dormeuil (né en 1968) dans le jardin devant la Fondation, propose rien de moins que de « créer l’illusion d’un tunnel qui traverserait la Terre en son centre pour ressortir de l’autre côté de la surface du globe« … L’entrée de ce tunnel imaginaire est matérialisée par une ouverture – un « trou » de trois mètres de profondeur au centre d’un bassin – dans laquelle l’eau se déverse en un flux continu, à l’image des Bell Mouth Spillway, explique l’artiste, « que l’on trouve dans les lacs des Etats-Unis et qui permettent de vider le trop plein d’eau des barrages« . L’installation est « une invitation à imaginer que l’eau de Wattwiller se jette directement dans l’océan par ce tunnel imaginaire, telle une source inversée venant le nourrir« .
Pour des raisons évidentes, l’oeuvre de Renaud Auguste-Dormeuil sera pérenne, venant s’ajouter à celles du « Jardin des sculptures » de la Fondation. Une exception au règlement de Talents contemporains qui veut que les réalisations des lauréats soient « démontables« . Car, comme le rappelle Léa Guzzo, Directrice de la Fondation François Schneider, celle-ci ne poursuit pas « un projet muséal » et l’achat des oeuvres, outre le soutien financier qu’il apporte à leurs auteurs, a pour objectif de « donner de la visibilité aux artistes« , notamment par l’organisation d’expositions. (3)

Jeremy Laffon, « Circuit Fermé » /au fond, « D/H » de Gustavo Millon © fondation-François-Schneider
C’est la présence physique de l’eau dans ses métamorphoses que met en scène Jérémy Laffon (né en 1978) avec son installation Circuit fermé. D’un côté un monolithe de glace et d’encre figé dans la masse, une sculpture éphémère qui va fondre au cours de l’exposition, avec un système de récupération alimentant et activant la seconde partie de l’œuvre. Les quelque 2000 litres d’eau vont s’écouler le long de canalisations au sol pour être recueillis dans des fûts en métalliques, ce qui va entrainer la chute de pierres de tuf percutant la surface de l’eau. « Ce système de percussion dans les fûts est aussi un clin d’œil à un rite de bienvenu pratiqué au Vanuatu, où la musique est directement issue de frappes multiples à la surface de l’eau d’une rivière« , explique l’artiste.

Benoit Billotte, « Wind Drift » © Fondation François-Schneider
On quitte l’élément liquide pour … le vent! Avec Wind Drift Benoit Billotte (né en 1983), s’inspirant de cartes réelles, représente le mouvement incessant du vent sur les zones océaniques et maritimes mondiales, par une mappemonde où des flèches tourbillonnantes recouvrent uniquement les surfaces aquatiques. C’est aussi du côté du ciel que s’est tourné le photographe chilien Gustavo Million (né en 1983) pour évoquer l’eau, ou plutôt l’absence d’eau dans la zone centrale du Chili en proie à la sécheresse depuis plusieurs années. Dans son oeuvre D/H le ciel d’hiver est décliné en 60 photographies, un camaïeu de bleus où l’intensité de la couleur est le symbole de l’eau manquante.

Cécile Carrière, « Barques »
Pour sa série de dessins Barques, Cécile Carrière (née en 1983) dit s’être directement inspirée d’un poème de Victor Hugo dans Les contemplations. Des dessins à l’encre sur papier, où « l’eau jaillissant de l’intérieur de la barque, représente et matérialise l’âme. La représentation du corps est au cœur de ma démarche, explique-t-elle. Mes dessins racontent une histoire imaginaire du corps ».

Gaëlle Callac, « L’ABC de l’eau »
« Souvent, j’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot dans les abîmes du passé, comme l’insecte qui flotte au gré d’un fleuve sur quelque brin d’herbe. »
Cette citation de Balzac introduit L’ABC de l’eau de Gaëlle Callac (née en 1972)… Un travail très original et poétique, né du détournement du mot « eau » devenu le son O. « Un son, une lettre, une seconde, une troisième… l’alphabet coule de source… et, ainsi, naît L’ABC de l’EAU », explique l’artiste qui a choisi dans la littérature – roman, poème, essai – vingt-six titres de livres comportant le mot « eau ». Elle a ensuite, pour chaque ouvrage, réalisé des images en eau-forte sur la page titre, cet « élément vierge qui vous invite à entrer dans le livre« . Chaque dessin est source à son tour de mots, selon les clés et niveaux de lecture de chacun, « une manière de recycler le livre, de le faire vivre« , conclut Gaëlle Callac.
Côté mots, on laisse celui de la fin à la commissaire de l’exposition Ebb and Flow, Sanna Moore, pour qui ce Flux d’eau est aussi « un flux infini d’idées et d’interprétations« …

Gaëlle Callac, « L’ABC de l’eau » © db
(1) Wattwiller a été une station thermale en vogue avant la guerre de 1914, puis est tombée en désuétude. L’eau prend sa source dans le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges. L’exploitation, interrompue en 1974 a été relancée au début des années 1990 par François Schneider, avec la création des Grandes Sources de Wattwiller, cédées en 2004 au groupe belge Spa Monopole.
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(2) Après sélection de 41 finalistes, sur quelque 3000 candidats, par quatre Comités d’Experts, les 7 lauréats du concours Talents Contemporains ont été choisis par un Grand Jury International présidé par Jean-Noël Jeanneney et composé de Michel Grilli, Responsable du Comité d’acquisition d’œuvres d’art contemporain de la BEI; Daniel Lelong, Galerie Lelong (Paris & New York); Rosa Maria Malet, Directrice de la Fondation Joan Miró à Barcelone et Fabrizio Plessi, Artiste, qui a représenté l’Italie à la 42ème Biennale de Venise en 1986.
La dotation annuelle est de 300 000 € : Les 6 lauréats reçoivent chacun 20 000 euros pour l’acquisition de leur œuvre, le « Talent d’Eau » 30 000 euros. Une enveloppe de 150 000 € est consacrée à la réalisation des œuvres présentées sous forme de projets.
(3) La collection de la Fondation, qui compte actuellement quelque 70 oeuvres, devrait faire l’objet d’une exposition à Lisbonne en 2017.

Fondation François-Schneider à Wattwiller © db
Fondation François Schneider
27 Rue de la Première Armée
68700 Wattwiller
Téléphone : 03 89 82 10 10
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