
Château de la Roche-Guyon, l’ancienne bibliothèque et les livres fantômes d’Alain Fleischer /Photo Pauline Fouché
30 : un chiffre rond, parfait pour un anniversaire, lequel sera fêté le 22 février prochain dans le cadre superbe du Musée de la Chasse et de la Nature à Paris. Trente ouvrages bien réels pour cette « Bibliothèque fantôme » ainsi nommée en écho à la dispersion des 12000 ouvrages de la bibliothèque du château vendus en 1987 par les propriétaires d’alors… Créée il y a une dizaine d’années, la collection accueille des textes d’écrivains, de chercheurs, d’artistes qui ont à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce lieu très particulier qu’est le château. Parmi les derniers titres publiés, on a retenu « La Roche-Guyon Le château invisible », de Christine Friedel et Pauline Fouché. Toutes deux ont eu le privilège d’accéder aux espaces du château habituellement fermés aux visiteurs. L’une a écrit, l’autre a photographié.
Mais commençons par le commencement. Le premier livre publié dans la collection de la Bibliothèque Fantôme, L’invention d’un château, suivi de Le coffre meurtrier, est né sous la plume de Frédéric Révérend. (1) Il s’agit d’un texte de théâtre créé au château et inspiré par son histoire, à l’instar d’autres ouvrages qui ont marqué le début de la collection, comme Treize semaines de vertu, de Stéphane Olry, d’après Benjamin Franklin à l’occasion du tricentenaire de sa naissance. Celui qui fut, entre autres, le rédacteur de la première déclaration des Droits de l’homme, a entretenu une importante correspondance avec le duc de La Rochefoucauld, son ami et traducteur. C’est d’ailleurs sur cette correspondance que s’est appuyé Daniel Vaugelade, pour son ouvrage Franklin des deux mondes, le troisième de la Bibliothèque fantôme. (2)
Revenons à « L’invention d’un château » : c’est bien de cela qu’il s’est agi quand le château de la Roche-Guyon, avec son potager et son jardin anglais, est devenu en 2003 un Établissement public de Coopération culturelle (EPCC) tout en restant propriété des La Rochefoucauld. Car en cette funeste fin d’année 1987, ce ne sont pas seulement les livres de la bibliothèque du château qui avaient été mis aux enchères et dispersés, mais aussi son mobilier et ses objets précieux. Un lieu déserté qu’il fallait donc rendre accueillant, animer, faire vivre, dans le droit fil de ce qu’il avait été jadis au temps des Lumières, des La Rochefoucauld.
Nommé directeur de l’EPCC en 2006, Yves Chevallier, s’est attelé à la tâche, en donnant une large place à l’art – concerts, représentations, lectures, expositions – et à l’écriture. (3) D’où la création de la Bibliothèque fantôme, la mise en place d’ateliers et résidences d’écriture et le lancement d’un journal, Plaisir(s), un écho à la fois fidèle et décalé des activités et projets du château, dont l’attrait doit beaucoup au duo Christine Friedel pour la rédaction et Pauline Fouché pour le graphisme et l’illustration.
C’est grâce à ce même duo qu’avec La Roche-Guyon, Le château invisible nous accédons aux espaces habituellement cachés au visiteur, qu’elles ont eu le privilège d’arpenter. « Un jour, quelques jours, j’ai tenu dans ma main la clé du château », écrit Christine Friedel. Un sésame qui a ouvert « sur un long rêve », celui d’aller voir de l’autre côté des portes fermées, un désir surgi progressivement de la fréquentation répétée du lieu, au fil des manifestations qui y étaient organisées. Un rêve nourri aussi des livres, des images anciennes, gravures et cartes postales.
Ainsi « ce théâtre fantôme enfoui sous la terrasse », où Voltaire fut joué et où « les dames, suivant la mode simple et pratique de la duchesse d’Enville, y retenaient leurs jupes pas trop encombrées avant de s’asseoir modestement sur les bancs étroits ». (4) Ou le grand réservoir de la falaise. Y avait-il encore de l’eau en 1984? La réalité de nos jours n’a rien à voir avec « l’exagération lyrique » d’une gravure de Maugendre en 1850… Mais ce qui apparait aussi, de l’autre côté des portes closes, c’est le « dépeçage » dont le château, sans doute pas fermé pour tout le monde, a été l’objet, après la vente du mobilier en 1987…

« La Roche-Guyon Le château invisible », l’escalier du théâtre et le Jardin anglais / Photos Pauline Fouché
De ce parcours, Christine Friedel aura retenu une manière de voir autrement ce qui est accessible au regard du visiteur, un « regard maintenant affuté » qui, par exemple, saura distinguer une vraie porte d’une fausse, mise là pour la symétrie, et qui bien sûr, se doit d’être fermée… Avec l’espoir que ce portrait – forcément incomplet – du « château caché » donnera « le désir furieux que ses merveilles soient restaurées, accessibles, sous nos yeux, sans qu’on ait besoin de clé »…
En attendant, le charme du château « visible » suffit grandement à notre plaisir. D’autant que la prochaine exposition, du 9 septembre au 26 novembre 2017, sera consacrée au peintre Hubert Robert (1733-1808) auquel on doit en partie le dessin du « jardin anglais » du château de la Roche-Guyon… En attendant, le rendez-vous à ne pas manquer est celui la nouvelle édition de « Plantes, Plaisirs, Passions », la fête des plantes qui aura lieu au château les samedi 6 mai et dimanche 7 mai 2017.

Hubert Robert, « vue du château de Madame d’Enville », La Roche-Guyon, 1773
(1) Écrivain, dramaturge, traducteur, comédien, Frédéric Révérend est aussi l’auteur de La demoiselle qui songeait, L’affaire Calas suivi de Le dit de la duchesse et de L’origine du monde est à la Roche Guyon, ce dernier ouvrage publié hors collection (Les Éditions du Palais, 2011) et illustré par Christian Broutin.
Publiés jusqu’en 2015 par les Éditions de l’Amandier, les ouvrages de la Bibliothèque fantôme le sont désormais par les Éditions de l’Oeil.
(2) La bibliothèque fantôme c’est aussi une installation pérenne réalisée par Alain Fleischer dans la bibliothèque aujourd’hui désaffectée du château où les rayonnages sont désormais peuplés de « livres fantômes » tout blancs…
(3) Après onze ans à la tête de l’EPCC du château de La Roche-Guyon, Yves Chevallier a quitté ses fonctions à la fin de 2016. C’est son ancienne directrice adjointe, Marie-Laure Atger, qui lui succède.
(4) Ce théâtre qui va peut-être enfin être restauré, son financement étant inscrit dans le prochain contrat Etat-Région.
Belle collection, un livre à venir sur le travail de sculpture de Pierre Bernard
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