
Vue d’exposition Propos d’Europe 16/ Photo Paul Nicoué/ Courtesy Fondation Hippocrène
En invitant la Fondation Otazu (Espagne) pour la 16ème édition de son exposition annuelle d’art contemporain « Propos d’Europe » la Fondation Hippocrène met à l’honneur l’art ibérique et latino-américain. « Politics of Dreams – Manoeuvres de l’équilibre » rassemble une bonne vingtaine d’œuvres de la collection de Guillermo Penso Blanco et Sofía Mariscal (collection Kablanc). Les installations, sculptures, photographies, dessins, vidéos réalisées par 19 artistes (Espagne, Portugal, Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Trinidad y Tobago) sont exposées jusqu’au 16 décembre 2017 dans l’ancienne agence de l’architecte moderniste Robert Mallet-Stevens, siège de la Fondation Hippocrène à Paris 16ème.
À la Fondation Otazu « el arte corteja al vino y viceversa » (l’art courtise le vin et vice versa). C’est en effet à partir d’un domaine viticole, la Bodega Otazu, situé dans la région de Navarre tout au nord de l’Espagne, qu’elle a vu le jour en 2016. Guillermo Penso Blanco, directeur général de Otazu et président de la Fondation, entendait ainsi concrétiser son engagement pour la culture et renforcer le lien entre la Bodega et la création artistique, amorcé en 2002 avec la constitution d’une collection et l’installation dans l’espace public du domaine de sculptures monumentales.

/Fondation Otazu/ La nueva Bodega
La collection Kablanc constituée par Guilhermo Penso Blanco et Sofía Mariscal, fondatrice et directrice du centre d’art Marso à Mexico, compte à ce jour plus d’une centaines d’oeuvres. Une place particulière est accordée aux artistes de la péninsule ibérique et de l’Amérique latine, « deux espaces liés par l’histoire depuis des générations », souligne le président de la fondation Otazu, « dans le but de mettre en lumière ces constants transferts de références culturelles et poétiques ainsi qu’une certaine vision du monde ».
C’est cette « vision de l’Europe ouverte sur le monde » qui a séduit la Fondation Hippocrène (1), indique sa vice-présidente Michèle Guyot-Rose; d’où l’invitation faite à la fondation espagnole de participer à l’édition 2017 de Propos d’Europe. Cette manifestation annuelle créée en 2002 par la Fondation Hippocrène pour promouvoir la circulation d’artistes européens et de leurs créations, a mis en oeuvre depuis 2013 un partenariat avec des fondations ou structures d’art contemporain européennes. (2)

Liliana Porter, « Weaver (série Forced Labor) », Propos d’Europe 2017, Fondation Hippocrène /Photo db
Pour cette première exposition organisée autour de sa collection, la Fondation Otazu a privilégié des artistes jeunes et relativement peu connus. À l’exception notable de Liliana Porter : l’artiste née en Argentine en 1941 est internationalement connue – elle figure parmi les artistes invités à la Biennale de Venise 2017 – et est présente à la Fondation Hippocrène avec quatre oeuvres, dont une sculpture/installation – Weaver (série Forced Labor) 2008 – qui joue de manière saisissante sur le renversement d’échelle avec un minuscule personnage (une femme) – en train de tricoter (sans fin ?) une pièce de tricot formant déjà un tas considérable dont la finalité nous échappe, à celle qui manie les aiguilles aussi, sans doute. Une sorte d’envers de Pénélope : l’absurdité apparente consistant à défaire la nuit ce qui avait été fait le jour obéissait en fait à un but bien précis, une volonté affirmée…

Dalila Gonçalves, « Meridianos » / Photos db
Cette oeuvre se trouve dans la salle principale de la Fondation Hippocrène. Les locaux – de dimension relativement modestes – de l’ancienne agence de l’architecte moderniste se déploient sur trois niveaux et les commissaires de Politics of Dreams expliquent avoir joué « avec les salles et les dénivelés, les hauts et les bas de l’architecture unique et avant-gardiste de Mallet- Stevens », pour reproduire « l’espace-temps insaisissable dans lequel se déploient les rêves ». Selon cette « cartographie » assumée, « la salle principale aborde les thèmes du temps, du travail, de l’individu et de la communauté ».

Dalila Gonçalves, « Salário », Propos d’Europe 2017 / Photo db
On y trouve notamment deux oeuvres de Dalila Gonçalves. Avec Salário (salaire) une installation faite de sacs de polypropylène rouge à demi remplis de sel, l’artiste portugaise (née en 1982) renvoie à l’étymologie du mot « salaire » et à la répétition des taches qui lui sont liées ainsi – peut-être – qu’à la souffrance de ceux qui les accomplissent; tandis que l’alignement des aiguilles d’horloges de Meridianos évoque à la fois le temps qui passe et celui de l’accomplissement méticuleux du travail …

Jaime Pitchard, « Jabón de Alepo », Propos d’Europe 2017, Fondation Hippocrène / Photo db
Changement de registre dans les petites salles du premier étage « consacrées au thème de l’insouciance : d’une part, les illusions qui permettent de surmonter les tensions de la réalité, de l’autre, l’autre versant de l’immatérialité des savoirs accumulés », indiquent les commissaires. S’en laver les mains comme Ponce Pilate peut-il être une option pour « surmonter les tensions de la réalité » ? C’est en tout cas ce que suggère la video de Jaime Pitchard, Jabón de Alepo, ce savon d’Alep utilisé par les paires de mains qui se succèdent sous le robinet d’un lavabo. L’artiste, né à Barcelone en 1963, a filmé le tout en contre-plongée et plans-séquence jusqu’à complète dissolution du savon… au bout de cinq heures.
Dans une oeuvre intitulée Auto-sustentável Celina Portella, née à Rio de Janeiro en 1977, explore de manière épurée et chorégraphique la relation du corps – le sien en l’occurrence – à l’espace tout en jouant des limites entre l’extérieur et l’intérieur du cadre. Un cadre qu’elle donne l’illusion de soutenir avec le poids de son corps – ou plutôt l’image de celui-ci – par le biais d’une corde bleue.

Celina Portela, « Auto-sustentável », Propos d’Europe 2017, Fondation Hippocrène / Photo Paul Nicoué
Au sous-sol, « dédié à l’actualité et à l’instabilité permanente de notre réalité la plus immédiate », on retrouve Liliana Porter, avec Breaking news (2016), un vidéo parodiant un journal télévisé où les personnages sur l’écran appartiennent à la collection d’objets et de figurines de l’artiste, l’apparition occasionnelle d’une main humaine venant souligner l’échelle dérisoire des « objets-acteurs »… Avant de pénétrer dans cette dernière salle de l’exposition, on aura senti le sol se craqueler sous nos pieds : architecte de formation, l’artiste brésilien Lucas Simões (né en 1980) utilise des procédés de fabrication du béton pour figurer « l’équilibre précaire et mouvant de la réalité politique latino-américaine »…

Siège de la Fondation Hippocrène
(1) La Fondation Hippocrène créée en 1992 par Jean et Mona Guyot, est une fondation d’utilité publique, familiale et indépendante, « qui œuvre pour qu’une véritable citoyenneté européenne soit construite jour après jour par les jeunes d’Europe ». Elle soutient financièrement la réalisation de projets concrets (45 à 50 chaque année) portés par ou pour les jeunes européens dans tous les domaines et qui vont dans ce sens.
(2) comme par exemple la Fondation Haubrok de Berlin, invitée pour la 14ème édition de Propos d’Europe en 2015.
(3) Le mot salaire vient du latin salarium, dérivé de sal, le sel. « Payement pour travail ou service rendu », il désignait initialement la ration de sel fournie aux soldats romains, puis désigna l’indemnité en argent versée pour acheter le sel et autres vivres.
Artistes représentés :
Jordi Bernadó (Espagne), Marilá Dardot (Brésil), Gabriel de la Mora (Mexique), Leandro Erlich (Argentine), Ignacio Gatica (Chili), Dalila Gonçalves (Portugal), Arturo Hernández Alcázar (Mexique), Bruno Kurru (Brésil), Ximena Labra (Mexique), Daniela Libertad (Mexique), Fabio Morais (Brésil), Nazareno (Brésil), Karyn Olivier (Trinité-et-Tobago), Jaime Pitarch (Espagne), Celina Portella (Brésil), Liliana Porter (Argentine), Enrique Ramirez (Chili), Nicolás Robbio (Argentine), et Lucas Simoes (Brésil).
Fondation Hippocrène
12, rue Mallet-Stevens
75016 Paris- France
+33 (0)1 45 27 78 09