
Façade sur cour de l’Hôtel Salomon de Rothschild © FNAGP
C’est un lieu singulier qui est désormais ouvert au public deux fois par mois. Laissé intact depuis la mort de la baronne Adèle de Rothschild en 1922, ce cabinet de curiosités rassemble les quelque 400 objets précieux acquis par Salomon de Rothschild de 1862 à 1864, de son installation à Paris à son décès prématuré, à l’âge de 29 ans. Sa veuve fait construire de 1874 à 1878 un hôtel particulier dans la plaine Monceau qui abritera dès lors le cabinet de curiosités et les collections. L’édifice est depuis 1976 la propriété de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques (FNAGP) qui y a son siège.

Jardin de l’Hôtel Salomon de Rothschild avec les vestiges de l’ancienne Chapelle Saint-Nicolas et la Rotonde Balzac © FNAGP
Une fois franchi le portail du 11 de la rue Berryer, dans le VIIIe arrondissement, pas très loin de la place de l’Étoile, l’hôtel Salomon de Rothschild offre au visiteur son imposante façade inspirée de l’architecture française du XVIIIe siècle. De la cour pavée, on aperçoit à droite, dans le parc de la propriété, une rotonde et des colonnes. La première a été édifiée par la baronne à la mémoire de Balzac, à l’emplacement de la maison où l’écrivain est mort en 1850. Les secondes sont les seuls vestiges de la Folie Beaujon et de sa chapelle Saint-Nicolas. (1)
Conçu par Adèle de Rothschild comme « un musée-mausolée à la mémoire du mari », indique Éléonore Dérisson, chargée des collections, l’hôtel vise avant tout à mettre en valeur les collections acquises par son époux; dès 1865 la baronne a prêté des oeuvres à des musées et institutions (Musée du Louvre, Musée national du Moyen Âge (Cluny), Musée national de la Renaissance (Écouen), musée des Arts Décoratifs, Bibliothèque nationale de France). À sa mort en 1922 elle lègue à l’État une grande partie de ces oeuvres, ainsi que l’Hôtel, afin d’y abriter une maison des arts destinée aux artistes vivants, la « Fondation Salomon de Rothschild ». Quant au cabinet de curiosités, elle précise dans son testament qu’il devra être conservé intact.

Vestibule de l’Hôtel Salomon de Rothschild/ en haut des marches la porte donnant accès au corridor desservant le cabinet de curiosités © FNAGP
Aujourd’hui propriété de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques (FNAGP) dont il est le siège, l’hôtel abrite les bureaux de plusieurs institutions culturelles, tandis que les salons de réception sont loués à une société spécialisée dans l’événementiel « haut de gamme ». (2)
L’ouverture au public du cabinet de curiosités est donc aussi une manière de « réinjecter du culturel dans un immeuble de rapport », souligne Éléonore Dérisson. Un cabinet de curiosités dont on devine, avant de pénétrer dans l’hôtel, qu’il se dissimule derrière les persiennes closes de trois hautes fenêtres à gauche de l’entrée. Une fois dans le vestibule, c’est après avoir gravi les marches d’un imposant escalier de marbre qu’on parvient à la porte donnant accès au précieux salon. Mais nous n’y sommes pas encore : « il se mérite, ce lieu », dit en souriant notre guide. Cette première porte s’ouvre en effet sur un corridor entourant le cabinet sur trois côtés et la visite commence par l’exploration des oeuvres accrochées aux murs, à commencer par les portraits du baron et de la baronne. Il y a aussi deux petits tableaux de Delacroix, dont un pastel, Jeune Arabe assis dans la campagne, deux oeuvres achetées par Salomon de Rothschild lors de la vente après le décès du peintre, en février 1864, soit quelques mois seulement avant celui du baron.

Delacroix, Jeune Arabe dans la campagne © FNAGP
Suivent des aquarelles du peintre et décorateur Eugène Lami (1800-1890), chargé par le baron James de Rothschild (le père de Salomon) de la décoration du château de Ferrières, achevé en 1859; ainsi que des oeuvres de Ary Scheffer (1795-1858), autre « artiste Rothschild », précise Éléonore Dérisson. (3) Quelques photographies prises deux ans après la construction de l’hôtel, dont le Salon rouge où étaient exposés les tableaux de la collection, éclairent sur « le goût Rothschild », influencé par le XVIIIe siècle français, l’art oriental et l’art asiatique.
Après cette déambulation préalable, sorte de mise en bouche, la porte s’ouvre enfin sur le cabinet de curiosités. On est saisi par l’atmosphère très particulière qui se dégage de ce salon de 40 mètres carrés à l’éclairage tamisé provenant en partie de trois grands vitraux rétro éclairés. Ils ont été fabriqués par un maître verrier pour y enchâsser des petits vitraux anciens acquis par Salomon de Rothschild. Un travail remarquable qui, ajouté aux murs tapissés de cuir de Cordoue au gaufrage doré et à la tapisserie française du XVIIe siècle ornant le plafond, fait de cette pièce « une oeuvre d’art en tant que telle », souligne notre guide.

Vue de l’intérieur du cabinet de curiosités de l’Hôtel Salomon de Rothschild © Barnabé Moinard_FNAGP
Au premier abord, on est frappé par la quantité et la diversité des objets accrochés aux murs, présentés dans des vitrines, posés sur une cheminée en marbre, une table, un bureau… Mais au delà de l’éclectisme de la collection – porcelaines, jades, armes anciennes, statuettes, meubles, vases, etc., datant de l’Antiquité au XXe siècle et provenant d’Europe, de Chine, du Japon, d’Iran, d’Inde, etc. – ce qui s’en dégage et en fait l’unité, c’est le côté riche et précieux de ces objets et l’excellence de leur fabrication, de véritables objets d’art. Pour Éléonore Dérisson, ce qui caractérise en effet cette « salle de curiosités », comme l’appelait la baronne de Rothschild, c’est ce rassemblement « d’éléments manufacturés qui sont un éloge à la créativité des artisans, à la maîtrise de chacun dans sa technique ».

Venise, Ecritoire © FNAGP
Ce que le visiteur peut constater en s’approchant au plus près des objets pour en admirer la facture : le travail de nacre et d’ivoire d’un écritoire vénitien en noyer du XVIIe siècle, le ciselé d’une gourde de pèlerinage et de son socle, le décor ajouré d’oiseaux et de fleurs de plaques de ceinture en jade blanc (Chine XIXe siècle), les incrustations d’ivoire, d’or et de pierres sur la crosse d’un fusil ottoman ou la finesse des lignes et des couleurs d’un buste en céramique signé Della Robbia, la famille d’artistes florentins de la Renaissance, spécialistes de la terre cuite émaillée …

Chine, Ensemble de vingt plaques de ceinture en jade à décor ajouré © FNAGP
En ce qui concerne la manière dont tous ces objets ont été réunis, si « certains ont pu être rapportés par Salomon de Rothschild, notamment d’un voyage au Maroc, la plupart de ces objets proviennent d’intermédiaires, de spécialistes du marché de l’art », à Londres, Bruxelles, Amsterdam ou Rome. Il y a aussi, précise Éléonore Dérisson, « les marchands de curiosités », dans la continuité des « marchands-merciers » qui à partir du XVIIIe siècle acquièrent, importent et font circuler les objets d’art.
Identifier toutes les oeuvres dans la perspective de l’ouverture du cabinet de curiosités au public s’est avéré un travail complexe et qui est loin d’être achevé, « c’est un travail transversal qui commence », souligne notre guide. Les sources constituées par « deux photographies de 1880, ajoutées à l’inventaire après décès de la baronne », où la description des objets étaient souvent sommaire, étaient loin d’être suffisantes et ont dû être complétées par des recoupements, des recherches, par le recours à des spécialistes de chaque époque, de chaque domaine… C’est ainsi qu’une « statuette de Vénus en bronze ciselé et patiné sur socle en bois vernis » a pu être identifiée comme l’Astronomie, « un des chefs-d’oeuvre dû à l’invention de l’artiste flamand émigré en Italie au XVIe siècle, Giambologna ».

À droite, Giambologna, « l’Astronomie »/ à gauche, gourde de pèlerinage / On remarque le cuir de Cordoue et son gaufrage doré au mur / Cabinet de curiosité Hôtel Salomon de Rothschild © Barnabé Moinard_FNAGP
Quant au buste de l’Orpheline alsacienne de Rodin, exposé pour la première fois par le sculpteur en 1871, il est un des rares objets du cabinet de curiosités acquis par la baronne qui a poursuivi l’enrichissement de la collection de son époux. La pièce la plus récente étant un vase cornet réalisé à partir d’une douille d’obus de la guerre de 1914/1918…

Détail de l’Orpheline alsacienne de Rodin/ cabinet de curiosités de l’hôtel Salomon de Rothschild © Barnabé Moinard_FNAGP
La visite se termine. Après un dernier regard d’ensemble, retour au corridor où le visiteur récupère ses affaires qu’il avait été invité à déposer dans les casiers d’un ancien cartonnier. On lui remet un petit ouvrage sur l’histoire de l’Hôtel Salomon de Rothschild et de son cabinet de curiosités …
Précieux souvenir d’un lieu singulier qu’on peut découvrir lors des deux visites-conférences d’une heure organisées chaque mois – le 1er samedi du mois à 11h et le 2ème mercredi du mois à 12h30 – en s’inscrivant auprès de la Fondation nationale des Arts graphiques et plastiques. Les groupes sont limités à dix personnes. Le tarif est de dix euros.
(courriel :visite@fnagp.fr
Tél: 01 45 63 59 02)
Pour davantage de précisions sur les conditions de réservation, cliquer ici
(1) La Folie Beaujon était un petit château de villégiature construit par l’architecte Nicolas-Claude Girardin (1749-1786) à partir de 1781 pour le financier Nicolas Beaujon (1717-1786. Au cours du XIXe siècle le domaine a été divisé en plusieurs habitations, dont la maison acquise par Balzac en 1846.
(2) Il s’agit de : la Maison des Artistes, la Société des Auteurs dans les Arts graphiques et plastiques (ADAGP), la Société Nationale des Beaux-Arts, le Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens et la Fondation Albert Gleizes. C’est la société Viparis qui gère l’événementiel dans les salons de réception.
(3) L’atelier d’Ary Scheffer, rue Chaptal (Paris 9ème) abrite maintenant le Musée de la vie romantique

Vue de l’intérieur du cabinet de curiosités de l’Hôtel Salomon de Rothschild © Barnabé Moinard_FNAGP