
DUNKERQUE, le FRAC et le LAAC/ arrière des bâtiments © db
Lancée fin avril 2018, cette nouvelle Saison est organisée conjointement par le LAAC (Lieu d’Art et d’Action contemporaine) et le FRAC Grand Large (Fonds régional d’Art contemporain). Le premier accueille jusqu’au 26 août « Enchanté », une exposition qui renvoie à l’énigme que constitue le processus de création d’une oeuvre. Tandis qu’avec « Tubologie – Nos vies dans les tubes » le second invite à explorer jusqu’au 30 décembre les liens entre la création contemporaine et l’écologie, par le biais particulier de la forme « tube ». Cette exposition est aussi l’occasion de découvrir le nouveau site du FRAC, sur le port de Dunkerque, dans un très beau bâtiment ouvert sur « le grand large » …
Inauguré en 2013, cet édifice signé Lacaton & Vassal (1), est conçu comme la réplique en transparence de l’ancienne halle AP2 (Atelier de préfabrication n°2), témoin historique de l’industrie des chantiers navals fermés en 1988. La rénovation de la halle avait été initialement envisagée, mais la construction d’un nouveau bâtiment « jumeau » avec des matériaux modernes s’est imposée aux architectes, comme moins coûteuse et plus adaptée à la conservation et l’exposition des collections. Et le résultat est remarquable. Ce « double » de la halle, de même dimension, adossé côté mer, est très lumineux grâce à la transparence des matériaux et dispose d’un espace intérieur entièrement modulable. Il communique avec la halle AP2 qui, restée dans son jus, peut accueillir des expositions temporaires en lien avec le FRAC, ou des concerts, salons, spectacles… (2)

Vue de l’exposition « Tubologie — Nos vies dans les tubes » de KVM — Ludovic Burel et Ju Hyun Lee, 2018, (dispositif piments) Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque (France) © Photo : Aurélien Mole
Serions-nous envahis par les tubes? C’est ce que laissent entendre et voir les artistes commissaires KVM ((Ju Hyun Lee & Ludovic Burel) avec Tubologie – Nos vies dans les tubes en mêlant la collection du FRAC Grand Large-Hauts de France à des créations sonores et à une production maraîchère. Qu’il soit question d’écouter ou d’irriguer, le recours aux câbles et tuyaux est en effet une nécessité… car les « tubes » aujourd’hui « ce sont aussi ces tuyaux et câbles post-industriels qui nous permettent de nous brancher , de nous « coupler » les uns aux autres pour, potentiellement, augmenter notre capacité d’action à distance grâce à Internet (…) Seulement voilà, à force de « travailler à plein tube », une urgence écologique se fait jour ».
Et de pointer « des phénomènes de surchauffe, de pollutions mentales (burn out) aussi bien qu’environnementales (réchauffement climatique) (qui) touchent aujourd’hui ces deux modèles industriel et post-industriel de production de la valeur ». KVM aborde dans l’exposition la question du soin à accorder au vivant, à une bio-éthique, à travers deux dispositifs de tubulaires piments et tubercules spécialement plantés pour Tubologie par des jardiniers, maraîchers et botanistes de Dunkerque et des environs…

Exposition « Tubologie » , Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque © Photo : Aurélien Mole
Cette thématique du « soin » avait été abordée par les artistes lors d’un premier volet de cette exposition présenté à la Biennale internationale du Design à Saint-Étienne en 2017.

Exposition « Tubologie » , Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque © Photo : Aurélien Mole
Le design est présent aussi dans cette seconde mouture, avec quelques sièges choisis au sein de l’importante collection du FRAC (3) et caractéristiques de la tendance à s’asseoir de plus en plus près du sol. D’ailleurs, c’est allongé que le visiteur pourra, s’il le souhaite, s’attarder dans l’espace « photos » de l’exposition…
Une manière pour VKM de poursuivre la réflexion autour de de l’idée d’horizontalité, à laquelle répond d’ailleurs la conception de l’exposition, organisée en strates, à l’image de celles dessinées par le paysage extérieur à partir de la ligne d’horizon : le ciel, la mer, la plage, le canal…
Un paysage sur lequel débouche la passerelle publique qui après avoir traversé le bâtiment à hauteur du premier étage, – sorte de rue couverte entre la halle et la façade intérieure du FRAC – se prolonge en promenade entre ciel, terre et mer, et enjambe le canal. On peut l’emprunter pour se rendre à pied au LAAC, dont on aperçoit au loin les pointes de céramique blanche au milieu de la verdure.

FRAC Dunkerque, passerelle promenade © db
Achevé en 1982, le bâtiment, signé Jean Willerwal, présente une architecture étonnante en forme de diamant, alliant verre, céramique et carrelage blanc, posée au milieu d’un jardin de sculptures et bordée d’eau. On accède à l’entrée après être passé sous un portique monumental en bois exotique d’Afrique, le mukulungu, réalisé par le sculpteur franco-canadien Philippe Scrive.

Entrée du LAAC © db
Ce matériau est une belle introduction au thème de l’exposition Enchanté qui s’interroge en effet sur le processus de création : « Comment un objet ou une matière se transforme en œuvre d’art ? À quel moment se charge-t-il d’une émotion ou d’une symbolique ? Par le geste de l’artiste ? Par son travail ? Par son choix ? », résume Richard Schotte. Pour le commissaire de l’exposition, en s’interrogeant sur ce moment du « basculement » vers l’oeuvre d’art, il ne s’agit pas tant de répondre à « cette dimension qui semble nous échapper », que de « vérifier notre capacité à être enchanté ».
Cinq thèmes sont abordées : l’atelier, l’esquisse et la maquette, le détournement d’objet, la série et la création in situ. L’atelier, c’est l’espace et aussi le temps de la création, ce qu’illustre la série photographique de Gautier Deblonde. Celui-ci, dans une démarche relevant à la fois du reportage, du documentaire et de la création plastique, a choisi de faire « le portrait des artistes au travers de leur lieu de travail sans leur présence », explique le photographe. La réalisation de cette série s’est étalée de 1994 à 2014, années pendant lesquelles il a rencontré 200 artistes et photographié 130 ateliers, le plus souvent à l’heure du déjeuner, en utilisant une chambre photographique panoramique à 1,50 mètre du sol, à la lumière de l’atelier avec un temps de pause assez long, pour « faire un paysage de la création ».

LAAC, « Enchanté », Gautier Deblonde, atelier de Pierre Soulages, Paris, 2007 (détail) © G. Deblonde- Galerie Cédric Bacqueville
Les esquisses et maquettes sont des étapes intermédiaires dans le processus de création de l’œuvre mais ne font-elles pas œuvres, elles aussi ? La question est posée notamment à partir des esquisses de Tinguely pour son monumental Cyclop à Milly-la-Forêt. Côté détournement d’objet, avec Tony Cragg, l’assemblage d’objets et matériaux de plastique prennent la forme d’une Palette de couleurs primaires, tandis que Local time de Jean-Luc Vilmouth, en associant de manière répétitive 99 pendules et autant de marteaux portant sur le manche l’inscription « augmenter » (les cadences?? La réalité??), modifie le sens ces deux objets et induit toute une série d’idées sur le temps, le travail…
Tous pareils, tous différents : ainsi pourrait-on qualifier Perfect vehicles d’Allan McCollum, ces vases ou urnes funéraires dupliqués à l’identique, à part la couleur, ne sont ni des objets utilitaires, ni des sculptures originales, mais disposés sur des socles de différentes hauteur, ils deviennent un objet esthétique.

Tony Cragg, »Palette » / Jean-Luc Vilmouth, « Local time » / Michel Paysant, « Inventarium 03 » / Allan McCollum, « Perfect vehicles » © db
Quant à l’oeuvre de Michel Paysant, Inventarium 03, elle relève « à la fois du laboratoire, de l’atelier, du cabinet de curiosité ou d’un grand bazar », indique l’artiste, spécialisé dans les projets de recherche entre art et science. Sur un immense plateau de travail, sont disposés un grand nombre de pièces, choses et objets de domaines, de natures, de registres différents, « comme un vocabulaire mis à notre disposition », suggère Michel Paysant.
Si le fil conducteur n’apparait pas toujours clairement, l’exposition Enchanté est l’occasion de mettre en lumière une sélection d’oeuvres emblématiques de la collection du LAAC (5), significatives des principales tendances artistiques des années 1950 à 1980, auxquelles sont venu s’ajouter des oeuvres modernes contemporaines issues de collections publiques et privées.

Dunkerque, quartier du port, au fond à droite on aperçoit le beffroi de l’Hôtel de ville © db
(1) On doit notamment à l’agence Lacaton & Vassal le réaménagement du Palais de Tokyo en 2001.
(2) Jusqu’au 31 juillet 2018, la halle accueille l’exposition L’Envers du décor, consacrée aux décors du film Dunkerque de Christopher Nolan, tourné sur le site du port.
(3) Le FRAC Grand Large-Hauts de France a développé sa collection initiale autour d’un noyau initial consacré à l’arte povera, l’art minimal, l’art conceptuel et à des médiums aussi variés que la peinture, la photographie, l’installation… Dans le cadre des expositions hors-les-murs du FRAC, l’exposition Le paradoxe de l’Iceberg, présentée au château de Rentilly jusqu’au 22 juillet 2018, offre un aperçu de l’importance et de la diversité de cette collection. À laquelle s’ajoute une collection de design, essentiellement des sièges.
(4) Pour en savoir plus sur les circonstances de la création du LAAC, cliquer ici
(5) La collection du LAAC est riche de quelque 1500 oeuvres, avec un important cabinet d’arts graphiques qui permet au visiteur de découvrir quelque 200 dessins et estampes.

FRAC Dunkerque, Florence Doléac, « Vague à l’âme II » © db
FRAC Grand Large — Hauts-de-France
503 Avenue des Bancs de Flandres
59140 Dunkerque
T: +33 (0)3 28 65 84 20
LAAC – Lieu d’Art et Action Contemporaine
Jardin de sculptures
302 avenue des Bordées
59140 Dunkerque
T: + 33 (0) 3 28 29 56 00