
Christine Rabeneau, sans titre, 1966 / DR
Cette nouvelle exposition au Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne présente des oeuvres créées par des patients autour des années 1960. Elle fait suite au premier volet réalisé au dernier trimestre 2018 avec une sélection d’oeuvres des années 1950 (1)
Ce second volet a pour particularité de présenter des oeuvres en grande partie créées dans les premiers ateliers d’art-thérapie de l’hôpital, par des malades dont certains avaient une pratique artistique avant leur hospitalisation. Huit artistes au total, et des oeuvres passionnantes, mises en valeur dans les deux belles salles de la cave voutée qui abrite le musée.
À voir jusqu’au 28 avril 2019
Un lieu que l’on découvre aisément, une fois franchi le grand portail bleu qui marque l’entrée de l’hôpital, rue Cabanis. Il suffit de suivre la grande allée centrale, puis l’indication MAHHSA que l’on ne tarde pas à apercevoir sur la droite. Un escalier conduit à l’entrée du Musée en contrebas. On s’étonne un peu du nombre de visiteurs en ce milieu de semaine. Il est vrai qu’ avec le label « Musée de France » attribué en 2016 – presque cinquante ans après sa création – le Musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne, dont la Collection fait désormais partie du Patrimoine National, a acquis une reconnaissance artistique et institutionnelle.(2) Laquelle s’étend aussi au grand public au fil d’expositions temporaires et gratuites.

Un avant goût de l’exposition sur les murs… / © db
De l’art des fous à l’art psychopathologique, un intitulé qui illustre bien la double démarche d’un musée dit « d’Art et d’Histoire ». Car si les oeuvres relèvent de la création artistique, elles s’inscrivent aussi dans le temps et l’évolution du regard porté sur elles, en fonction de l’histoire de l’art et de la psychiatrie. Bref, de l’« art des fous » apparu dès les années 1900, à l’ « art psychopathologique », utilisé à partir des années 1950 et visant à la reconnaissance d’un langage plastique. Pourtant, si ce terme est encore en usage, « son sens parait encore moins clair maintenant qu’auparavant », souligne Anne-Marie Dubois, responsable scientifique de la Collection Sainte-Anne et commissaire de l’exposition, dans la mesure où il désigne encore « l’enfermement dans un mode de stigmatisation tant humaine qu’artistique ».
Quoiqu’il en soit, on parcourt les oeuvres exposées avec un regard inévitablement partagé. Si on se laisse aller au plaisir esthétique qu’elles suscitent le plus souvent, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur un motif troublant ou répétitif, une forme indéterminée; bref de les relier au lieu où elles ont été créées et les pathologies de leurs auteurs.

Jean Janès, sans titre, 1963 / DR
On s’arrête devant une silhouette floue de profil qui évoque irrésistiblement Bonaparte, avec sous le bicorne un visage dépourvu de traits. Jean Janès oscille dans ses oeuvres entre le tracé fin à la Matisse et la déstructuration à coups de pinceaux de gouache noire, mais toujours avec une force d’expression et de mouvement saisissante. « Flou identitaire » ? Peut-être. Il n’empêche que ce chaudronnier qui ne se sentait pas à l’aise dans son travail et qui entre deux séjours à l’hôpital avait fréquenté des peintres montmartrois aura trouvé dans l’exploration de la création artistique une manière personnelle de s’exprimer.
C’est le cas aussi de Solange Germain qui connait ses premiers troubles à treize ans et, après être passée par les ateliers de l’hôpital, a trouvé dans la pratique artistique sa nouvelle identité et un projet de vie. Les oeuvres présentées ont été réalisées entre 1969 et 1970 et témoignent d’une vraie recherche picturale, notamment par l’utilisation du rouge, clairement identifié parfois comme le sang, et du noir.

Solange Germain, Sans titre, 1969 / DR
La gouache noire sur papier est aussi utilisée par Christine Rabereau pour des oeuvres souvent géométriques mais où se mêlent parfois des portraits, très expressifs, souvent présentés en duos symétriques. (Voir photo plus haut)

Charles Levystone / DR
Charles Levystone, lui, avait étudié aux Beaux-Arts avant d’être hospitalisé. Si ses natures mortes à l’huile font penser à Cézanne, d’autres oeuvres à la gouache, les seules datées et apparemment postérieures, sont très différentes avec des personnages aux corps inachevés ou semblant se déliter.

Pascal Durand, sans titre, 1964 / DR
Pascal Durand est lui aussi un « artiste-patient », passé par les Beaux-Arts de Rennes puis de Paris. On s’est longuement arrêté devant une gouache et pastel gras de 1964 dans des tons doux gris-bleu-blanc, où tranchait seulement la chevelure jaune de ce qu’on suppose être une femme endormie, en s’interrogeant sur la forme dans laquelle elle est lovée. Dans un registre totalement différent, on admire la maîtrise du trait et du mouvement dans les oeuvres représentant des scènes de tauromachie.
Ce sont quelque deux cents pièces de l’artiste d’origine vietnamienne André Le Hien, qui ont été retrouvées dans les réserves du Centre d’étude de l’expression-MAHHSA, dont seules quatre-vingts sont à l’inventaire de la Collection. Sa technique marie les influences asiatiques et occidentales, à la fois dans les motifs et la technique. D’un portrait qui fait penser à Van Gogh à une oeuvre énigmatique où sur un fond rouge se détachent en blanc de minuscules squelettes qui apparaissent, à côté d’autres signes, comme une sorte de calligraphie.

Charles Schley, « Maison Lambarénée Du Afrique noires équatorial, ou La Mort rodes » (sic), vers 1960
Nombreuses aussi sont les oeuvres de Charles Schley dans la Collection de Sainte-Anne. Il s’agit de dessins exécutés à la mine de plomb et au crayon dans des cahiers, dont la découverte fortuite dans l’hôpital où il était interné depuis plusieurs années déjà a attiré l’attention des médecins et les ont amenés à reconsidérer le cas de ce « débile mental avec troubles du caractère ». Il s’agit de dessins minutieux d’architectures mouvantes et colorées ou d’animaux et personnages fantastiques, souvent accompagnés d’inscriptions. Crayon de couleur encore pour les fleurs et oiseaux étranges dessinés sur du papier noir par Noëlle Defages. Le trait précis, le détail et la brillance des couleurs, font parfois penser à des dessins de bijoux.
On termine avec une oeuvre particulièrement émouvante dont l’auteur(e) et la date de création sont inconnus, intitulée Souvenir mémoire de Sainte-Anne : le portrait (ou auto-portrait?) d’une jeune femme femme accoudée à une table au milieu d’autres tables vides. Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs, les mains nouées près du visage occupant le centre du tableau expriment avec une rare intensité la solitude et l’angoisse. Pour nous rappeler – on l’aurait presque oublié en parcourant l’exposition – que c’est aussi cela, être à Sainte-Anne…

Anonyme, « Souvenir mémoire de Sainte-Anne », vers 1970 / DR
Un catalogue a été publié. Il regroupe les oeuvres des deux expositions, avec une introduction de Anne-Marie Dubois et la présentation détaillée de chaque artiste.
(1) cette date – 1950 – correspond à l’Exposition internationale d’Art psychopathologique organisée dans le cadre du Premier Congrès mondial de psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne.
(2) La Collection Sainte-Anne est gérée par une association, reconnue d’Utilité Publique : le Centre d’Etude de l’Expression. Il est à la fois un lieu d’enseignement, de recherche, de documentation et de conservation de cette collection institutionnelle. La collection comporte deux fonds distincts. L’un est composé de peintures et dessins anciens, réalisés en-dehors d’ateliers thérapeutiques; ce fonds recèle entre autre, des œuvres d’artistes devenus célèbres comme créateurs d’Art Brut. L’autre, plus important rassemble près de 70 000 œuvres qui ont été réalisées dans des ateliers thérapeutiques depuis les années 1950.

Entrée de l’Hôpital Sainte-Anne, rue Cabanis
Musée d’Art et d’Histoire
de l’Hôpital Sainte-Anne
1 rue Cabanis 75014 Paris
Tel. 01 45 65 89 96
Courriel : accueil@musee-mahhsa.com