« Monumental Balzac » au musée des Beaux-Arts à Tours …

 

De gauche à droite : »Balzac en redingote » 1891; « Balzac nu » 1892; « Balzac en robe de moine » 1893; « Balzac, étude drapée 1896 © Musée Rodin


… ou la Petite histoire des monuments au grand écrivain, contée dans la ville qui l’a vu naître il y a 220 ans, le le 20 mai 1799. Une histoire pleine de péripéties qui court sur un peu plus d’un siècle, avec des monuments réalisés – encore debout ou détruits,  d’autres restés à l’état de projet ou d’autres encore à venir… De la sculpture de Paul Fournier, inaugurée à Tours en 1889  à celle de Falguière, inaugurée à Paris en 1902, en passant bien sûr par « le » monument qu’est le Balzac de Rodin, objet de scandale en 1898 avant d’être reconnu comme une oeuvre majeure. Et ce n’est pas le moindre intérêt de cette exposition que de présenter un nombre important de pièces évoquant  la longue gestation –  sept ans – de la sculpture de Rodin. Une histoire des monuments à Balzac qui se poursuit à Tours avec la commande passée à l’artiste conceptuel Nicolas Milhé pour une série d’oeuvres en hommage à la Comédie humaine…

Jean-Pierre DANTAN, « Portrait-charge de Balzac »© Brooks Beaulieu

C’est toujours un plaisir que de franchir l’imposant  portail du musée des Beaux-Arts de Tours, installé dans l’ancien palais des archevêques à l’ombre de la cathédrale, et de s’attarder un moment devant le majestueux cèdre du Liban au centre de la cour, avant de gravir les marches du perron puis celles qui mènent à l’exposition.

En guise d’introduction, le parcours commence par l’évocation du rapport compliqué de Balzac à son image. L’écrivain a longtemps refusé qu’on fasse son portrait jusqu’à ce qu’il soit  confronté en 1835 au succès public de la statuette à son effigie créée par Dantan, Portrait charge de Balzac, suivi d’autres caricatures. « D’abord amusé, Balzac reprend alors la maîtrise de son image », indique François Blanchetière, conservateur du patrimoine et co-commissaire de l’exposition.

Louis BOULANGER, « Portrait de Balzac » © MBA Tours

Cela donnera d’abord le portrait réalisé en 1836 par Louis Boulanger (1806-1867). On y voit Balzac debout, chevelure brune rejetée en arrière, bras croisés  sur une sorte de robe de chambre en tissu écru plutôt monacal, bien éloigné du personnage ventru et grimaçant de Dantan. Après le portrait de Boulanger, exposé au Salon de 1837,  Balzac accepte que d’autres artistes le représentent.

Pierre-Jean David d’Angers, « Honoré de Balzac », 1844 / Photo db

Le buste sculpté par David d’Angers, en 1844, servira de référence pour la réalisation d’un monument après la mort de l’écrivain en 1850. On entre dans le vif du sujet de l’exposition : l’histoire des monuments dédiés à Balzac. Si l’idée en est vite venue, il faudra attendre 1889 pour que le premier, une statue en bronze signée Paul Fournier, soit installé place du Palais (actuelle place Jean-Jaurès, devant l’hôtel de ville). La sculpture ayant été fondue pendant la guerre, en 1942 (1), seules des photographies, ainsi qu’une gravure témoignent de son existence passée…

Dans le même temps où Tours inaugurait son monument, à Paris, la Société des gens de lettres – que Balzac avait contribué à créé en 1838 et dont il sera le deuxième président en 1839 – lance un projet pour la capitale. À l’issue d’un concours, où Rodin et Falguière sont recalés, commande est passée à Henri Chapu, l’un des plus grands sculpteurs académiques de sa génération. Las, l’artiste meurt en 1891, et le projet – dont il reste quelques dessins et maquettes – avec lui…

RODIN, Deux exemplaires en terre du masque dit du « Conducteur de Tours » pour en faire des têtes de Balzac/ Photo db

Jusqu’à ce que Zola, nouveau président de la Société des gens de lettres, relance en 1891 l’action pour un nouveau projet « plus audacieux, plus digne » de l’écrivain dont il est un fervent admirateur. Il fait en sorte que Rodin soit chargé de sa réalisation. Celui qui était alors en train de s’imposer comme le principal représentant d’une sculpture « indépendante » se passionne pour le sujet, se rend en Touraine sur les lieux où a vécu Balzac pour y capter une inspiration, rassemble témoignages et documents. Il trouve son modèle en la personne d’un voiturier  dont la corpulence et les traits du visage correspondaient aux images de Balzac datant des années 1830 : on peut voir dans l’exposition le masque en terre cuite dit du conducteur de Tours

RODIN, « Étude finale » 1897 © Musée Rodin/Christian Baraja

Au cours des sept années qui suivent Rodin multiplie les esquisses et maquettes: Balzac debout, appuyé à une pile de livres, puis campé fermement sur ses jambes, les bras croisés ; Balzac nu, ou vêtu d’une redingote, ou d’une robe de chambre… Il ne cesse d’élaguer jusqu’à la statue de plâtre de 2,75 mètres qu’il présente en 1898 au Salon, une oeuvre dont « l’audace inouïe nous est difficilement perceptible aujourd’hui », souligne François Blanchetière, mais qui provoque un scandale et entraîne la rupture avec la Société des gens de lettres.

Néanmoins, pour toute une part de la critique et du monde artistique et littéraire, le Balzac de Rodin est perçu comme « un formidable symbole de ce que pouvait être un art moderne, c’est-à-dire de son temps, loin de la répétition des formules traditionnelles ». Et l’oeuvre est bien vite célèbre. Le  photographe Edward Steichen traverse l’Atlantique pour venir la voir et réalisera plus tard à Meudon un ensemble de photographies du Balzac au clair de lune, dont on peut voir un exemplaire dans l’exposition. 

Lotte JACOBI, « Edward Steichen devant le Balzac de Rodin dans la cour du MOMA à New York » (vers 1960) © musée Rodin

Si la statue de Balzac n’est inaugurée qu’en 1939 sur une placette du boulevard Raspail, elle aura largement contribué  à la notoriété de son auteur. Avec le tournant décisif de 1900 où Rodin décide d’organiser, en marge de l’Exposition universelle, une exposition personnelle, sa première en France, dans un pavillon spécialement construit à cet effet, place de l’Alma. (2)

Cette partie de l’exposition est passionnante et extrêmement documentée, grâce notamment au prêt par le musée Rodin à Paris de plusieurs sculptures permettant de suivre le processus de création du Balzac. (3)

FALGUIÈRE, Statue de BALZAC, Paris 8 ème / DR

Mais il faut se résoudre à quitter Rodin pour Alexandre Falguière à qui la Société des gens de lettres passe ensuite commande. Son Balzac assis, méditant et consensuel est inauguré en 1902,  avenue de Friedland, dans le 8ème arrondissement, au bout de la rue Balzac. Où elle se trouve toujours…

Retour à Tours… où décidément il se confirme que l’histoire des monuments à Balzac y est assez compliquée. Le haut-relief en bronze, oeuvre de François Sicard (1862-1934) réalisée pour la commémoration du centenaire de la naissance de Balzac en 1899, a échappé en 1940 à l’incendie de la maison natale de l’écrivain où il avait été installé… Il est désormais au Musée Balzac de Saché. (4)

Photo/portrait pour le personnage de Rastignac /db

On a vu que le monument de Fournier était parti à la fonte en 1942; le projet de monument en pierre qui devait le remplacer et qui avait été confié à Marcel Gaumont n’a jamais vu le jour, la souscription n’ayant par permis de réunir les fonds suffisants…  Les photographies de deux maquettes  indiquent que Gaumont prévoyait de donner une grande importance à l’évocation de la Comédie humaine, plutôt qu’à l’image du grand écrivain.

C’est aussi l’option qui a été retenue par Nicolas Milhé, choisi pour réaliser l’oeuvre du bicentenaire.  L’artiste a décidé de rendre hommage à Balzac au travers des personnages de la Comédie humaine. Cinq sculptures seront réalisées d’ici novembre 2019  à partir d’une sélection de portraits photographiques de Tourangeaux, avec lesquels se referme l’exposition.  On a apprécié tout particulièrement le portrait de Rastignac, dans une version XXIe siècle très pertinente…

Après un adieu au Cèdre, les pas du visiteur pourront se porter vers la cathédrale Saint-Gatien voisine, par laquelle on accède au charmant cloître de la Psalette, un lieu propice à la méditation sur la comédie humaine…

Le cloître de la Psalette / Photo db

 

(1) Il semble qu’il n’y ait guère eu de tentative de la population pour s’opposer à cette mesure, contrairement à ce qui a pu se produire dans d’autres villes (notamment à Chinon avec le monument à Rabelais).
(2) En 1901, Le pavillon de l’Alma est démonté puis reconstruit à Meudon sur le terrain de la Villa des Brillants. Il devient un atelier et un lieu où Rodin, qui ne s’installera dans l’ancien hôtel Biron à Paris qu’en 1908, reçoit ses visiteurs et invités.
(3) Au total ce sont plus de 40 œuvres, dont 22 sculptures et de nombreux dessins, photographies et estampes qui ont été prêtées par le musée Rodin. De nombreux musées et institutions ont également fait des prêts importants, notamment  la Maison de Balzac à Paris, le musée Balzac à Saché, ainsi que le Musée d’Orsay, le Louvre, l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, le Petit Palais – musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, les Archives et la Bibliothèque municipales de Tours…
(4) Le Musée Balzac de Saché – lieu où séjourna l’écrivain et qui lui servit de décor pour Le lys dans la vallée –  s’associe aux événements organisés par la Ville de Tours pour célébrer le 220e anniversaire de la naissance d’Honoré de Balzac avec une série de manifestations et notamment trois expositions. Pour en savoir plus, cliquer ici
Quant à la Maison de Balzac à Paris, qui rouvre ses portes en juillet prochain, elle accueillera du 23 septembre 2019 au 13 janvier 2020 l’exposition  Balzac et Grandville : Une fantaisie mordante . Elle s’intéressera à la relation entre l’écrivain et l’un des dessinateurs les plus singuliers du XIXe siècle. Plus d’une cinquantaine d’œuvres seront présentées dont certaines seront dévoilées au public pour la première fois.

 

 

Musée des Beaux-Arts
18 Place François Sicard
37000 Tours
Tél: 02 47 05 68 73

Cet article, publié dans Culture, Patrimoine, est tagué , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s