L’ Apocalypse s’invite à la Bnf

Maître de Dunois, « Le Jugement dernier » XVe siècle / Photo db

« Apocalypse : hier et demain », sous ce titre la Bibliothèque nationale de France consacre au thème de l’apocalypse une imposante exposition. Fréquemment utilisé dans le langage courant et omni présent dans les médias pour désigner des catastrophes qui semblent s’apparenter à la fin du monde, de quoi le mot « apocalypse » est-il vraiment le nom, de quoi est-il le révélateur ? À quoi doit-il sa longévité ? Des interrogations auxquelles l’exposition répond par un retour au texte biblique et en explorant la façon dont les arts se sont au fil des siècles emparés de cet imaginaire de l’apocalypse, des enluminures du Moyen-Âge jusqu’au cinéma et la vidéo. Quelque 300 pièces sont présentées dans les deux galeries du site François Mitterrand, dans un parcours remarquablement scénographié.
À voir jusqu’au 8 juin 2025.

APOCALYPSE BNF

Apocalypse/Bnf Laurent Grasso, « Untitled »/Kiki Smith, « Guide », tapisserie / Photo db

Devant une tapisserie de Kiki Smith (1), un jeune garçon debout porte dans ses mains une sphère bleutée qu’il contemple : la sculpture (Untitled) de Laurent Grasso qui accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition Apocalypse : hier et demain a quelque chose de paradoxal. L’apocalypse n’est-elle pas synonyme de destruction, de chaos ? À l’opposé de ce globe de verre étincelant, monde parfait, reposant paisiblement dans les mains d’un enfant. Un paradoxe qui renvoie à celui du mot apocalypse, « si familier et dont l’origine et le sens biblique sont le plus souvent méconnus », explique Jeanne Brun, commissaire de l’exposition.

Un retour au texte s’impose donc. Apocalypse, le premier mot du récit qui clôt le nouveau testament, signifie en grec la « révélation », le « dévoilement », et le texte de Jean, s’il fait apparaître la menace de multiples fléaux, est surtout l’annonce du Royaume de Dieu, symbolisé par la Jérusalem céleste. « Un texte difficile, cryptique, dont quelques motifs sont demeurés fameux ( la chute de Babylone, les Quatre cavaliers), mais qu’on a rarement lu », souligne Jeanne Brun.

La femme de l’Apocalypse attaquée par le Dragon/Saint Rieul de Senlis/XIIe siècle/Musée du Louvre/Photo db

Un texte difficile qui a donné lieu, à l’occasion de l’exposition, à une nouvelle traduction du grec par Frédéric Boyer. (1) Celui-ci rappelle tout d’abord que ce texte  « n’est pas isolé, il appartient à une tradition de la fin du 1er siècle – qui est :  le messie, comment le révéler ? -, mais il est l’un des plus aboutis ». Il se caractérise par « une écriture de l’image » qu’on va retrouver au fil des siècles. « Tout le bestiaire monstrueux de l’Apocalypse va informer notre regard sur le monde », indique Frédéric Boyer. L’Apocalypse n’en finit pas de résonner depuis deux mille ans dans notre culture et nos sociétés occidentales lorsqu’une catastrophe majeure survient ou s’annonce. D’autant « qu’on n’a pas tellement d’autres éléments pour penser l’épreuve et imaginer le lendemain », souligne Jeanne Brun.

Unica Zurn, collection du MAHHSA / Photo db

Quant à l’auteur de l’Apocalypse, on s’accorde aujourd’hui à le désigner comme Jean de Patmos, (2) dit aussi le Visionnaire :  à l’écart du monde il est celui qui peut voir les vérités cachées et les révéler. D’Arthur Rimbaud à Antonin Artaud, d’Unica Zürn à Laurent Grasso poètes et artistes ont souvent repris, au sein ou hors du contexte religieux, cette position de vigie ou de voyant, au-delà du monde voilé des apparences. Des oeuvres de ces artistes sont réunies en introduction au « Livre des Révélations », par quoi commence le parcours de l’exposition.

Beatus de St-Sever, L’étoile Absinthe et l’aigle du malheur, Gascogne (Saint-Sever), (avant 1072) Manuscrit peint sur parchemin /BnF, département des Manuscrits

Pour qui ne connait de ce texte que quelques symboles parmi les plus représentés, comme les Quatre cavaliers de l’Apocalypse, cette première partie est l’occasion de découvrir l’ensemble des visions qui le composent : les sept sceaux, les sept trompettes, le combat contre les dragons, les deux bêtes, les sept coupes et la chute de Babylone, le jugement dernier et, enfin, la Jerusalem Nouvelle. Ainsi que leur abondante illustration dès le Moyen-Âge avec notamment le manuscrit réalisé au XIe siècle dans l’abbaye de Saint-Sever en Gascogne qui renferme un ensemble de textes en latin et une centaine d’illuminures autour du récit de saint Jean. Et, bien sûr la Tenture de l’Apocalypse d’Angers, dont trois fragments figurent dans l’exposition.

William Blake, « Death on a pale horse »/ 1800/ Photo db

Vient ensuite « Le temps des catastrophes » , consacré à la fortune de l’Apocalypse dans les arts, de Dürer à Brassaï, en passant par William Blake, Gustave Moreau, Kandinsky et l’expressionnisme allemand avec Otto Dix.  Elle rappelle que le texte a donné naissance à des œuvres qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, illustrant ainsi la fascination tenace et persistante des artistes – et à travers eux, de l’humanité – pour ce récit qui mêle les fléaux et la fin des temps à l’espoir et à l’attente d’un monde nouveau.

Ceija Stojka, Auschwitz 1944/ Coll Antoine de Gallibert ADAGP Paris 2025 / Photo db

Parmi les fléaux, la guerre, illustrée par des oeuvres de Natalia Gontcharova (Le cheval pâle, 1914), de Ceija Stjka (Auschwitz 1944, 2009), car « l’apocalypse c’est aussi la mise en évidence de la violence », souligne Jeanne Brun.

Loin de se limiter à une vision catastrophiste de l’apocalypse, véhiculée par le genre post-apocalyptique dans la littérature (La route, de Cormac McCarthy), le cinéma (Melancholia, de Lars von Trier ou Take shelter, de Jeff Nichols) et la bande dessinée (dont l’adaptation de La route par Manu Lancenet) et revenant à son sens originel, l’exposition accorde une large place au « Jour d’après ». Avec un ensemble d’œuvres contemporaines, comme la tapisserie de Otobong Nkanga ou la sculpture Strike de  Sabine Mireless … « C’est autour de ce jour d’après que se construisent les fictions et représentations les plus inventives, qui, d’une certaine manière, restent fidèles à l’Apocalypse, en concevant la catastrophe comme le prélude à un nouvel ordre du monde ».

Otobong Nkanga, Unearthd-Midnight 2021 / Photo db

(1) On avait pu découvrir le travail de Kiki Smith, et notamment ses tapisseries, lors de l’exposition qui lui avait été consacrée, en 2020 à La Monnaie de Paris. 
(2)
Traduction publiée dans le catalogue de l’exposition, Bnf Éditions.
(3) Si l’auteur du texte de l’Apocalypse reste sujet à des interrogations et à différentes hypothèses, les Eglises chrétiennes continuent d’attribuer ce texte à l’apôtre Jean et reconnaissent sa canonicité. Dans la Bible, l’Apocalypse fait partie du Nouveau Testament dont elle est le dernier livre.

Fragment de la Tapisserie de l’Apocalypse :
Quatrième flacon versé sur le soleil/Paris, vers 1373-1380 / Propriété de l’État, Direction régionale des affaires culturelles des Pays-de-Loire.
© Bernard Renoux / Centre des monuments nationaux

Bibliothèque François-Mitterrand
Quai François Mauriac
75706 Paris Cedex 13
Téléphone : 33(0)1 53 79 59 59

  • Lundi : 14 h – 20 h
  • Mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi : 9 h – 20 h
  • Dimanche : 13 h – 19 h


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