À l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Rabindranath Tagore, le Petit Palais à Paris présente une exposition consacrée à un aspect moins connu de l’œuvre de l’écrivain et poète indien, prix Nobel de littérature en 1913: les peintures et dessins réalisés dans la dernière partie de sa vie. Une « dernière moisson » très créative dont la petite centaines d’œuvres sélectionnées pour l’exposition nous invite à découvrir l’originalité et la diversité. A la faveur de cette exposition, on découvre aussi avec le film documentaire de Sylvain Roumette, la palette des domaines de création et de pensée explorés par Tagore.
A voir jusqu’au 11 mars 2012.
Ce sont très exactement 98 peintures et dessins sur papiers, réalisés entre 1928 et 1939, qu’on peut voir au Petit Palais. Les œuvres, prêtées par la Galerie d’art moderne de New Delhi et le musée de l’université Visva-Bharati de Santiniketan, ont déjà été présentées au Musée d’art asiatique de Berlin et au Musée Jan van der Togt, à Amstelveen, aux Pays-bas, et après Paris, seront accueillies à Rome par la Galerie nationale d’art moderne et contemporain.
Une « tournée » européenne dont se félicite Azarie Aroulandom, fondateur et président de Tagore Sangam (À la rencontre de Tagore), association pour la connaissance et le rayonnement de l’oeuvre de Rabindranath Tagore, « l’un des plus grands philosophes et poètes, un homme universel ».
Il est vrai que l’homme qui connaît une consécration internationale en recevant le prix Nobel de littérature en 1913, « a marqué de sa personnalité tous les domaines de la création : poésie, musique, chant, danse, théâtre, romans ou nouvelles »… Ses œuvres ont été traduites dans plus de 60 langues. Tagore fut aussi pédagogue, enseignant, philosophe, maître spirituel, visionnaire, et réformateur social. Il a fondé l’université internationale de Visva-Bharati dans le but de concilier les traditions indiennes et occidentales. Quelques photos et des documents, dans une vitrine à l’entrée de l’exposition, témoignent de cette ouverture d’esprit. On peut le voir notamment aux côtés de Romain Rolland et d’Albert Eintstein, qui furent ses amis.
Une curiosité, une ouverture au monde que reflète sa peinture, aux inspirations multiples : telle encre fait penser à un Goya, le flamboiement du jaune dans un portrait évoque irrésistiblement Van Gogh tandis qu’un autre renvoie à l’expressionnisme allemand. « Tagore est quelqu’un qui a toujours été pénétré par les différentes cultures du monde. Il a visité plus de quarante pays où il a côtoyé des artistes, pas seulement des écrivains, car pour lui l’art est un tout. Même s’il n’a commencé à peindre qu’à l’âge de 67 ans, il a côtoyé très tôt la peinture avec son frère qui était peintre », explique Azarie Aroulandom.
En l’absence de tout apprentissage technique, c’est par l’écriture que Tagore en est venu à la peinture. « Quand il écrivait, des ratures et biffures du manuscrit naissaient des formes… Il a transposé en images l’expression des traits ». Fruits de cette sorte de « rêverie graphique », les images empruntent leurs formes à la figure humaine, au monde animal ou au monde végétal. Ce dernier lui fournit d’ailleurs les matériaux de sa technique picturale: « comme il est en symbiose avec la nature, les couleurs qui composent toute sa peinture, il les fabrique lui-même à partir d’éléments naturels – feuilles, fruits, plantes, terre – et n’utilise pratiquement pas de pinceaux, mais ses doigt ou des brindilles. Il fixe ses couleurs avec de la colle naturelle ou de l’huile de coco », précise notre guide.
Parmi la petite centaine d’œuvres exposées au Petit Palais, il y a beaucoup de portraits de femmes. « Beaucoup sont la transposition de celui de sa belle-sœur, qu’il aimait beaucoup et qui s’est suicidée ». Mais la présence féminine dans l’œuvre peint de Tagore témoigne surtout de son engagement pour un meilleur statut de la femme, dans la société comme dans le couple. Ce réformateur opposé au système des castes est conscient de la nécessité d’une évolution sociale. Laquelle passe par l’éducation. Mettant en pratique ses idées il a fondé une école expérimentale à Santiniketan où prendra forme plus tard l’université Visva-Bharati. C’est dans le but de recueillir des fonds pour sa « chère université » qu’il organise des tournées avec la troupe de danse qu’il a créée vers la fin de sa vie.
Rabindranath Tagore a réalisé au total quelque 2500 peintures et dessins, de la fin des années 1920 jusqu’en 1939. C’est le regard porté sur ses œuvres par la femme de lettres argentine et amie Victoria Ocampo qui permettra de réaliser une première exposition à Paris, en 1930. André Gide et Paul Valery, parmi d’autres, la visitèrent et la comtesse de Noailles signa la préface du catalogue. Une exposition aura lieu également à Londres, en 1938.
Quant au musicien et compositeur prolifique que fut aussi Tagore – auteur de plus de deux mille pièces – il a donné leur hymne à deux pays : l’Inde et le Bangladesh. « Il est complet parce qu’il a cherché à être complet », conclut Azarie Aroulandom.
Le documentaire Portrait d’un Sage,réalisé en 1995 par Sylvain Roumette pour la télévision française (1) et diffusé en boucle dans l’exposition, permet de saisir la richesse de création et de pensée de Rabindranath Tagore. On ne saurait que conseiller de prendre le temps de s’asseoir et de le regarder dans sa totalité. Et peut-être aussi de faire un détour en sortant par la librairie-boutique du Petit Palais pour jeter un œil sur les œuvres de Tagore rassemblées pour l’occasion.
(1) Diffusé sur France 3 dans l’émission de Bernard Rapp Les Grands écrivains.