Avec « Dessin Phénoménal » et « Wols, dessins », deux expositions présentées jusqu’au 16 septembre 2012, le LAAC de Dunkerque explore le travail d’artistes qui ont en commun d’associer les éléments naturels à la réalisation de leurs dessins et rend hommage à l’un des pionniers de l’abstraction lyrique européenne. Cette double manifestation s’inscrit dans l’opération « dessiner-tracer » orchestrée par l’association des conservateurs des musées du Nord Pas de Calais. Une initiative relayée par le Musée des Beaux-Arts de Dunkerque qui a par ailleurs laissé carte blanche à l’artiste Philippe Richard pour puiser dans ses collections le thème de l’exposition « Autre pareil », à voir jusqu’au 13 juillet 2013.
En invitant Christian Jaccard, Bernard Moninot et Bernard Pagès à exposer dans ses murs, le LAAC est fidèle à son projet culturel de faire des œuvres graphiques une de ses priorités. Depuis sa réouverture en 2003, le Lieu d’Art et Action Contemporaine a acquis plusieurs centaines de dessins, photographies, estampes qui, venus s’ajouter au fonds initial, en font l’un des plus grands cabinets graphiques d’Europe du Nord. (1)
Les trois artistes réunis dans Dessin Phénoménal ont en commun d’avoir pris de la distance avec ce support « classique » du trait qu’est le papier, du moins dans son usage habituel, et de « travailler à partir d’éléments naturels – le feu, l’air – dans un processus qui laisse sa place au hasard », résume Sophie Warlop, commissaire de l’exposition.
C’est ainsi que Bernard Moninot (1949) a mis au point un ingénieux matériel d’enregistrement mécanique. Une sorte de sismographe appliqué aux végétaux qui, agités par le vent sur les dunes, deviennent les auteurs de dessins aléatoires. Ces Mémoires du vent, une fois projetées, nous mettent en présence de « quelque chose de complètement immatériel ». Plus que le résultat final c’est l’ensemble du processus qui relève de la création artistique.
Christian Jaccard (1939) privilégie lui le feu et explore comment celui-ci dessine sur des matériaux très divers (bois, métal…), le plus souvent de récupération. Utilisant également du gel thermique projeté sur un mur, il intervient souvent dans des lieux avant leur réhabilitation. Une technique qui doit autant à la maîtrise qu’au hasard, leur nécessaire association étant « la clé de l’œuvre », une « oeuvre à risque, où le déroulé contrôlé de la combustion fait partie de l’œuvre », souligne Sophie Warlop. Et le papier ? Il intervient notamment avec certaines expériences d’ignition qui s’opèrent dans des livres en accordéon, les Leporelli, nés des empreintes de lettres qui ont oblitéré et protégé le papier de la fumée. Des lettres dont l’assemblage signifiant doit autant à la dimension graphique et picturale des mots qu’à leur sens propre. comme la série des palindromes en anglais : REPEL A LEPER/RAIL AT A LIAR/LIVED AS A DEVIL/NAME NO ONE MAN/FLED AS A SAD ELF.

Bernard Pagès, « Empreinte de ligature », 2009 (peinture de ferronnerie sur papier) / Photo Emmanuel Watteau
Quant à Bernard Pagès (1940), dont on connaît surtout les sculptures, l’exposition permet de découvrir son œuvre dessinée, « entièrement autonome », souligne Aude Cordonnier, directrice des musées de Dunkerque. Mais si les deux domaines du dessin et de la sculpture « ne se nourrissent pas l’un l’autre, ils sont néanmoins liés par les matériaux qui sont ceux que l’artiste a sous la main dans son environnement, celui de l’atelier ou de la nature », précise Sophie Warlop. Crevasses de boue séchées, grillages, enduits d’encre ou de gouache, vont devenir autant d’empreintes que le papier va finalement accueillir…
En écho aux démarches de ces trois créateurs de dessin « phénoménal », le LAAC présente avec Ponctuations les œuvres de quatre jeunes artistes acquises par le Frac Picardie et qui ont comme point commun de mêler le dessin au support vidéo : Pascal Convert (Native Movies I), Edith Dekyndt (A is hotter than B), Christophe Girardet (Enlighten) et Yazid Oulab (Percussions graphiques). (2)
Le travail original et sensible de Chantal Fochesato a aussi toute sa place dans Dessiner-Tracer. Née en 1957, cette Dunkerquoise dessine avec du fil : « de fil en aiguille j’enfile des émotions, des passions, des destins si fragiles comme des fêlures intimes », écrit-elle… ce qui résume parfaitement le sentiment qu’on éprouve au contact de son travail.
Avec la cinquantaine d’œuvres de Wols (1913-1951) présentées à l’étage du cabinet d’arts graphiques du LAAC, qui lui est entièrement consacré, on renoue avec le papier comme support du tracé. Depuis une rétrospective au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1973 et en attendant une importante exposition prévue au Centre Georges Pompidou suite à la dation effectuée par la seconde épouse de l’artiste, l’exposition Wols, dessinsau LAAC , vient combler une lacune et permet de découvrir l’originalité de l’œuvre dessinée de Alfred Otto Wolfgang Schulze. L’initiative en revient à Marc Sautereau, directeur de publication chez Bookstorming et commissaire de l’exposition. (3)

Wols, « Formes en mouvement »(1949) et « Rouge royal » (1947), encre et aquarelle sur papier/Coll.particulière/ Photos Jacques Quercq d’Henriprêt/ADAGP Paris 2012
Les dessins et aquarelles rassemblés permettent d’accompagner l’évolution de l’artiste, du surréalisme dans les années 1939-1941 (époque où en tant qu’Allemand il est interné en France), à l’abstraction lyrique et informelle après la guerre. D’autant que la présentation des dessins, décadrés et exposés à plat sous vitrines, les rend plus accessibles au regard.
On quitte les rives du port – où après le quartier, « Le Grand large » dessiné par Nicolas Michelin, se dressera bientôt le nouveau Frac de Dunkerque, installé dans l’imposante ancienne halle aux bateaux – pour le musée des Beaux-Arts.
A l’invitation de sa directrice, Aude Cordonnier, l’artiste Philippe Richard s’est saisi de la triple collection – artistique, naturaliste et anthropologique – qui fait la richesse du lieu pour organiser une exposition où ses propres œuvres figurent en contrepoint de celles du musée sélectionnées par ses soins.
Un fil d’Ariane emprunté par l’artiste à l’Odyssée d’Homère et l’Ulysse de Joyce relie les œuvres présentées dans les neuf salles principales du musée. Libre à chaque visiteur de remplacer la cohérence ténue de ce fil par le sien propre, ou de se laisser guider par le seul plaisir de découvrir certaines œuvres, isolément, ou dans leur juxtaposition… D’une version très « orientale » du port de Dunkerque par Isabey, à la Dérive des bois flottés peints par Philippe Richard, en passant par le moulage en cire de la tête de Jacques II, roi d’Angleterre, côtoyant un masque Nô… ou notre propre image en surimpression de celles de la vidéo que notre présence a déclenchée et qui semblent surgir « de l’autre côté du miroir » de l’armoire conçue par Jean-Louis Accetone…
(1) À l’origine du fonds d’art graphique du LAAC, il y a la collection « Delaine », un millier d’œuvres réunies par Gilbert Delaine, dans les années 1970-1980, et toutes cédées à la ville de Dunkerque en échange de la construction d’un musée d’Art contemporain. Inauguré en 1982, il sera fermé en 1997 pour de lourds travaux de réhabilitation, et rouvrira en 2003 sous l’appellation Lieu d’Art et Action contemporaine.
(2) On peut voir les œuvres de Ponctuations sur le site du Frac Picardie.
(3) Les œuvres présentées dans l’exposition sont reproduites en totalité dans un catalogue, co-édité par Archibooks et le LAAC.